dimanche 10 novembre 2019

LA TEMPÊTE EST ARRIVÉE


LA TEMPÊTE EST ARRIVÉE


Version française – LA TEMPÊTE EST ARRIVÉE – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson italienne – È arrivata la bufera Renato Rascel – 1939


La Tempête arrive
Jean-François Millet - 1867




« La Bufera » est née en Afrique de l’Est lorsque Rascel rencontra Italo Balbo, alors gouverneur de la Libye. Renato lui posa la question que tous les Italiens avaient sur les lèvres : « L’Italie va-t-elle entrer en guerre aux côtés de l’allié allemand ? » Balbo répondit avec un parfait accent émilien : « Maintenant comprenez-moi bien, M. Rascel, si l’Italie fait la guerre à Hitler, moi je me coupe les … » Rascel est retourné en Italie et a dit à tout le monde de se rassurer, mais quand la guerre est arrivée, il n’a pas eu d’autre choix que de chanter « La tempête est arrivée / La bourrasque est arrivée / On va mal et on va bien / Et on va comme ça vient… ».
(Giancarlo Governi in "TuttoRascel", Roma, Gremese, 1993)

En effet, en 1939, lors d’une pause dans sa loge, Renato Rascel écrivit soudain les premiers vers de ce qui ressemble à une de ses comptines surréalistes : « La tempête est arrivée / La bourrasque est arrivée / On va mal et on va bien / Et on va comme ça vient… », que le public accueille avec un rire général et libérateur, comme pour atténuer l’épaisseur d’une nouvelle guerre européenne, à quoi les mots du chant semblent même voilé.




Dialogue Maïeutique


« La Tempête est arrivée » est, Lucien l’âne mon ami, une chanson italienne de 1939 et une chanson pas du tout clandestine. On la classe généralement dans les « chansons de la fronde », qui faisaient sonner de petites notes discordantes dans le grand concert fasciste.


Eh bien oui, dit Lucien l’âne, une chanson de 1939 en Italie. Ce ne devait pas être la seule chanson qu’on entendait alors, il me semble.


Pour ça, tu as parfaitement raison, répond Marco Valdo M.I. et même, il y en avait beaucoup et les chansons étaient même fort appréciées du régime en place ; enfin, la plupart des chansons, car elles avaient comme usage de mettre de l’ambiance, du sentiment, de focaliser l’attention des gens sur des thèmes d’une grande innocuité, de créer un courant d’unanimité, de susciter une ambiance de cohésion et de sympathie, un sentiment partagé d’être « tous comme tout le monde » et pour certaines d’entre elles, de faire la propagande du système – carrément ou de façon un peu plus larvée. Donc, bien sûr, on chantait sous le fascisme, comme d’ailleurs, on chante sous tous les régimes avec les mêmes effets. Et sous tous les régimes, outre les raisons que je viens d’évoquer, il en est une qui vaut la peine qu’on s’y arrête. Je la formule sous la forme interrogative : « Que peut faire un chanteur sous un régime qu’il n’aime pas ou même, qu’il exècre ? » Il peut fuir et s’exiler, me dira-t-on ; et ça s’est vu. Mais il ne le fera pas tout de suite. Donc, il faut d’abord prendre en compte la dimension temporelle. On ne passe pas du jour au lendemain (ou du moins, ce fut le cas de l’Italie fasciste) de la liberté à la répression pure et dure. Le régime s’installe progressivement et pendant ce temps, les chanteurs chantaient dans les salles de spectacle, dans les rues, dans les cabarets, les radios diffusaient.


Oui sans doute, Marco Valdo M.I. mon ami, les musiciens musiquaient, les écrivains écrivaient et même, pour certains, usaient de leur art pour combattre le système. Ce n’est que par la suite qu’une censure s’installe et que parallèlement, l’autocensure commence à moduler les voix et les chansons. Pour certains, la question est comment se faire bien voir et être dans la ligne ; pour d’autres, la question est comment chanter quand même, sans se déjuger, sans en quelque sorte se renier et sans collaborer, comment aller au plus loin dans son expression artistique sans encourir (trop) les foudres des autorités. Évidemment, la définition du « trop » va en se resserrant au fur et à mesure que le pouvoir s’intoxique de sa propre importance et développe son intolérance. Dès lors, pour l’artiste, la chose n’est pas simple, car elle est très évanescente et sujette à d’infinies variations. Mais précisément, qu’en est-il de cette histoire de tempête ?


Oh, Lucien l’âne mon ami, ce n’est pas simple à exposer. D’abord, parce que nous ne sommes plus en 1939 et que donc, ce qui était perçu immédiatement dans ces moments – l’imminence de la guerre et le sens de l’allusion : « la tempête », ne l’est plus aujourd’hui. Il est actuellement peu probable que toute l’Italie soit appelée sous les drapeaux demain matin pour cause de guerre ; il est peu probable – à court terme – qu’elle s’élance à la conquête militaire de l’Afrique et à la construction d’un Impero qui irait jusqu’en Inde. Il est peu probable qu’à court terme, l’Allemagne envahisse militairement la Pologne ou se relance militairement à la conquête de l’Europe. Mais donc, quand même, on peut penser que, quelle que fut l’opinion d’une personne qui vivait dans l’Italie d’alors, il était évident – pour n’importe qui sous la houlette du Duce – que la « bufera », la « tempête » était la guerre toute proche. À partir de là, les interprétations sont multiples. Ce qui est certain, ce qu’on peut voir assurément, c’est ce que la chanson dit et ce qu’elle ne dit pas, ce qu’elle s’efforce de faire comprendre et ce qu’elle entend occulter, à commencer par elle-même qu’elle se doit de faire entendre et en même temps, de dissimuler aux oreilles des censeurs. Et le résultat de tout cet embrouillamini, c’est qu’ainsi, peut-être même sans le vouloir, la chanson génère le doute, c’est qu’ainsi elle force à se poser la question de sa signification. Et ça, en soi, est déjà une mise en question et toute mise en question est une mise en question du système ; et dans un système autoritaire, fondé sur l’autocertitude sans cesse réaffirmée, une mise en question – répétée autant de fois que la chanson sera chantée et perçue, c’est autant de remises en question, c’est quasi de l’insubordination, c’est déjà un acte (multiple) de résistance. « Ora e sempre, Resistenza ! » : ça crée des lézardes dans les fondations.


Oh, dit Lucien l’âne, des lézardes dans les fondations, ça peut entraîner l’écroulement de la maison. Certes, il en faut beaucoup, il faut qu’elles grandissent ou à tout le moins, qu’elles s’étendent et se multiplient. Mais, tu as raison, c’est souvent comme ça avec la chanson, quand elle laisse sonner l’impertinence de sa voix – et comment pourrait-elle s’en empêcher, sauf à ne plus se chanter ? Quant à nous, tissons le linceul (encore et toujours) de ce vieux monde caduc, autoencenseur, suffisant, fier, arrogant, fat, sot snob et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane






Quand du haut du ciel, le soir tombe
Et la tempête gronde,
Le printemps est fini,
La fauvette ne chante pas,
Elle vous salue et s’en va.
L’eau tombe et mouille tout le monde,
Beaux, laids, grands, petits,
Pour les militaires, c’est moitié prix …
Sous l’eau qui verse, qui bat et qui transperce,
Inquiet, Pierino a ses souliers qui percent.


La tempête est arrivée,
La bourrasque est arrivée :
On va mal et on va bien,
Et on va comme ça vient…


Dans la nuit profonde,
Il semble qu’on lui ait dit, mais on ne lui avait rien dit.
Et alors même si on lui avait dit,il n’avait pas entendu, lui.
Vous savez comment ça va ces choses-là, ces choses-ci.


La tempête est arrivée,
La bourrasque est arrivée,
Sans légumes, sans poivre, sans sel,
On ne fait pas la soupe aux vermicelles.


Dans son doux petit lit ,
Pierino est endormi
Et son oncle de Voghera
Danse la habanera
Alors que gronde la tempête
Son père est mineur.
Et chaque jour bat son cœur
Mais si un jour, il s’arrête
Certainement, il se pourrait peut-être, qu’il meure…


La tempête est arrivée,
La bourrasque est arrivée :
On va mal et on va bien,
Et on va comme ça vient…


Un homme fait le saut de la mort et se surpasse ;
Son père l’embrasse, son père l’embrasse,
Lui donne un autre baiser
Et une tape sur le nez ;
Puis un autre baiser,
Puis rien que de penser à ça,
Il lui donne une autre tape sur le nez.
Et puis s’en va.


La tempête est arrivée,
La bourrasque est arrivée :
On va mal et on va bien,
Et on va comme ça vient…