TROC-BROC
Version
française- TROC-BROC – Marco Valdo M.I. - 2016
Chanson
allemande –
Tausch-Rausch
– Die Hinterbliebenen
– 1946
Une
chanson de Heinz Hartwig pour le Reisekabarett,
le cabaret itinérant “Die Hinterbliebenen” – « Les
Survivants ».
« Die
Hinterbliebenen » a été un groupe d’artistes allemands
agressifs, féroces et des irrévérencieux qui entre 1946 et 1949
décrivirent sans aucune retenue, l’Allemagne sortie en ruines de
la guerre. En plus d’Heinz Hartwig, journaliste et écrivain
satirique berlinois, « Die Hinterbliebenen » comptaient
parmi eux l’acteur viennois Roman Sporer et le réalisateur Hans
Albert Schewe, auquel s’ajouta ensuite Gerhart Herrmann Mostar à
sa rentrée de son exil en Yougoslavie :
« C’est
nous les survivants,
De partout nous sommes .
Nous
poursuivons l’art libre
Que nous cherchons de tous côtés.
Nous
cherchons à apprendre
Le grand art de penser ! »
Die
Hinterbliebenen (« Les Survivants ») s’arrêtaient
partout où il y avait un local disponible ; ils se
considéraient comme la voix du peuple, les juges de leur temps, en
somme une sorte de Pasquino (personnage romain imaginaire incarné
dans une statue antique, qui a comme mission de dénoncer les abus et
les travers du pouvoir – à l’origine, pontifical) de l’époque.
Les
chansons de Hartwig et de Mostar ne s’arrêtaient devant rien,
allaient avec leurs vers ironiques droit au cœur du problème :
Hitler et le nazisme, avec toutes leurs tragiques implications,
n’étaient pas tabous ; il n’y avait alors même pas un
phénomène pressant comme celui du néonazisme qui, paradoxalement,
serpentait déjà au travers de l’Allemagne quand l’écho de la
guerre n’était pas encore pas éteint !
La
faim était toujours un sujet à l’ordre du jour au
« Reisekabarett » (cabaret itinérant) de cette première
année de l’après-guerre. Dans un hiver où le froid avait atteint
des records jamais vus, on donnait son âme pour un peu de
nourriture, on faisait n’importe quoi pour se procurer les produits
de première nécessité. Elle envahissait dans toute l’Allemagne
le Tausch Rausch, « La fièvre du troc », titre de cette
chanson hilarante de Heinz Hartwig :
Offre
belle-mère apoplectique
Contre beurre bien frais,
Rouleau
papier hygiénique
Contre vers bien faits.
Reichstag hors
service
Contre Parlement,
Führer contre Président.
Zone
russe contre angliche.
Femme arienne contre sémite,
Bavaroise
contre prussienne,
Chemise brune contre caleçon.
Et en
somme, résumons :
Troque le monde qui ne tourne pas
Contre
un billet pour l’enfer.
Introduction
tirée
de « Kabarett ! Satire, politique et culture allemande en scène
de 1901 à 1967 », par Paola Sorge, LIT Éditions 2015 (je dois
dire que dans ce livre, fort
précieux
et intéressant, souvent et volontiers sont présentées
des
traductions très libres sans la possibilité de confronter les avec
les textes des originaux. Même dans
le
cas de ce « Tausch Rausch » la traduction (italienne)
correspond
seulement
en partie au texte original de
la
source citée… Peut-être, il
n’en
existait plus de versions improvisées… Je
ne
sais
pas… ndr)
(Commentaire
italien)
Dialogue
maïeutique
Mon
ami Lucien l’âne, je suis placé devant un problème pour lequel
je vais solliciter à l’instant ton avis. Pour ce faire, j’ai
pris la peine de traduire le commentaire italien afin que tu en aies
connaissance, car il me faut le commenter afin d’introduire
valablement ma version française.
Marco
Valdo M.I. mon ami, je veux bien répondre à toutes tes questions et
interrogations, même si – comme je le pense par avance cette fois
– tu pourrais te passer joyeusement de mon avis et de tout avis
généralement quelconque.
Ce
n’est pas qu’il y ait beaucoup de réticences de ma part
vis-à-vis de ce qu’a dit le commentateur italien ; bien au
contraire, il situe assez bien les choses et je n’aurai donc qu’à
ajouter à ses propos. D’abord et avant d’aller au fait, je
voudrais insister sur cette période de l’immédiat après-guerre
en Allemagne, car on a du mal à s’imaginer la chose aujourd’hui,
on a du mal à concevoir l’Allemagne comme un pays en ruines,
plongée dans le chaos (pour la seconde fois en un demi-siècle), la
population masculine décimée par la guerre, la famine, le dénuement
généralisé, à tout cela venant s’ajouter l’occupation et
l’emprisonnement de millions de gens soupçonnés à raison
souvent, parfois à tort de collusion avec le nazisme. Il s’agissait
de faire le tri ; on les relâcha après enquête, mais il a
fallu du temps pour tirer toutes les conclusions du fameux
« questionnaire » – 250 questions, auquel chacun de ces
prisonniers était prié de répondre intégralement. Tel est le
décor sur le fond duquel va se déployer l’art de ces comédiens
itinérants.
Ce
n’était d’ailleurs pas là un phénomène nouveau que ces
troupes itinérantes ; c’était la renaissance d’une
tradition assez ancienne. J’en ai souvent accompagné moi-même
déjà dans l’antiquité, quand j’accompagnais Thespis, quand je
courais sur les franges des trois continents. Puis, au Moyen-Âge
quand je courais l’Europe à la suite de Till, avec les petites
troupes en chariot comme celle de Molière du temps où il ne l’était
pas encore, puis avec Fracasse.
D’ailleurs,
Lucien l’âne mon ami, que faisons-nous d’autre que ce que
faisait le grand Lope de Ruega, dont Cervantès lui-même disait le
plus grand bien. Écoute ceci, qu’on m’a rapporté : « Aux
temps de ce célèbre espagnol, tous les effets de mise en scène
d’un auteur de comédie tenaient dans un sac, et se résumaient à
peu près à quatre pelisses
blanches
garnies
de pièces de cuir doré et de quatre barbes et perruques ainsi que
quatre houppettes. Les comédies étaient des discussions, comme
églogues,
entre deux ou trois bergers et une bergère ; on les ornait et
dilatait de deux ou trois intermèdes… »
C’est
assez proche de nos dialogues.
Comme
si je l’ignorais, Marco Valdo M.I. mon ami. Je le sais aussi bien
que toi que nous sommes des marionnettes ou des comédiens et qu’il
nous faut tout juste jouer notre rôle. Et c’est bien ainsi,
d’ailleurs. Mais, fin de parenthèse et revenons à cette histoire
de troc.
Donc,
Lucien l’âne mon mai, dans ce décor lugubre, fait de ruines, de
froid et de faim, une troupe de comédiens, aussi affamés que le
reste de la population, se propose de troquer tout ce qu’ils ont,
c’est-à-dire une fois encore, tout ce que l’Allemagne, les gens
d’Allemagne ont contre du comestible ou du confortable. Mais
l’histoire commence par une justification de cette pénible
obligation de liquidation générale des gloires nationales et de
retour dans la dérision de l’Allemagne préhistorique de
Neandertal, telle qu’elle était mythifiée par l’antrustion
d’Hitler, le dénommé Alfred Rosenberg, le grand théoricien de la
race aryenne. Pour le reste, tout me paraît clair.
Alors,
sourit Lucien l’âne, reprenons notre tâche et tissons, comme
d’honnêtes canuts, le linceul de ce vieux monde plein de guerres,
de tueurs, de faim, de froid, chaotique et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
On
était encore des cannibales
Et des hommes préhistoriques
de Neandertal.
L’argent liquide n’était
pas encore en usage,
On troquait
– et ça allait
pas mal.
Alors
Adolf est venu en
trench brun,
On eut
là un surhomme.
On a eu de l’argent
en espèces et en chèques
Et on a obtenu de la saleté en
échange.
Quand l’Adolf est tombé,
l’argent aussi a chuté :
Tout
va ainsi dans
le monde.
Et aujourd’hui, on troque
à nouveau,
Comme
au temps de
Neandertal.
Échange
grands dirigeants
Contre dix étudiants bruyants.
Insigne
Hermann Göring en
dentelles
Contre ruban
arbre de Noël.
Souci
de Mamy
Cherche
ami ricain, offre nazi
Offre
un billet de tram
Contre deux billets de théâtre.
À
celui qui a le
cœur meurtri,
Offre
mon insigne de
parti.
Reichstag
contre Parlement
Führer contre
Président.
Chemise brune contre pagne
Ou grands
discours
Contre
messages courts.
Une chanson de Heinz Hartwig pour le Reisekabarett, le cabaret itinérant “Die Hinterbliebenen” – « Les Survivants ».
« C’est nous les survivants,
De partout nous sommes .
Nous poursuivons l’art libre
Que nous cherchons de tous côtés.
Nous cherchons à apprendre
Le grand art de penser ! »
Die Hinterbliebenen (« Les Survivants ») s’arrêtaient partout où il y avait un local disponible ; ils se considéraient comme la voix du peuple, les juges de leur temps, en somme une sorte de Pasquino (personnage romain imaginaire incarné dans une statue antique, qui a comme mission de dénoncer les abus et les travers du pouvoir – à l’origine, pontifical) de l’époque.
La faim était toujours un sujet à l’ordre du jour au « Reisekabarett » (cabaret itinérant) de cette première année de l’après-guerre. Dans un hiver où le froid avait atteint des records jamais vus, on donnait son âme pour un peu de nourriture, on faisait n’importe quoi pour se procurer les produits de première nécessité. Elle envahissait dans toute l’Allemagne le Tausch Rausch, « La fièvre du troc », titre de cette chanson hilarante de Heinz Hartwig :
Contre beurre bien frais,
Rouleau papier hygiénique
Contre vers bien faits.
Reichstag hors service
Contre Parlement,
Führer contre Président.
Zone russe contre angliche.
Femme arienne contre sémite,
Bavaroise contre prussienne,
Chemise brune contre caleçon.
Et en somme, résumons :
Troque le monde qui ne tourne pas
Contre un billet pour l’enfer.
Introduction tirée de « Kabarett ! Satire, politique et culture allemande en scène de 1901 à 1967 », par Paola Sorge, LIT Éditions 2015 (je dois dire que dans ce livre, fort précieux et intéressant, souvent et volontiers sont présentées des traductions très libres sans la possibilité de confronter les avec les textes des originaux. Même dans le cas de ce « Tausch Rausch » la traduction (italienne) correspond seulement en partie au texte original de la source citée… Peut-être, il n’en existait plus de versions improvisées… Je ne sais pas… ndr)
Et des hommes préhistoriques de Neandertal.
L’argent liquide n’était pas encore en usage,
On troquait – et ça allait pas mal.
Alors Adolf est venu en trench brun,
On eut là un surhomme.
On a eu de l’argent en espèces et en chèques
Et on a obtenu de la saleté en échange.
Quand l’Adolf est tombé, l’argent aussi a chuté :
Tout va ainsi dans le monde.
Et aujourd’hui, on troque à nouveau,
Comme au temps de Neandertal.
Échange grands dirigeants
Contre dix étudiants bruyants.
Insigne Hermann Göring en dentelles
Contre ruban arbre de Noël.
Cherche ami ricain, offre nazi
Offre un billet de tram
Contre deux billets de théâtre.
À celui qui a le cœur meurtri,
Offre mon insigne de parti.
Führer contre Président.
Chemise brune contre pagne
Ou grands discours
Contre messages courts.