vendredi 1 novembre 2019

La Porte


La Porte

Chanson française – La Porte – Marco Valdo M.I. – 2019

ARLEQUIN AMOUREUX – 7 ter

Opéra-récit historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola « Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J. Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de l'édition française de « LES JAMBES C'EST FAIT POUR CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez Flammarion à Paris en 1979.

Dans les jardins du monastère de Litomysl


Dialogue Maïeutique

L’autre soir, on avait, Lucien l’âne mon ami, laissé notre Arlequin amoureux sur la scène du théâtre du Comte Wallenstein dans une position pour le moins scabreuse. Rappelle-toi que patatras, la statue du Commandeur était tombée de son socle et montrait au public ahuri son derrière, car, souviens-toi, Matthias à qui le Comte avait imposé ce rôle ingrat, s’était présenté aux gens et aux amis du Comte : de dos, à genoux et sans caleçon.

Évidemment que je m’en souviens, répond Lucien l’âne. On n’oublie pas une pareille scène, ni une chanson intitulée : « Une Statue ne porte pas de Caleçon ». J’en ris encore.

Toi, peut-être, répond Marco Valdo M.I., et peut-être même le public osa-t-il le faire après que la Comtesse Hohenfeld, d’ordinaire si rébarbative, ait laissé se déployer son hilarité éclatante. Certainement pas le Comte qui avait renvoyé Matthias sur le champ en lui concédant un viatique de huit piastres – une petite fortune pour notre vagabond. Luigi Sevastiano, maestro in teatro, alias pour l’intime Arlecchino, ainsi banni du château de Litomysl, se réfugie à la taverne où se retrouvent les soldats et les officiers de la garnison. Arlecchino prudent s’est installé à la table près de la porte.

À mon avis, dit Lucien l’âne, cette prudence de principe, ce principe de précaution appliquée est une seconde nature qu’il a dû acquérir au cours de ses années d’errance clandestine. Si je me souviens bien, il s’est écoulé au moins onze ans depuis sa première désertion.

En effet, dit Marco Valdo M.I., et bien lui en a pris, car dans la salle, un officier – présent à Marengo – reconnaît son visage et se dirige vers lui pour l’arrêter. Il ne reste à Arlequin (alias etc.) qu’à sortir sans tarder sous la pluie battante et à fuir dans la ville poursuivi par l’officier et quelques soldats. Cette chasse mène notre déserteur devant la porte du monastère des frères piaristes, où il est bien connu et apprécié du Père Prosper, avec lequel il travaillait au théâtre, qui l’accueille et l’abrite sans poser de question.

Ouf, dit Lucien l’âne, il a eu chaud sous la pluie glaciale, mais tout est bien qui finit bien – au moins pour ce soir-là. Je suis bien content pour le maestro Luigi Matthias Pollo Arlecchino Sevastiano. Maintenant, tissons le linceul de ce vieux monde persécuteur, vindicatif, dangereux et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


À la taverne, les soldats entrent et sortent ;
Matthias songe près de la porte :
Je ne suis pas fait pour l’armée,
Je n’aime ni le fusil, ni l’épée.

Oh, Pollo, c’est toi, tout trempé sur ce banc ?
Oh, Pollo, ne te fais pas de mauvais sang.
Oh, Pollo, mange, bois ta bière, sois patient !
Oh, Pollo, il n’y a rien d’autre à faire par ce temps.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

Pollo, le galonné te reluque
Comme un curé le petit Jésus.
Pollo, ne laisse voir que ta nuque,
Si tu te tournes, tu es perdu.

L’officier se souvient bientôt,
Il se rappelle exactement ce visage :
Ce soldat avait déserté dans le village,
Là-bas en Italie, là-bas, à Marengo.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

Fonce, Matthias, le bruit des pas
Martèle la boue et le pavé derrière toi ;
Vorwärts ! En avant ! Ne le perdez pas !
Arlecchino, mon ami, ne ralentis pas !

Ah, la porte, la porte, Maestro !
La cloche, la cloche, Sevastiano !
Père Prosper, ouvrez, ouvrez !
Entrez donc, mon frère, vous abriter.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

MARENG

MARENG


Version française – MARENG – Marco Valdo M.I. – 2019
d’après la version italienne – MARENGO – de Piero Milanese
d’une chanson piémontaise – MarengPiero Milanese 2011



C’est l’histoire de la bataille de Marengo vue du côté des paysans locaux. Il est écrit en Piemontese mandrogno (Alessandria), dialecte piémontais d’Alexandrie comme « La balada’d Pipu Majen ».


Dialogue maïeutique

Nous connaissons bien ici la bataille de Marengo et son histoire, car comme tu t’en souviens certainement, Lucien l’âne mon ami ; on en avait déjà parlé à l’occasion de la présentation de trois chansons : toutes issues de la saga de notre Arlequin amoureux.

Oui, dit Lucien l’âne, je me souviens parfaitement de tout ça. La première « Marengo » racontait la bataille vue par Matthias, simple soldat de l’armée autrichienne et sa mue en déserteur, dès le soir de la bataille et en fugitif, dès le lendemain matin. La seconde, je veux dire « La Marengo du Lieutenant » rapportait la même bataille, vue par le Lieutenant qui commandait le régiment où était incorporé le futur Arlequin. Quant à la troisième, « Les Coquets Lieutenants », elle narre la défaite autrichienne. En somme, on voit la bataille de Marengo du côté autrichien. C’est évidemment intéressant pour nous qui avons l’habitude de voir ces histoires du côté français.

Ainsi donc, je n’ai pas besoin de trop resituer l’affaire, reprend Marco Valdo M.I. ; mais résumons cependant. Au matin, face à face – mais quand même étalés entre le Piémont, le Milanais et la Ligurie, près de Marengo : l’armée autrichienne sous le commandement de Michael Friedrich Benedikt von Melas, à ce moment Feldmarschall du Saint Empire Romain Germanique, environ 30 000 hommes et l’armée française du Premier Consul Napoléon Bonaparte, environ 22 000 hommes. À midi : victoire autrichienne. Au soir : Bonaparte finit par l’emporter. Pour le maréchal autrichien, c’est la déroute et la capitulation. Son armée se replie vers l’Est au-delà du Mincio. Pendant ce temps, notre futur Arlequin s’est planqué dans une grange à Marengo et attend la nuit pour déserter, espérant qu’on le tiendrait pour mort.

Oui, répond Lucien l’âne, je savais vaguement tout cela, mais par contre, je ne sais toujours rien de la chanson que tu viens de versifier en français.

En effet, dit Marco Valdo M.I., mais je vais combler cette lacune sur le champ. Voici une quatrième chanson à propos de la bataille de Marengo. Elle s’intitule « Mareng » ; c’est le nom en piémontais du village de Marengo, actuellement Spinetta Marengo, incorporé à la ville d’Alessandria. C’est la même bataille de la mi-juin 1800, vue cette fois par les paysans de Mareng. C’est une vision de spectateurs, fortement inquiets et soucieux de se tenir à l’écart de la bataille, qui dans le fond, ne les concerne pas. Sauf évidemment, si on se place d’un point de vue plus général ; par exemple, celui qui transparaît à la fin de la chanson :

« Vie de paysan, terrible destin :
Les combats des soldats venus de loin
Ont détruit la vigne et les ceps sont écrasés.
Cet automne, il faudra arracher les pieds et semer le blé. »

Il y a là deux mondes qui se croisent sans jamais s’interpénétrer, si ce n’est à la marge quand les paysans viennent aider les soldats à remettre la charrette sur la route, comme ils l’auraient fait pour n’importe quelle charrette en difficulté. Deux mondes : le monde immobile, immédiat et en quelque sorte, apolitique, sans État, car lié à la terre, le monde des paysans et celui évanescent, toujours mouvant, assez hasardeux des États, des nations, des institutions, un monde administratif et urbain. C’est une autre version du « Cristo si è fermato a Eboli », roman écrit un siècle et demi plus tard par le Piémontais Carlo Levi.

Oui, dit Lucien l’âne, ce fut toujours ainsi partout. Les paysans regardent passer les armées ; une fois dans un sens, une fois dans l’autre ; ils regardent aussi tomber les bombes, ils regardent brûler leurs villages, tuer leurs enfants ; puis, ils reprennent leur vie et recommencent à choyer la terre, qui les fait vivre. Xénophon racontait déjà cette histoire dans son Anabase ; les armées finissent toujours par se dissoudre dans le paysage. Et nous nous tissons le linceul de ce vieux monde guerrier, volatil, évanescent, passager et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Les ombres longues des étés lointains,
Les odeurs des terres rouges de Fraschette,
Les clochers des villages, le laïus des cloches,
Et tous ces gens autour d’une charrette


De soldats français avec ses roues dans le trou.
« Donnons un coup de main, poussons tous ensemble.
Attention que les caisses ne tombent pas sur nous ;
Il n’y a rien à faire, c’est un vrai problème. » 


« Vite, Félix va chercher deux bœufs.
Écoutez ces échos de Bormida, ce sont les canons.
Ces Français sont pressés ; sous peu,
Sur la grande route, il y aura de l’animation. »


« Merci messieurs ! », dit un officier en passant ;
Il remercie les paysans pour la charrette
Remise sur le chemin ; éperonnant,
Il repart vers la fusillade à l’Épinette.


La musique des fusils, la grosse caisse des canons,
Le boucan gronde toujours plus fort ;
La campagne est devenue un grand sablon
Pour une folle fête, la Foire de la Mort.


À chaque instant, on tue sur cette terre.
L’été a mal commencé son voyage
Et des soldats venant de Voguère
Au pas de course, traversent le village.


Les escadrons français avancent sur la route de Tortona :
Infanterie, grenadiers, tirs de canon,
La fanfare qui sonne la musique et la confusion,
Et Napoléon à cheval au milieu de tout ça.


La tempête de la bataille approche.
« J’en ai déjà vu tout un tas fuyant.
Femmes courez aux écuries, à la cave !
Cachez-vous bien, ne laissez pas sortir les enfants ! »


Un nuage de cavaliers sort d’un songe
Comme des loups, hors de la broussaille.
Ils viennent de Pozzolo vers Mandrogne :
Trompettes, cris, lueurs, sabres : bataille.


Vagues de chevaux, tremblement de terre,
Poussière rouge plus haute que les mûres,
Bruit de lames, horreurs de la guerre, jurons,
Jets de sang, écume de rage et destruction.


Puis, un silence de mort couvre tout :
Les lamentations des blessés, les cris de corneilles,
Les fossés, les champs, les plantes, tout
Et couleur sang, va mourir le soleil.


Vient la nuit qui cache, le hibou qui chante.
Les sabots des chevaux qui courent, les derniers drapeaux,
Le général tué dans la Vigne Sainte :
On dit qu’il était jeune, on dit qu’il était beau.


Vie de paysan, terrible destin :
Les combats des soldats venus de loin
Ont détruit la vigne et les ceps sont écrasés.
Cet automne, il faudra arracher les pieds et semer le blé.