mercredi 5 juin 2019

LE POUVOIR DU CHANT

LE POUVOIR DU CHANT



Versions françaises – LE POUVOIR DU CHANT – Marco Valdo M.I. – 2019
à partir des versions italiennes de Bernart Bartleby
d’une chanson piémontaise – Poter del canto – anonyme – s.d.

Chanson populaire piémontaise recueillie par Costantino Nigra (1828-1907, philologue, poète, diplomate et homme politique italien) à Sale Castelnuovo (qui avec Villa Castelnuovo forme maintenant la commune de Castelnuovo Nigra), dans la province de Turin, par l’entremise de Mme Domenica Bracco. Dans l’anthologie essentielle "Canti popolari del Piemonte", publiée en 1888.







LE POUVOIR DU CHANT

Version française de la version piémontaise de Costantino Nigra, des “Canti popolari del Piemonte” (1888).



Ils étaient trois frères en France, tous trois en prison,
Ils étaient trois frères en France, tous trois en prison.

Ils n’avaient qu’une sœur qui n’avait pas encore sept ans,
Ils n’avaient qu’une sœur qui n’avait pas encore sept ans.

La sœur s’en vient les chercher à la porte de la prison,
La sœur s’en vient les chercher à la porte de la prison.

Frères, mes chers frères, ô, chantez une chanson !
Frères, mes chers frères, ô, chantez une chanson !

Le plus jeune l’a commencée, les deux autres l’ont chantée,
Le plus jeune l’a commencée, les deux autres l’ont chantée.

Les marins qui marinent cessent de mariner,
Les marins qui marinent cessent de mariner.

Les scieurs qui scient cessent de scier,
Les scieurs qui scient cessent de scier.

Les sarcleurs qui sarclent cessent de sarcler,
Les sarcleurs qui sarclent cessent de sarcler.

La sirène qui serine cesse de seriner,
La sirène qui serine cesse de seriner.

Le roi de France à table cesse de dîner,
Le roi de France à table cesse de dîner.

Il dit à ses serviteurs : qui sont ces prisonniers ?,
Il dit à ses serviteurs : qui sont ces prisonniers ?

L’un, je le veux dans mes gardes, l’autre je le veux faire mon page,
L’un, je le veux dans mes gardes, l’autre je le veux faire mon page,

L’autre, je le veux en mon écurie, pour les entendre si bien chanter,
L’autre, je le veux en mon écurie, pour les entendre si bien chanter.



LES JEUNES D’ENTRACQUE

Version française de la version Sandra Mantovani, dall’album "Servi, baroni e uomini", con Bruno Pianta (1970).I GIUVU D’ANTRAIME





Antraime ne peut être qu’Entracque, dans la Vallée Gesso, dans la province de Cuneo (Antràigue ou Entràiguas dans les Alpes occitanes ou provençales, Entràive dans le Piémont).
Et puis peut-être que ces trois jeunes gens destinés à la potence étaient comme Robyn, ou Geordie, ou Erik Olov Älg, seraient des braconniers tombés sur les gardes de la Réserve Royale Valdieri-Entracque... Ou peut-être, en remontant dans le temps, entre 1700 et 1800, des contrebandiers de sel et de tabac, ou des maquisards anti-révolutionnaires du comté de Nice et de l’Escarène, souvent réfugiés dans l’arrière-pays et au-delà des Alpes, ou de simples bandits – ce qui était la même chose – venus à l’époque de ces régions, appelés tous des « barbes », pas à cause de leur barbe hirsute, mais à cause de l’héritage historique de la résistance vaudoise, où les « barbes » étaient les ministres du culte évangélique, les prédicateurs qui répandaient la Parole, les premiers ennemis des catholiques qui les appelaient ainsi avec mépris.


Ils étaient trois jeunes gens d’Entracque qui s’en allaient mourir,
Ils étaient trois jeunes gens d’Entracque qui s’en allaient mourir.

Le plus jeune dit aux autres : « Chantons une chanson ! »,
Le plus jeune dit aux autres : « Chantons une chanson ! »

Ils chantent si bien tous les trois que la mer leur chant répercute,
Ils chantent si bien tous les trois que la mer leur chant répercute.

Les marins qui marinent cessent de mariner,
Les marins qui marinent cessent de mariner.

Les sarcleurs qui sarclent cessent de sarcler,
Les sarcleurs qui sarclent cessent de sarcler.

Les faucheurs qui fauchent cessent de faucher,
Les faucheurs qui fauchent cessent de faucher.

Et la reine à sa fenêtre dit : « Qui c’est qui chante si bien ? »,
Et la reine à sa fenêtre dit : « Qui c’est qui chante si bien ? »

Ce sont trois jeunes gens d’Entracque qui s’en vont mourir,
Ce sont trois jeunes gens d’Entracque qui s’en vont mourir.

D’un, je veux faire mon garde, de l’autre, je veux faire mon page,
D’un, je veux faire mon garde, de l’autre, je veux faire mon page,

L’autre, je veux le faire écuyer pour les entendre si bien chanter.
L’autre, je veux le faire écuyer pour les entendre si bien chanter.

mardi 4 juin 2019

Les petites Fraises parfumées



Les petites Fraises parfumées


Lettre de prison 30
10 juin 1935

L'enlèvement des Sabines - David - 1799


Dialogue Maïeutique

Lucien l’âne mon ami, tout comme le fait le Dr. Levi, reprenons notre récit à un moment et à un endroit antérieurs. En l’occurrence, il évoque aux fins de comparaison, d’un côté, la prison de Turin – le Nuove, où il séjourna par deux fois à un intervalle d’un an en 1934 et 1935 et de l’autre, la prison de Rome, Regina Cœli, où il vient d’être transféré de façon rocambolesque. Pour rappel, il avait été arrêté à Turin dans un groupe d’autres intellectuels pour l’essentiel issus du milieu juif piémontais. Cependant, je ne pense pas qu’à ce moment-là, il s’agissait pour la police politique fasciste de les arrêter parce qu’ils étaient juifs, ni qu’elle soupçonnait racistement un complot juif. Elle n’en était encore qu’au racisme ordinaire, à l’usuel antisémitisme catholique. Le régime fasciste fera son aveu d’antisémitisme et de racisme seulement trois ans plus tard en promulguant les premières « lois raciales » et en vantant une hypothétique « race italienne », qui aurait fait partie des « races aryennes ».

Oh, dit Lucien l’âne, voilà qui est drôle : une race italienne aryenne : composée exclusivement de grands blonds aux yeux bleus, je suppose.

Lucien l’âne mon ami, je n’en sais rien et personne ne pourra jamais rien en savoir du fait qu’elle n’a jamais existé, cette foutue race. de nos jours, on dirait bien qu’on y revient avec ce proto-fascisme qui s’installe au pouvoir. Cependant, je pense que pour les autorités fascistes de Turin, il s’agissait tout simplement de capturer un noyau d’opposants politiques de tendance socialiste et libérale, très lié aux opposants déjà en exil, parmi lesquels on notera Turati, Treves, les frères Rosselli, Saragat, Lussu, Pertini.

J’aime beaucoup ce genre de précisions, dit Lucien l’âne, mais je te rappelle que tu es censé me parler de la chanson et que si j’ai bien vu le titre, il s’agit de « petites fraises parfumées » et on en est loin, il me semble. Dès lors, veux-tu m’expliquer ce titre pour le moins original et étrange.

Eh bien voilà, reprend Marco Valdo M.I., j’y venais à ces « fraises parfumées », dont c’est d’ailleurs la saison. Cependant, il te faudra patienter un peu avant de voir venir les fraises dans la chanson, qui commence par l’enlèvement de Carlo Levi à Turin.

L’enlèvement de Carlo Levi, comme une Sabine ? C’est une manière ironique de décrire la situation, j’imagine, dit Lucien l’âne. Car il s’agit d’un prisonnier politique, pas d’une jeune première et puis, si j’ai bien suivi les événements précédents, c’est la police du régime elle-même qui vient le chercher pour l’emmener à Rome, mais toujours entre ses mains.

Évidemment, Carlo Levi traite sa situation avec humour et cet enlèvement n’en est pas à proprement parler un. En disant ça, il souligne l’absurdité de la situation et qu’on ne peut enlever quelqu’un que s’il est libre par rapport à ceux qui l’enlèvent. Or, dans son cas, à ce moment, sa liberté était purement hypothétique et liée au vouloir du pouvoir. Mais ensuite, l’humour se condense et toute la chanson est tournée à la manière d’un guide touristique et même, comme tu le verras, gastronomique où l’on compare les deux établissements pénitentiaires – les Nuove et Regina Cœli, vus de l’intérieur.

Ah, dit Lucien l’âne, et que dit-il ? Je suis très curieux de savoir comment et sur quels critères, on peut comparer de tels séjours et même, les services d’hôtellerie qu’ils proposent.

C’est exactement ce qui se passe, Lucien l’âne mon ami. D’abord, il différencie les deux ambiances en indiquant qu’à Turin, il lisait les philosophes en quelque sorte par défaut, en raison du contenu particulier de la bibliothèque carcérale et en changeant de lieu et donc de bibliothèque, à Rome, il lui est proposé des romans d’aventures ; en l’occurrence, « L’Île au Trésor » de Robert Louis Stevenson, un ami des ânes et un roman pour enfants.

En somme, dit Lucien l’âne, à Rome, on se méfie des philosophes. On ne va pas laisser la pensée et la philosophie prospérer plus encore parmi ces renégats politiques. Mais pour ce qui est de, Stevenson, ami des ânes, même si je vois bien qu’on peut interpréter cette qualité de diverses façons, sa relation particulière avec Modestine, l’ânesse qui porte son bât, est relatée dans son « Voyage avec un âne dans les Cévennes ». De ce fait, nous les ânes, on place Stevenson dans notre Panthéon littéraire, tout comme Lucien et Apulée, la Comtesse de Ségur et Juan Ramon Jiménez. Mais ces fraises parfumées, finalement, quand viennent-elles ?

Bientôt, Lucien l’âne mon ami, mais poursuivons la lecture du guide pénitentiaire. D’abord, il te faut savoir que tout compte fait, le régime de la prison de Turin est plus libéral, il faut comprendre permissif, que celui de la prison de Rome. Sans doute est-ce un effet de la capitale ou de la proximité du Duce – Grandeur oblige ! Cependant, Regina Cœli est une excellente auberge où on sert le poulet grillé à la menthe et au dessert, des petites fraises parfumées. Je cite :
« Et des fraises qui enchantent
Par leurs senteurs de liberté.
Ces petites fraises parfumées
Viennent de clairières ombragées ;

Ah, enfin !, s’écrie Lucien l’âne, je me désespérais de les connaître. Ce sont donc de vraies fraises. Les sert-on avec de la crème ?

Je l’ignore, avoue Marco Valdo M.I, mais en résumé, le séjour à Rome est plus luxueux, mais également plus ennuyeux.

Bien, conclut Lucien l’âne. Nous n’irons pas le vérifier. Dès lors, tissons le linceul de ce vieux monde carcéral, pénitentiaire, disciplinaire, punitif, intoxiqué par le pouvoir et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Quand on m’a enlevé à Turin
Je lisais au lit, sans déranger personne,
De la philosophie dès le matin.
Ici, je lis « L’Île au Trésor » de Stevenson,
Un ami des ânes, quel bel écrivain !

À Turin, la vie carcérale
Était plus libérale.
À Rome, elle est plus sévère,
Plus réglée, plus disciplinaire.
Ici, on est dans la capitale.

Ici, c’est une auberge excellente ;
On y mange l’agneau et le poulet grillés
Aux senteurs et aux saveurs de menthe
Et des fraises qui enchantent
Par leurs senteurs de liberté.

Ces petites fraises parfumées
Viennent de clairières ombragées ;
Cet agneau romain a connu
Les tièdes soirées
Du printemps révolu.

Ici, je fais la lessive,
Ici, je lave tout à la main.
Les mouchoirs blancs dans la bassine
Éveillent une nostalgie intime,
Une odeur de fleurs et de jardin.

Pour les conditions matérielles,
Rome, c’est plus luxueux :
Le lit est bon, on y mange mieux.
À vrai dire, c’est ennuyeux :
Ici, la prison n’est plus pareille.

dimanche 2 juin 2019

LE PHARE ou LA STATUE DE LA LIBERTÉ

 

LE PHARE 

 

ou

 

LA STATUE DE LA LIBERTÉ


Version française – LE PHARE ou La STATUE DE LA LIBERTÉ– Marco Valdo M.I.2019
Chanson italienne – Il faroPetralana – 2019





The Lighthouse – Il faro – Le Phare est d’actualité, car il nous parle de l’immigration, de la traversée de l’océan qui se faisait dans le passé d’Europe vers l’Amérique, et la traversée de la mer d’aujourd’hui qui se fait d’Asie et d’Afrique vers la Grèce, vers l’Italie et vers l’Espagne.
"Eh bien, la comparaison est vite faite. Les Italiens étaient traités en Amérique exactement comme les étrangers sont traités aujourd’hui en Italie, c’est-à-dire comme des bêtes. Proposer ces questions à l’auditeur vise à le faire plus compatir à la solitude et aux réalités difficiles que vivent les étrangers qui arrivent. Le Phare raconte la solitude que les Italiens ont vécue à l’étranger, en abandonnant leur foyer et c’est une solitude que beaucoup de nos compatriotes vivent encore aujourd’hui en Europe. Je dis cela en tant qu’Italien à l’étranger. La communauté italienne en Angleterre est énorme, elle correspond à une ville italienne. Je sais ce que cela signifie d’être dans un pays où votre langue n’est pas parlée et où il est difficile de s’intégrer culturellement. Le Phare parle de ce sentiment d’aliénation, de solitude.


Dialogue maïeutique


Vois-tu, Lucien l’âne mon ami, c’est le destin de celui qui s’égare dans le dédale des langues étrangères afin d’en rapatrier des morceaux dans sa langue usuelle (pas nécessairement maternelle ; pas nécessairement paternelle ; pas même scolaire, rien que la langue dont il use habituellement) que de rencontrer des histoires qui se ressemblent dans des langues multiples et partant, dans des mondes multiples.


Eh, Marco Valdo M.I. mon ami, où veux-tu donc en venir avec ces circonlocutions ?


À ceci, mon ami Lucien l’âne, qu’au moment où je transpose Il faro de Petralana en Le Phare, je suis précisément en train de lire tut un roman sur ce sujet de l’arrivée de l’émigré à New York, via Ellis Island.


Fort bien, répond Lucien l’âne, tout un roman, en voilà une histoire. Sans doute un coïncidence comme il y en a tant. Mais au fait, de quel roman parles-tu ?


Comme tu peux l’imaginer à partir de mes circonlocutions préliminaires, Lucien l’âne mon ami, ce n’est pas une histoire italienne ; elle n’est pas écrite en italien ; elle est racontée en allemand par un émigré et comme presque toujours en cas, elle est partiellement autobiographique. Comme pour les Italiens, les Russes, les Tchèques, les Polonais, les, les, les, arrivés par la même voie, le nom que les désigne est le même, ce sont des « aliens », tel est le mot étazunien qui les désigne. Cependant, tout ne serait pas dit si je ne précisais que ce roman parle des émigrés des années 30-44 du siècle dernier ; quant à l’auteur, c’est celui-là même que j’ai surnommé dans « À l’Ouest » et qui apparaît en compagnie d’Orages d’Acier, alias Ernst Jünger, un autre romancier allemand, nettement plus belliqueux toutefois ; tu auras donc reconnu Erich Maria Remarque.


Pour me souvenir des chansons, je m’en souviens très bien, dit Lucien l’âne, d’autant qu’elles figurent dans les petits livres des Histoires d’Allemagne que tu as si joliment publiés depuis, précisément dans Le Rêve de Guillaume. Pour prouver ma bonne mémoire, je te les cite : Boue, bombe, bruit et brouillard ; Casques à pointe et casques d’acier ; À la prochaine !; Alerte au gaz ! Gaaz ! Gaaaz !, et bien entendu, La Der des der. Et donc, ce roman, dis-moi comment il s’intitule.


Oh, Lucien l’âne mon ami, il ne porte pas un titre très original, mais pourtant terriblement lourd de signification. Il s’intitule en langue originale : « Das gelobte Land », autrement dit, la terre promise et de son titre français : « Cette terre promise ». Et de fait, l’Amérique – et pas seulement les Zétazunis – a longtemps été considérée ainsi. Isaac Asimov dans son autobiographie « I, Asimov » – et en français, « Moi, Asimov », raconte aussi son arrivée – surtout celle de ses parents (car à ce moment, il était un petit enfant de 3 ans) émigrés de Russie. Et je pense qu’il doit y en avoir plein d’autres comme ce roman d’une émigration retournée vers une autre Terre promise qu’est « Le dernier Paradis » d’Antonio Garrido (titre d’origine : El ultimo Paraïso). Mais passons, on n’en finirait pas. Une dernière chose cependant, il est curieux de remarquer que la Statue de la Liberté elle-même est une émigrée française, qui eut bien du mal à se faire accepter sur son île face à Manhattan ; elle faillit même ne pas se faire, car les financiers locaux voulaient la tatouer de leurs noms au prétexte qu’ils donnaient de leurs sacrés dollars. À tel point qu’elle dut s’exposer en morceaux : la tête et même un bras avec son flambeau, pour convaincre des donateurs anonymes.


Oh, la pauvre, elle a dû faire le trottoir en quelque sorte, mendier pour pouvoir être admise, c’est vraiment une émigrée et encore, elle est cantonnée sur une île au large comme tous les émigrés venus par la mer, pauvre femme. Mais, dit Lucien l’âne, comme tu le sais, les histoires de Paradis et de Terre promise se passent toujours très mal. Moi, je me contente d’aller où les sabots me conduisent et de grignoter les chardons du chemin. Pour le reste, tissons le linceul de ce vieux monde aux sempiternelles promesses, menteur, hâbleur, versatile et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane






Le champ de la mer comme une plaine face aux grues
Les remorqueurs s’en vont les yeux pleins de lanternes
Brassant l’écume dans le noir
Sous la statue de votre liberté.
Mais, je ne vois pas de liberté sur ces trottoirs,
Pas plus aujourd’hui que dans le passé.
Je n’entends plus aucun son,
Sans whisky à m’embrouiller,
Sans vin à bercer ma chanson.
Et cette nuit, je vais la passer seul, sans façon,
Dans le Bronx, sur le trottoir, couché.
Sans whisky à m’embrouiller,
Sans vin à bercer ma chanson.
Cette mer m’embrasse comme un frère,
Elle porte en elle des plaintes dans toutes les langues,
Soudain, vient un regret étrange,
Celui de n’avoir pas fumé ensemble.
Un tourbillon inquiétant, un vent doux,
Une caresse inconnue m’appellent en dessous ;
L’eau de mer, cette mère pardonne tout.
La prière ne convient plus
Et à ceux comme moi, elle n’a jamais convenu ;
Aux gens comme moi, elle n’a jamais convenu.

vendredi 31 mai 2019

Je suis un Artiste


Je suis un Artiste


Lettre de prison 29
10 juin 1935





Dialogue Maïeutique


Si tu le veux bien, Lucien l’âne mon ami, je propose de faire une pause dans notre histoire tout comme le fait le Dr. Levi afin de récapituler ce qui s’est passé depuis sa première incarcération en mars 1934. D’abord, il faut distinguer au moins trois périodes. La première incarcération qui est celle qui va de mars à mai 1934, aux Nuove, la prison de Turin. Durant cette période, il est interrogé très ponctuellement par la police politique et par les juges d’instruction turinois. C’est à ce moment que Carlo Levi fait la remarque qu’une partie de la prison est réservée aux prisonniers politiques et prend soudain les allures d’une synagogue. Dans la presse, le gouvernement fasciste dénonce un complot juif, anticipant et probablement, annonçant ainsi les lois raciales de 1938.

Oui, dit Lucien l’âne, je me souviens de cette réflexion d’une ironie amère qu’avait faite alors Carlo Levi. À mon avis, il devait sentir venir l’horreur.
Sans doute, dit Marco Valdo M.I., ces arrestations de groupe étaient-elles des prémices d’autres. Dès cette période aussi, Carlo Levi a mis en place une communication à clé dans ses lettres adressées à sa mère, qui auréolée de l’image italienne de la « mamma » était exclue par définition de la sphère politique et protégée par l’imaginaire « machiste » qui faisait oublier aux policiers qu’Anneta Treves était aussi une militante socialiste et la sœur d’un des dirigeants de Parti socialiste en exil. Donc, dès le départ aussi, Carlo Levi organise sa défense, qui sera reprise et systématisée dans cette canzone sur deux points essentiels : primo : « Je suis peintre, je suis artiste » et corollaire : « Je ne m’intéresse pas à la politique, je n’y connais rien, je suis innocent de ce dont on m’accuse et d’ailleurs, de quoi m’accuse-t-on ? »

Au fait, c’est vrai, dit Lucien l’âne. Moi, j’aurais dit : « Je suis un âne. Je ne sais rien de la politique et de quoi, m’accuse-t-on ? »


Quoique, répond Marco Valdo M.I., je te rappelle aussi la fable de La Fontaine où l’âne tout innocent qu’il est, finit par être qualifié de galeux :

« Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
Qu’il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d’où venait tout leur mal. »

La seconde période, qui va de mai 1934 à mai 1935 est une période de fausse liberté, où le peintre Levi est frappé d’admonition, autrement dit en résidence surveillée, espionné comme toutes ses relations. L’admonition, fausse mesure de clémence, avait vraisemblablement le but de mettre en confiance le suspect et de l’amener à commettre certaines imprudences, qui auraient permis de le confondre et d’établir l’existence du complot. Il n’en a rien été et comme tout ça ne donnait rien, ils auraient eu plus de chances à essayer le spiritisme ancien. Dans les hautes sphères, on s’impatiente, du coup, on arrête à nouveau Carlo Levi.

C’est là, je présume, dit Lucien l’âne, que commence la troisième période.

Tu présumes bien, Lucien l’âne mon mai. Quand on vient le chercher dans son atelier de peintre où il est confiné, Carlo Levi n’est pas véritablement surpris et arrivé à la prison, il retrouve ses vieilles habitudes. Cette fois encore, en dépit des fastidieux interrogatoires, il ne lâche rien. Il argumente avec rigueur. Certes je vivais à Paris, mais c’était là que devait être un peintre, car c’est la capitale artistique du monde. Certes, dit-il, j’ai assisté en juin 1933 à Paris aux funérailles du dirigeant socialiste exilé Claudio Treves, mais c’est mon oncle, le frère de ma mère. Tout doucement, il arrive à convaincre de son innocence les enquêteurs turinois et de ses entretiens avec les commissaires et les fonctionnaires, il retire l’impression qu’il va être libéré.

Et il ne l’est pas, dit Lucien l’âne, mais pourquoi ?

On lui avait annoncé qu’on le libèrerait en fin de journée et quand on vient le chercher. Un coup de théâtre !, répond Marco Valdo M.I., et tout bascule. Rome réclame le suspect Carlo Levi pour le mener devant le Tribunal Spécial où sont condamnés les ennemis du régime fasciste. Ainsi commence la quatrième période par un voyage en cage comme s’il était un animal sauvage qui allait dévorer ses gardes et qui sait, les autres voyageurs à destination de la capitale de l’Impero. Et là, dans un coin pourri de l’ancien couvent, recommence l’isolement. Reprennent les allées et venues dans les locaux de l’Ovra pour les sempiternels et monotones interrogatoires, dont on a retrouvé les procès-verbaux : toujours des soupçons et jamais de preuves.

On en est donc là, dit Lucien l’âne. C’était quand même utile de faire le point. Je m’y retrouve un peu mieux dans cette étrange aventure. En attendant la suite, tissons le linceul de ce vieux monde rancunier, soupçonneux, hargneux, teigneux et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


Qui sait pourquoi
On veut faire de moi
Un être politique,
Moi, que les affaires publiques
N’intéressent pas.

Questions le matin,
Questions l’après-midi,
On ne s’ennuie pas ici.
Que sais-je enfin
De ces lointains cousins ?

L’admonition m’avait cloîtré.
Je voulais même me retirer
À la campagne, chez les termites
Pour vivre en ermite,
Ma vie d’artiste.

De ma retraite volontaire
Pour peindre et méditer,
Me voilà bien récompensé.
C’est le même fonctionnaire
Qui veut encore m’interroger.

On se salue sans défiance
Comme de vieilles connaissances.
Il m’attribue une intelligence
Contraire à l’innocence.
C’est le règne de la confiance.

Moi, je ne veux rien
Savoir du monde politique.
Je ne sais rien, je peins.
Je dis, je redis, je répète :
Je suis un artiste.

jeudi 30 mai 2019

LES INQUISITEURS


 LES INQUISITEURS



Version française – LES INQUISITEURS – Marco Valdo M.I. – 2019
d’après la version italienne de Riccardo Venturi
d’une
Chanson portugaise – Os inquiridores – José Saramago – 1966







Comme on sait, José Saramago a également écrit les Poèmes possibles (Poemas possíveis). Ils ont été publiés en 1966 par Portugália Editora, deux ans avant l’accident domestique (il semble que ce soit une chute dans la baignoire) qui a entraîné la mort du dictateur Salazar. Certains des Poèmes Possibles de Saramago (voir notamment Paula Oliveira : https://www.youtube.com/watch?v=QmfzTswF60s) ont été mis en musique et chantés par Manuel Freire ; voir Ouvindo Beethoven, le célèbre Beethoven du Jour des Surprises (qui serait arrivé quelques années plus tard, exactement huit, le 25 avril 1974 ; et ce fut une assez bonne surprise). Le présent Poème Possible , par contre, je ne sais pas s’il a jamais été mis en musique par qui que ce soit ; mais comme j’ai tant de fois été démenti , qui sait si celle-ci ne l’a pas été. Il parle d’Inquisiteurs. On croit maintenant que les Inquisiteurs appartiennent à un passé très lointain, on pense à Torquemada ou Bernardo Gui du « Nom de la Rose », on imagine des tortures horribles et imaginatives, pourtant les Inquisiteurs ne sont jamais partis. Église ou État, souvent des deux, ils sont toujours là pour nous scruter, nous espionner, nous dicter, nous réprimer et, bien sûr, nous torturer ; maintenant nous leur avons volontiers fourni des outils technologiques impensables, devenant nous-mêmes, dans la pratique, les inquisiteurs et les bourreaux de nous-mêmes. Et oui, il y a des inquisiteurs, des poux de toutes les couleurs. Mais faites attention. J’ai mis ce poème dans la catégorie « anticléricale ».Mais, en portugais, « inquiridores » ne signifie pas seulement « inquisiteurs » ; cela signifie aussi « enquêteurs ». C’est un terme juridique normal et actuel. En portugais, inquisiteurs et enquêteurs sont la même chose ; de quoi réfléchir. [R.V.]






Les poux infestent le monde :
Il n’y a pas une peau qu’ils ne sucent,
Il n’y a pas de secret d’âme qu’ils n’épient,
Un rêve qu’ils ne mordent et ne pervertissent.


Sur nos reins poilus, ils s’amusent
De toutes couleurs, ils nous menacent :
Il y en a des bruns, des verts et des jaunes,
Il y en a des noirs, des gris et des rouges.


Et tous se bagarrent, tous mangent,
De concert, voraces, ils n’entendent
Laisser comme restes de leur dîner,
Sur le désert terrien que des os décharnés.