Notre Peau
Chanson
française –
Notre
Peau
–
Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux – 82
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – III, XXXVIII)
Ulenspiegel le Gueux – 82
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – III, XXXVIII)
Dialogue
Maïeutique
Lors
donc, Lucien l’âne, mon ami, le pèlerinage de Till continue et
comme il est apparu jusqu’à présent, il menace de durer encore
longtemps. Au moins tant que les Pays n’auront pas retrouvé leurs
libertés et tant que durera la
Guerre de Cent Mille Ans, car Till et Lamme sont comme
toi des personnages immortels et d’une certaine manière, dans les
limites de la durée de l’espèce ; bref, tant qu’il y aura
des hommes. C’est précisément ce que raconte la chanson, perdue
parmi les autres, elle dit le lent écoulement de l’histoire, de
toutes les histoires.
Oh,
dit Lucien l’âne, avec tout ce bel exergue, je ne sais toujours
pas de quoi cause cette canzone et cependant, crois-moi, c’est tout
ce qui m’importe.
Principalement,
dit Marco Valdo M.I., elle donne à Lamme et à Till des nouvelles de
la guerre et elle confronte les deux tempéraments : celui de
Till, le volontaire et celui de Lamme, le malgré lui.
Oui,
certes, et comment, Marco Valdo M.I. mon ami, mais veux-tu bien
m’expliquer – car tu le sais, c’est ma marotte – le curieux
titre de la chanson : Notre Peau. D’autres en font fait toute une
histoire terrifiante à bien des égards, mais c’était dans une
autre guerre, dans une guerre plus récente – on y voyait tout ce
qui se passe sous
le manteau de la guerre. Alors, la peau : la peau
de qui ? La peau de quoi ?
Bien
sûr, Lucien l’âne mon ami, de quelle peau s’agit-il ? Ce
titre n’est pas sans signification, ni sans profondeur. Dans cette
guerre de libération face à l’occupant espagnol et à
l’Inquisition catholique, les Gueux – après avoir subi une série
de terribles revers sur terre, n’ont comme espoir que de mener la
guerre sur mer, de harceler les navires espagnols et de bloquer les
ports – notamment, Anvers ; de là par la suite, naîtra un
empire, mais il ne sera plus alors question de Till, ni de la lutte
de liberté. En attendant, pour commencer il faut faire des bateaux
et trouver des équipages. Il y faut de l’argent, beaucoup
d’argent. Mais les pauvres Gueux, comme le sont Till et Lamme,
n’ont que peu de florins à offrir et ensuite, il ne leur reste que
leur peau. Ainsi, en va-t-il dans toutes les guerres. Les pauvres
paient leur dette au malheur avec leur peau et de peau, chacun n’en
a qu’une.
C’est
aussi le cas des ânes, Marco Valdo M.I. mon ami et les ânes, les
Chinois les poursuivent partout dans le monde (il s’en tue des
millions chaque année) pour les dépouiller de leur peau – la
seule qu’ils ont, pour en faire une poudre de perlimpinpin et dans
la foulée, ils les dépouillent de leur vie – la seule qu’on a,
et qu’âne, homme ou Chinois, on aimerait bien vivre
tranquillement. Lors donc, voyons la chanson et reprenons notre tâche
et tissons le linceul de ce vieux monde idiot, crétin, imbécile,
mortifère, trop riche et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Continue
le pèlerinage de liberté,
Tout
au travers de l’été
S’en
vont Till et Lamme
D’un
même pas vers Damme.
Trois
plumes de coq au chapeau,
Un
cavalier déboule du bout du chemin.
Till
fait chanter l’alouette du matin,
Chantecler
répond aussitôt.
« Quelles
nouvelles, cavalier impétueux ? »
« Nouvelles
grandes et fières :
De
nouvelles flottes de guerre
Vont
affronter les tempêtes et les cieux.
Pour
ce faire, en vérité,
Le
prince, tout son avoir a donné :
Cinquante
mille florins bien comptés
Pour
les navires de liberté. »
Till
dit : « J’ai ici cinq cents florins.
C’est
peu, mais on offre notre peau. »
« Portez-les
à la mer et faites-vous marins ! »
Dit
l’homme à trois plumes au chapeau.
« On
n’entend que sacs, massacres et misères.
Orange
se ruine, Orange est à terre.
Où
sont ma femme et la fin de la guerre ? »
Dit
Lamme. Tout ça le désespère.
« Comme
le chêne qu’on abat, Orange est à terre.
Avec
ce bois, on fait les navires et les mats ;
Ils
mènent les Gueux de mer,
Dit
Till, couler les armadas du roi. »
Lamme
dit : « Aux pieds, j’ai un carillon de cloches.
J’ai
peine à marcher. » « Oh, dit Till, c’est moche.
Il
n’y a plus de danger, allons au marché chercher
Deux
beaux ânes tout harnachés. »
Jef
et Jean retrouvés,
Till
et Lamme s’en vont montés
Jambe
de-ci, de concert ;
Jambe
de-là, vers la mer.
Le
long du canal, il y a un bois.
Cherchant
l’ombre, ils y entrent.
« Ne
vois-tu rien là-bas, ami Lamme ? »
Lamme
tremble et dit : « C’est ma femme ! ».