jeudi 23 août 2018

Notre Peau


Notre Peau


Chanson française – Notre Peau – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux –
82
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel –
III, XXXVIII)





Dialogue Maïeutique

Lors donc, Lucien l’âne, mon ami, le pèlerinage de Till continue et comme il est apparu jusqu’à présent, il menace de durer encore longtemps. Au moins tant que les Pays n’auront pas retrouvé leurs libertés et tant que durera la Guerre de Cent Mille Ans, car Till et Lamme sont comme toi des personnages immortels et d’une certaine manière, dans les limites de la durée de l’espèce ; bref, tant qu’il y aura des hommes. C’est précisément ce que raconte la chanson, perdue parmi les autres, elle dit le lent écoulement de l’histoire, de toutes les histoires.

Oh, dit Lucien l’âne, avec tout ce bel exergue, je ne sais toujours pas de quoi cause cette canzone et cependant, crois-moi, c’est tout ce qui m’importe.

Principalement, dit Marco Valdo M.I., elle donne à Lamme et à Till des nouvelles de la guerre et elle confronte les deux tempéraments : celui de Till, le volontaire et celui de Lamme, le malgré lui.

Oui, certes, et comment, Marco Valdo M.I. mon ami, mais veux-tu bien m’expliquer – car tu le sais, c’est ma marotte – le curieux titre de la chanson : Notre Peau. D’autres en font fait toute une histoire terrifiante à bien des égards, mais c’était dans une autre guerre, dans une guerre plus récente – on y voyait tout ce qui se passe sous le manteau de la guerre. Alors, la peau : la peau de qui ? La peau de quoi ?

Bien sûr, Lucien l’âne mon ami, de quelle peau s’agit-il ? Ce titre n’est pas sans signification, ni sans profondeur. Dans cette guerre de libération face à l’occupant espagnol et à l’Inquisition catholique, les Gueux – après avoir subi une série de terribles revers sur terre, n’ont comme espoir que de mener la guerre sur mer, de harceler les navires espagnols et de bloquer les ports – notamment, Anvers ; de là par la suite, naîtra un empire, mais il ne sera plus alors question de Till, ni de la lutte de liberté. En attendant, pour commencer il faut faire des bateaux et trouver des équipages. Il y faut de l’argent, beaucoup d’argent. Mais les pauvres Gueux, comme le sont Till et Lamme, n’ont que peu de florins à offrir et ensuite, il ne leur reste que leur peau. Ainsi, en va-t-il dans toutes les guerres. Les pauvres paient leur dette au malheur avec leur peau et de peau, chacun n’en a qu’une.

C’est aussi le cas des ânes, Marco Valdo M.I. mon ami et les ânes, les Chinois les poursuivent partout dans le monde (il s’en tue des millions chaque année) pour les dépouiller de leur peau – la seule qu’ils ont, pour en faire une poudre de perlimpinpin et dans la foulée, ils les dépouillent de leur vie – la seule qu’on a, et qu’âne, homme ou Chinois, on aimerait bien vivre tranquillement. Lors donc, voyons la chanson et reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde idiot, crétin, imbécile, mortifère, trop riche et cacochyme.


Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Continue le pèlerinage de liberté,
Tout au travers de l’été
S’en vont Till et Lamme
D’un même pas vers Damme.

Trois plumes de coq au chapeau,
Un cavalier déboule du bout du chemin.
Till fait chanter l’alouette du matin,
Chantecler répond aussitôt.

« Quelles nouvelles, cavalier impétueux ? »
« Nouvelles grandes et fières :
De nouvelles flottes de guerre
Vont affronter les tempêtes et les cieux.

Pour ce faire, en vérité,
Le prince, tout son avoir a donné :
Cinquante mille florins bien comptés
Pour les navires de liberté. »

Till dit : « J’ai ici cinq cents florins.
C’est peu, mais on offre notre peau. »
« Portez-les à la mer et faites-vous marins ! »
Dit l’homme à trois plumes au chapeau.

« On n’entend que sacs, massacres et misères.
Orange se ruine, Orange est à terre.
Où sont ma femme et la fin de la guerre ? »
Dit Lamme. Tout ça le désespère.

« Comme le chêne qu’on abat, Orange est à terre.
Avec ce bois, on fait les navires et les mats ;
Ils mènent les Gueux de mer,
Dit Till, couler les armadas du roi. »

Lamme dit : « Aux pieds, j’ai un carillon de cloches.
J’ai peine à marcher. » « Oh, dit Till, c’est moche.
Il n’y a plus de danger, allons au marché chercher
Deux beaux ânes tout harnachés. »

Jef et Jean retrouvés,
Till et Lamme s’en vont montés
Jambe de-ci, de concert ;
Jambe de-là, vers la mer.

Le long du canal, il y a un bois.
Cherchant l’ombre, ils y entrent.
« Ne vois-tu rien là-bas, ami Lamme ? »
Lamme tremble et dit : « C’est ma femme ! ».