mardi 23 décembre 2014

CONVERSATION PATRIOTIQUE AU LIT


CONVERSATION PATRIOTIQUE 

AU LIT

Version française – CONVERSATION PATRIOTIQUE AU LIT – Marco Valdo M.I. – 2014
Chanson allemande – Patriotisches Bettgespräch – Erich Kästner – 1930

Viens, soignons le recul de la natalité.
Éteins la lumière,



Et voici, Lucien l'âne mon ami, la chanson intime, au plus intime des moments de vie des humains et des humaines.


Chanson intime ? Moments intimes des humains et des humaines ? Tu ne veux quand même pas me dire que cette chanson se passe dans un lit et au moment intime…


Et bien, si ! C'est très exactement ça et si tu fais bien attention au texte, tu pourras suivre l'action. Ainsi, voici que soudain, il dit :
« Mon membre s'endort - Il se redresse. Ah ! … »
et elle lui répond un peu plus tard :
« Viens, mon trésor, tirons un coup, jouissons ! »


Il est vrai que c'est assez intime, mais en quoi est-ce patriotique ?


Tout simplement car les deux amoureux discutent du fait que le Landtag (le Parlement) et les ministres sont très soucieux de la natalité et condamnent par avance toute pratique qui pourrait ralentir la progression de la population et la fabrication en série d'enfants, si utiles pour les patrons et la nation. C'est une chanson nettement critique à l'égard de la politique nataliste. Politique que décrit si bien Boris Vian dans Le Petit Commerce [[317]], sauf que Erich Kästner écrivait ça en 1930.


J'imagine qu'elle ne devait pas être plus appréciée par les autorités que les chansons de Vian…


En effet… Trois ans plus tard, ils brûlaient les livres de Kästner avec ceux d'autres écrivains… Mais ce n'est pas tout, cette canzone au picrate est déjà une chanson de résistance… dans l'intimité. Et scandaleuse avec ça… Une chanson qui parle d'éjaculation et d'avortement, de personnes qui envisagent de se livrer sans complexe aux joies du coït… et pas seulement. Des gens qui envisagent la vie hors des sentiers battus du K.K.K. (Kinder, Küche, Kirche – Enfant, cuisine, église), que préconisait déjà le Kaiser Wilhelm II. Ce K.K.K. qui deviendra bientôt le leitmotive du délirant Troisième Reich.


Ohlala, dit Lucien l'âne remuant oreilles, tête et queue, on ne peut même plus se livrer aux joies de la conversation intime sans que les autorités politiques et religieuses s'en mêlent. D'ailleurs, ça recommence… Peut-être trouvera-t-on bientôt dans les écoles, dans les classes et jusque les chambres des panneaux « Éjaculation interdite ». Et n'oublie pas, Marco Valdo M.I. mon ami, prends des précautions et éteins la lumière comme il est dit dans la chanson...Non pas pour te voiler la face, si j'ose dire, mais bien pour que les inquisiteurs ne te voient pas dans ces instants de tranquille bonheur ou de furieuse exaltation mystique… du genre de celle qu'atteignait, dit-on, Thérèse ou Mélanie [[9026]]. Moi, je ferme un œil pudique et de l'autre, je veille à ta paisible intimité, afin de prévenir toute intrusion malsaine. Quand tu auras fini, nous tisserons à nouveau le linceul de ce vieux monde nataliste, religieux, militariste et cacochyme.


Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


As-tu lu ce qu'on dit dans le journal, ?
Une fois encore, le Landtag est très préoccupé
Par la diminution de la natalité
Un ministre l'a même déclarée immorale.

De mille Allemands naissent par an
Exactement dix-neuf virgule zéro quatre enfants.
Zéro quatre ! - Et voilà ce que cet homme croit.
Que ça ne peut pas être exact, même un aveugle le voit.
Les enfants après la virgule ne peuvent provenir
Que de lui et des autres ministres.
Et ces morceaux de décimales vont grandir,
Et être à leur tour aussi ministres.

Je te demande, en quoi ça concerne l'homme ?
En fait, comme on éjacule de haut en bas,
Il suffit d'un torchon humide.
Mon membre s'endort - Il se redresse. Ah !

Il a dit aussi : le recul de la natalité –
L'histoire l'enseigne – c'est la fin de l'Allemagne.
Puis, il a déploré ta fausse couche.
Et dit qu'il trouverait horrible qu'on ait avorté.

Ben oui, nous devons fabriquer des enfants
Pour l'industrie et les militaires,
Pour faire baisser les prix et perdre la guerre.
Ah, c'était ton genou. Sois prudent !

Viens, mon trésor, tirons un coup, jouissons !
Ta poitrine est vraiment encore fameuse.
Si nos parents avaient su ce que nous savons :
Qui ne vient pas au monde, ne va pas au chômage.

L'abondance d'enfants ne naît pas de la volonté.
Cachons-nous bien. Je fantasme, lui il tire.
Viens, soignons le recul de la natalité.
Éteins la lumière,
Du Landtag, tenons-nous cachés.


BALLADE DES PENDUS


BALLADE DES PENDUS



Version française –  Ballade des Pendus – Marco Valdo M.I. – 2008.
Chanson italienne – Ballata dei impiccati – Fabrizio De André et Giuseppe Bentivoglio – 1968








Civils pendus par les Allemands et les fascistes en représailles. Figline Valdarno (Florence), 6 septembre 1944. 













Un discours suspendu
par Riccardo Venturi
Figline Valdarno (Florence), 6 septembre 1944. Civils pendus par les Allemands et les fascistes en représailles.

Ce site s'occupe, par définition, de la violence du pouvoir et de la confusion, de la dévastation qu'elle entraîne. Le même mot « guerre », « guerra » en italien, « war » en anglais, [« werra » (en francique)] nous reporte à ceci : elle est l'ancienne racine germanique, tant en italien qu'en anglais, de la confusion, en allemand « Verwirrung ». La confusion, donc, comme élément nécessaire pour que le pouvoir puisse exercer sa violence. Laquelle s'exprime, et il ne pourrait en être autrement, aussi au travers de la peine de mort. La peine capitale, c'est-à-dire primaire, sans retour. Les guerres ne sont rien d'autre que de gigantesques exécutions de masse, de soldats, de civils, de choses, de peuples et de paysages.

On a donc voulu, dans le cadre du nouveau parcours sur la peine de mort, insérer cette chanson de Fabrizio De André. Cette terrible chanson de ce terrible album qu'est Nous mourûmes tous à grand peine. Une chanson qui a des racines très anciennes, car le pendu a, de toujours, quasiment la fonction de condamné à mort « exemplaire », soit en raison de la honte particulière attachée à ce type d'exécution (à l'intérieur-même des condamnations à mort, il y a aussi l'extrême perversion des condamnation « nobles » et des « ignominieuses »), soit en raison des connotations rituelles et magiques qu'elle a assumées depuis les époques révolues. Ce n'est pas par hasard que le Pendu est une carte du tarot. L'afflux de sang soudain et forcé provoque chez l'homme pendu une érection et les femmes sous le gibet touchent le corps du mort pour assurer fécondité et virilité à leur compagnon. L'urine du pendu (une autre réaction physique usuelle) est recueillie et fait l'objet de rituels magiques. Et les pendus deviennent des figures symboliques, des personnages littéraires, des simulacres édifiants. L'arbre des pendus est une des images qui se transmet depuis la nuit des temps, une image en même temps symbolique et bien réelle (voir, par exemple, Strange Fruit).

En particulier, cette chanson de De André provient directement, même s'il n'en reprend pas le texte, de la Ballade des Pendus de François Villon, le grand poète maudit du Moyen-Âge, qui avait vu mourir sur le gibet ses amis. Une poésie qui fut par la suite mise en musique par Louis Bessières et interprétée par Serge Reggiani ; mais les influences villoniennes sont décisives aussi sur Brassens, auteur à son tour de diverses chansons où sont présents les pendus, parmi toutes La messe au pendu.[on ajoutera le merveilleux Verger du Roi Louis]. Mais dans sa chanson, Fabrizio De André va bien au delà. La tradition des pendus veut que ceux-ci, comme du reste beaucoup d'autres condamnés à mort, racontent leur triste vie et les motifs qui les ont conduits au gibet, en cueillant cette dernière occasion de demander pardon à Dieu et aux hommes ("mais priez Dieu que tous nous vueylle absouldre"). De André nous présente des pendus qui ne demandent aucun pardon.

Il nous présente des pendus remplis de fureur et de rancœur. Il nous présente un blasphème, pas une prière. Il nous présente une phrase qui devrait être rappelée à tous les gens qui, dans le monde, encore aujourd'hui, prononcent une condamnation à mort :
Avant même qu'elle fût finie
nous rappelâmes à ceux qui vivent encor
que le prix payé fut notre vie
pour un mal fait en une heure.
On pourrait aller plus loin et rappeler à ceux qui vivent encor, que volontiers et souvent la vie est le prix à payer pour n'avoir rien fait de mal, ni même une heure, ni même une minute. C'est même le prix réservé à celui qui s'est refusé à faire le mal, vu que la pendaison est une des pratiques les plus répandues pour l'exécution des déserteurs. À celui qui donc se refuse à tuer, est réservée la peine ignominieuse. La même appliquée à celui qui combat pour la liberté contre un oppresseur; la photographie ci-dessus n'est qu'une des milliers de preuves à cet égard.

Les pendus de cette chanson sont des hommes jusqu'au bout. Ils ne se prêtent pas à la peur du « divin », même pas au dernier moment. Ils souhaitent unanimement que celui qui les a fait finir de cette façon ait à subir le même destin. [Comme disait Brassens : « Gare au Gorille !!!! »; De André aussi du reste, qui le traduisit... NDT]. Ils en viennent à souhaiter du mal aux croque-morts qui les a enterrés comme si de rien n'était, par profession. Rien n'est plus loin de Brassens et de son humaine compassion pour le « Fossoyeur ». Celle-ci est chanson de rancœur. La rancœur de celui qui se voit arracher la vie par un pouvoir qui a décidé sa mort, peut-être même le même pouvoir qui bredouille de quelque chaire d'église que seul Dieu a le pouvoir de donner et de retirer la vie, mais qui, ensuite, sur terre, agit tout autrement.

C'est un discours suspendu. La douleur ne génère pas ici de la résignation, mais de la rage. La Ballade des Pendus de De André est, dans ce sens, encore une chanson politique. De ces corps qui lancent des coups de pieds au vent, on promet que l'histoire ne se termine pas ici. Elle continue, et continuera pour toujours, en criant contre.




Nous mourûmes tous à grand peine
Engloutissant notre ultime cri.
Balançant des coups de pieds au vent,
Nous vîmes s'estomper la lumière.
Notre hurlement emporta le soleil
Notre air se raréfia.
Des cristaux de mots dirent
Notre ultime blasphème.

Avant même qu'elle fût finie
Nous rappelâmes à ceux qui vivent encor
Que le prix payé fut notre vie
Pour un mal fait en une heure.

Puis nous balançâmes dans le gel
D'une mort sans abandon
En récitant l'antique credo
De ceux qui meurent sans pardon.
Que celui qui se moqua de notre détresse
De notre honte extrême et de notre façon
de suffoquer, connaisse
Le nœud du même étranglement.

Que celui qui répandit la terre sur nos os
Et reprit tranquillement son chemin
Parvienne lui aussi bouleversé à la fosse
Dans le brouillard du petit matin.

Que la femme qui cacha par un sourire
Le désagrément de se souvenir de nous,
Découvre chaque nuit sur son visage
Une insulte du temps et une scorie.
Nous cultivons pour tous une rancœur
Qui a l'odeur du sang perdu.
Ce qu'alors, nous appelions douleur


Est seulement un discours suspendu.