LE
CRABE ET LE KANGOUROU
Version
française – LE CRABE ET LE KANGOUROU – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson
allemande - Ein
Taschenkrebs und ein Känguruh - Joachim
Ringelnatz (Hans Gustav Bötticher) – 1912
Joachim Ringelnatz, 1883-1934, de son vrai nom Hans Gustav Bötticher, est un écrivain, un artiste de music-hall et un peintre allemand qui dut sa notoriété principalement à ses poèmes humoristiques autour du personnage de Kuttel Daddeldu.
Mariage
|
Dialogue maïeutique
Cette
fois, Lucien l’âne mon ami, bien qu’il s’agisse d’une
histoire de 1912, elle a tout l’air d’être d’aujourd’hui.
Autant
dire, Marco Valdo M.I. mon ami, qu’en plus de cent ans, on n’a
pas beaucoup progressé.
Exactement !
C’est ce je pense aussi, quoique, Lucien l’âne mon ami, il nous
faudra nuancer le propos et comme il apparaîtra, ce n’est pas ici
une affirmation chèvrechoutiste. Donc, la chanson raconte l’histoire
d’une rencontre, c’est une histoire d’amour et c’est une
histoire tragique.
Voilà
qui devrait plaire, dit Lucien l’âne tout doucement, car les
histoires de rencontre, les histoires d’amour – qui plus est,
tragiques, plaisent toujours énormément. Il suffit de voir la place
qu’elles prennent dans la rumeur, les commérages, le théâtre,
l’opéra, le roman, le cinéma, la presse, les gazettes, la
télévision et que sais-je encore. Eh oui, c’est l’amour,
toujours l’amour. Mais, donne-moi des détails, j’en suis très
friand, car je suis curieux autant qu’il est possible quad il est
question de choses amoureuses.
Ah,
je le savais que ce genre de choses allait déchaîner les passions
et pour satisfaire ta curiosité, je ’en vais avant toute chose te
détailler l’anecdote. C’est la triste aventure d’un crabe et
d’un kangourou qui décident de s’épouser. Par parenthèse, on
ne sait s’il s’agit de :
-
un kangourou et une crabe
-
une kangourou et un crabe
-
un kangourou et un crabe
-
une kangourou et une crabe,
la
chose n’est précisée nulle part et c’est d’autant mieux, car
tous les cas peuvent être rencontrés en même temps.
Nos
deux héroïnes-héros tragiques s’en vont donc trouver le maire de
l’endroit en vue des épousailles et celui-ci leur signifie son
refus de les marier au prétexte qu’ils ne sont pas semblables.
Oh,
mais Marco Valdo M.I., c’est courant chez les humains, je te cite
des raisons de mémoire : ils ne sont pas de même religion, ils
ne sont pas de même couleur, ils ne sont pas de la même caste, ils
ne sont pas de la même « race » et sans doute, en
existe-t-il encore d’autres de bonnes mauvaises raisons. Mais
alors, que font nos deux tourtereaux ?
C’est
là que la chose devient tragique, car ils se pendent à l’entrée
de la mairie.
Déjà ? !,
dit Lucien l’âne en ouvrant des yeux grands comme le lac Baïkal.
En
effet, c’est un peu rapide, mais la chanson est très courte. C’est
le genre particulier de cette forme de chanson de Ringelnatz ;
c’est un style percutant.
Pour
être percutant, il l’est. C’est une histoire tragique, certes,
mais biscornue et sa fin est épouvantable.
Oh,
des histoires semblables, il y en a eu beaucoup et il y en a encore
beaucoup à présent ; elles ne finissent plus toutes aussi mal.
Enfin, ça dépend des endroits. Dans nos régions, les choses
évoluent et on a fini par accepter des mariages qui étaient
absolument prohibés au temps de la chanson. Et si ce n’est pas
encore vrai partout, on peut espérer que l’humanité se civilise
un peu avec le temps.
C’est
évidemment souhaitable, dit Lucien l’âne. Cependant, j’ai
entendu dire, lors de mes récentes pérégrinations, que dans
certains pays, il ne fait pas bon d’être « original »,
ou simplement d’avoir l’air de sortir de l’orthodoxie ambiante.
Et tu sais, Marco Valdo M.I. mon ami, à nos yeux d’ânes, ce monde
est véritablement malade dans sa tête et atteint de troubles
psychiatriques profonds. Courteline l’avait déjà noté, le monde
a :
« une
araignée dans le plafond, une punaise dans le bois de lit, et un rat
dans la contrebasse ! »
Excellente
citation, s’écrie Marco Valdo M.I., je l’aime beaucoup, car
cette courte chanson de Ringelnatz sonne comme en écho à cette
sentence bien méditée et il me faut ajouter que je suis assez
perplexe face à certaines coïncidences.
Marco
Valdo M.I. mon ami, dit Lucien l’âne en levant des oreilles en
points d’interrogation et d’exclamation, je n’y comprends
goutte à ces coïncidences mystérieuses. De quoi est-il question ?
Quelles sont-elles ?
Eh
bien, Lucien l’âne mon ami, je t’en donne immédiatement un
fameux exemple. Cette rencontre d’un(e) crabe et d’un(e)
kangourou vient peu de temps après qu’un éditeur parisien ait
publié en 1911 (à titre posthume) un texte d’Alfred Jarry, le
père du Roi Ubu lui-même, intitulé : « Le Homard et la boîte
de corned-beef que portait le docteur Faustroll en sautoir »,
qui devait dater de 1898. C’est elle aussi une histoire courte que
je m’empresse de te lire – ça ne prend que quelques instants :
«
Le Homard et la boîte de corned-beef que portait le docteur
Faustroll en sautoir
Une boîte de corned-beef, enchaînée comme une lorgnette,
Vit passer un homard qui lui ressemblait fraternellement.
Il se cuirassait d’une carapace dure
Sur laquelle était écrit à l’intérieur, comme elle, il était sans arêtes,
(Boneless and economical) ;
Et sous sa queue repliée
Il cachait vraisemblablement une clef destinée à l’ouvrir.
Frappé d’amour, le corned-beef sédentaire
Déclara à la petite boîte automobile de conserves vivante
Que si elle consentait à s’acclimater,
Près de lui, aux devantures terrestres,
Elle serait décorée de plusieurs médailles d’or. »
Une boîte de corned-beef, enchaînée comme une lorgnette,
Vit passer un homard qui lui ressemblait fraternellement.
Il se cuirassait d’une carapace dure
Sur laquelle était écrit à l’intérieur, comme elle, il était sans arêtes,
(Boneless and economical) ;
Et sous sa queue repliée
Il cachait vraisemblablement une clef destinée à l’ouvrir.
Frappé d’amour, le corned-beef sédentaire
Déclara à la petite boîte automobile de conserves vivante
Que si elle consentait à s’acclimater,
Près de lui, aux devantures terrestres,
Elle serait décorée de plusieurs médailles d’or. »
Moi,
dit Lucien l’âne, j’aimerais, quitte à froisser ta modestie,
j’aimerais rappeler une de tes chansons, écrite il y a quelques
années, c’était une histoire de mariage entre des gens fort
semblables, quant au genre ; elle s’intitulait ON
VA SE MARIER .
Comme quoi, pour certains, le refus du mariage tient au fait qu’ils
sont différents et pour d’autres, le refus tient au fait qu’ils
sont semblables. Allez comprendre les lubies humaines.
Avant
que tu conclues, Lucien l’âne mon ami, dit Marco Valdo M.I., il me
plaît de proclamer une dernière indication pour situer clairement
notre position. À toutes fins utiles et pour qui de droit, je
signale définitivement que nous n’avons – en ce qui nous
concerne – ni l’intention de nous marier, ni celle de nous
pendre.
Enfin,
écoutons la chanson du Crabe et du Kangourou, sans distinction de
genre, de sexe et de nationalité ; puis, reprenons notre tâche
et tissons le linceul de ce vieux monde engoncé dans ses préjugés,
malade de ses religions, coincé dans ses usages, paralysé par ses
coutumes et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Le
kangourou et le crabe
En
justes noces voulaient convoler.
Les
autorités refusèrent de les marier,
Car,
disaient-elles, ils n’étaient pas semblables.
En
rage, ils s’écrièrent : « Putain de Dieu
Quelle foutue bureaucratie ! »
Et à la porte de la mairie,
Ils se pendirent tous les deux.
Quelle foutue bureaucratie ! »
Et à la porte de la mairie,
Ils se pendirent tous les deux.