L'ARRESTATION
DES ASSASSINS
Version
française - L'ARRESTATION
DES ASSASSINS – Marco Valdo M.I. – 2013
de
"L'arresto
degli assassini" di Gian Piero Testa
(http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?lang=it&id=42817#agg154136)
L'assassinat
froidement prémédité du rappeur antifasciste Pavlos Fyssas (34
ans), que, dans les premiers moments, la presse et les commentateurs
politiques grecs avaient cherché à banaliser, en le présentant
comme la conclusion d'une algarade entre des supporteurs d'équipes
de football rivales, s'est révélé pour ce qu'il était,
c'est-à-dire un guet-apens organisé avec des forces et un minutage
qui ne laissaient aucune chance à la « cible ». De l’œuf
d'or dont parle le texte de Riccardo ne pouvaient naître que des
serpents venimeux ; le problème est cependant de savoir qui
l'avait couvé, cet œuf. Qu'il soit pondu par le système
capitaliste, la chose va de soi. Mais le système est un Briarée (
dans la mythologie, Briarée est un géant à cent bras) avec de
nombreuses mains, qu'il emploie au fur et à mesure selon les
circonstances et les phases qu'il traverse. Il use de la main qui
sait caresser, qui sait indiquer, qui tient le timon, qui couvre les
yeux de celui qui ne doit pas voir, même celle charitable qui
distribue et secourt, et cetera et cetera ; mais, comme il
connaît et craint leurs faiblesses et leurs contradictions, comme sa
main principale et inaliénable est aussi toujours celle qui prend,
il ne néglige pas de tenir en réserve une main de fer, qui soit
prête à l'emploi lorsque, à force de prendre, deviennent trop
nombreux ceux qui se retrouvent dépouillés et commencent à
chuchoter « maintenant ça suffit ».Comme, à prendre ici
et prendre là, le sous-système grec a dernièrement pris quelque
chose même à de plus riches prédateurs, qui sont entraînés à
faire semblant de donner pour ensuite reprendre à l'instant opportun
avec de considérables intérêts, venu l'instant de payer et en ne
pouvant pas élever la voix face à des prédateurs bien plus forts
que lui, il s'en prend aux habituels pauvres diables, mais aussi -
ceci est la nouveauté - à tous ceux qui avaient léché sa main
charitable, celle-là, dis-je, confiée en gestion à la politique
afin que le jeu de donner et de prendre se perpétua avec
l'immanquable victoire de la banque. La banque, en réalité, ne
sauterait pas, si ses dettes elle les payait toutes elle-même (en
Suisse, ils en savent quelque chose, mais ils ne le disent pas
volontiers) ; cependant, un principe sacré et non négociable
défend que quelque chose du genre puisse jamais arriver. Pour cela,
il y a trois ou quatre ans, lorsque les divers sous-systèmes du
capitalisme occidental commencèrent à tousser en raison de leur
insuffisance, le système grec commença à alerter ses mains de fer,
qu'on tenait prêtes, car on ne sait jamais ce qu'il peut se passer
dans la vie.
En
Grèce, les mains de fer sont principalement deux.
Une est celle de l'État (qui en grec, comme le sait tout le monde civilisé, se dit « kratos »). On l'appelle Astinomìa, qui veut dire plus ou moins : « Règle de la Ville ». L'autre, ou mieux, les autres (car dans ce domaine, est en vigueur une discrète liberté d'initiative et de concurrence), on l'appelle « parakratos » : « parastatal » devrions-nous dire, mais chez nous, le mot a une autre signification. L'Astinomia fait son travail presque en plein jour ; elle est la main de la Loi, elle maintient l'ordre avec les moyens légaux même si, comme dans toutes les polices du monde, on laisse souvent et volontiers déborder. Le bas peuple et, maintenant encore, unanimement, quelques quartiers de la capitale et des grandes villes ont pour tradition un très mauvais rapport avec la police de l'État grec. Derrière lui, le petit peuple a une ou deux générations de réfugiés immigrés des campagnes et de l'Asie mineure, confinées longuement dans des bidonvilles invivables, coincées entre le milieu, avec lequel facilement elles se confondaient car ils cohabitaient, et la velléité d'ordre des classes aisées dirigeantes, qui recrutaient leurs agents même parmi les criminels, comme dans les campagnes, ils avaient recruté les gardes champêtres parmi les brigands et les employaient pour contrôler et maltraiter, soudoyer et effrayer cette grande masse pauvre, mais capable de culture autonome et de profonde solidarité. Entre les « batsi » (que par mépris ainsi sont appelés les policiers) et la population urbaine n'a jamais couru du bon sang ; mais seulement du sang. Et cette réciproque hostilité se transmit à travers les générations, même lorsque les noyaux homogènes des quartiers eurent disparus et les petites habitations de fortune furent remplacées par les immeubles de la spéculation foncière.
Une est celle de l'État (qui en grec, comme le sait tout le monde civilisé, se dit « kratos »). On l'appelle Astinomìa, qui veut dire plus ou moins : « Règle de la Ville ». L'autre, ou mieux, les autres (car dans ce domaine, est en vigueur une discrète liberté d'initiative et de concurrence), on l'appelle « parakratos » : « parastatal » devrions-nous dire, mais chez nous, le mot a une autre signification. L'Astinomia fait son travail presque en plein jour ; elle est la main de la Loi, elle maintient l'ordre avec les moyens légaux même si, comme dans toutes les polices du monde, on laisse souvent et volontiers déborder. Le bas peuple et, maintenant encore, unanimement, quelques quartiers de la capitale et des grandes villes ont pour tradition un très mauvais rapport avec la police de l'État grec. Derrière lui, le petit peuple a une ou deux générations de réfugiés immigrés des campagnes et de l'Asie mineure, confinées longuement dans des bidonvilles invivables, coincées entre le milieu, avec lequel facilement elles se confondaient car ils cohabitaient, et la velléité d'ordre des classes aisées dirigeantes, qui recrutaient leurs agents même parmi les criminels, comme dans les campagnes, ils avaient recruté les gardes champêtres parmi les brigands et les employaient pour contrôler et maltraiter, soudoyer et effrayer cette grande masse pauvre, mais capable de culture autonome et de profonde solidarité. Entre les « batsi » (que par mépris ainsi sont appelés les policiers) et la population urbaine n'a jamais couru du bon sang ; mais seulement du sang. Et cette réciproque hostilité se transmit à travers les générations, même lorsque les noyaux homogènes des quartiers eurent disparus et les petites habitations de fortune furent remplacées par les immeubles de la spéculation foncière.
Le
fait est que dans les tournants historiques cruciaux du Pays, les
forces de police ont ponctuellement fait le travail le plus sale ;
ainsi durant le fascisme de Metaxas, ainsi durant l'occupation
allemande, ainsi dans la période de la guerre civile, ainsi dans la
réaction des Colonels, ainsi dans les luttes sociales qui ont suivi
la démocratisation. Beaucoup de jeunes d'extraction populaire, même
lorsqu'ils ont pu étudier et se placer dans la petite bourgeoisie de
bureau de l'État et des services, n'ont pas oublié ce qu'avaient
signifié les « forces de l'ordre » pour leurs pères et
pour leurs grands-pères et, très souvent, aussi pour eux mêmes.
Entre
parakratos et astinomia - il est presque superflu de le dire - la
symbiose est pratiquement un lieu commun, qui cependant n'est pas une
légende urbaine : c'est la pure et simple réalité. Quelqu'un a
étudié récemment les résultats électoraux dans les sections
proches des casernes de la police ; le succès de Chrysì Avghì
(Aube Dorée – le parti fasciste) est, et c'est peu dire,
spectaculaire. Le député Kassidiaris, aujourd'hui en état
d'arrestation, mais déjà connu pour avoir frappé lors d'un débat
électoral télévisé deux dames candidates des partis de gauche, a
étudié à l'Université, mais s'est formé militairement dans la
Police. Il y a quelques jours, a fini en prison un policier de Rhodes
qui entraînait les nazis locaux. La contiguïté - et l'échange
d'assistance « technique » et de couvertures - entre la
Police grecque et Aube Dorée a été à suffisance documentée, et
je crois qu'on peut la donner pour incontestable.
Aube
Dorée, cependant, présente un caractère nouveau par rapport au
traditionnel « parakratos » qui sous diverses formes fut
actif dans les crises du passé. Aujourd'hui, elle agit explicitement
sur trois niveaux. Elle a des ambitions plus grandes que celles qui
un temps guidaient ces groupes armés, lorsqu'ils secondaient les
Allemands, et ensuite les Anglais, ou lorsqu'ils éliminaient de nuit
leurs adversaires politiques, ou quand ils les provoquaient dans les
établissements publics en cherchant des issues sanglantes. À ces
entreprises, auxquelles comme on a vu, elle ne renonce pas, elle a
ajouté deux niveaux d'initiative : un « social » et un
autre politique, pratiqué directement.
Au
premier volet (social), on doit, je crois, les succès électoraux de
cette organisation (qui correspond à « notre » Forza
Nuova (en France, le Front National...) et, en partie au côté fermé
et provincialement raciste de « notre » Ligue (la Ligue
du Nord – version italienne de la NVA en Flandre), et même, par le
style et les actions, aux divers skins européens) et sa pénétration
même dans l'électorat populaire. Au second volet - c'est mon
impression – on doit les difficultés judiciaires dans lesquelles
dans maintenant elle tombe. Je m'explique.
La crise de la dette publique et les mesures imposées par la Troika ont mis dans des difficultés dramatiques une grande part de la population, soit les couches traditionnellement pauvres, soit celles qui avaient accédé à une certaine disponibilité de biens et services et à de postes de travail stables qui, d'un mois à l'autre, ont perdu revenu, sécurité et perspectives pour le futur. L'échange d'avantages entre partis et l'électorat s'est comme congelé et la crise des partis traditionnels a émergé de manière très visible.
La crise de la dette publique et les mesures imposées par la Troika ont mis dans des difficultés dramatiques une grande part de la population, soit les couches traditionnellement pauvres, soit celles qui avaient accédé à une certaine disponibilité de biens et services et à de postes de travail stables qui, d'un mois à l'autre, ont perdu revenu, sécurité et perspectives pour le futur. L'échange d'avantages entre partis et l'électorat s'est comme congelé et la crise des partis traditionnels a émergé de manière très visible.
Comme
le nœud crucial (qui doit payer ? ) doit de toute façon être
éludé, ça fait le jeu du système qu'on parle d'autre chose : de
la corruption et du coût de la politique, de l'épuisement des
vieilles formes de résistance sociale et d'organisation du
consentement, de la fin des idéologies, et de bla bla bla. Toutes
choses que nous connaissons très bien nous aussi. Face à la chute
verticale et simultanée de la disponibilité de travail, des revenus
et de la sécurité sociale, les fascistes d'Aube Dorée ont joué
sur deux niveaux : d'abord, en s'activant sur le plan social comme
paladins des plus faibles – pour les défendre des sangsues de
parti et de la concurrence des immigrés – en offrant des services
élémentaires aux retraités, aux malades et aux désespérés et
ensuite, en persécutant visiblement et violemment les étrangers ;
et en capitalisant la sympathie ainsi gagnée pour s'insinuer dans
les institutions : une vingtaine de parlementaires sur 300 ne sont
pas vraiment une ineptie.
C'est
à ce point, je crois, qu'a commencé à se former une contradiction
entre Aube Dorée et les partis de gouvernement. Pour ces derniers,
c'était cependant une excellente chose que, pour renforcer la Police
d'État, il existe une main de fer plus flexible, dont les actions
n'impliquent pas directement les ministres ; dans les moments
tendus, en Grèce, cela s'est toujours fait ainsi. Mais disputer
l'espace aux partis et surtout à celui de centre-droite,
sincèrement, c'est aller trop loin. Si l'action « sociale »
d'Aube dorée dispute des votes à la gauche - ça va bien ;
mais son action politique redimensionne les perspectives de
récupération de Nea Dimokratia (Nouvelle Démocratie - ND), et ça,
c'est mal, très mal.
Aube
Dorée avait besoin de consolider son emprise sur le social,
fondement de ses futurs succès électoraux ; les partis au
gouvernement et surtout ND avaient besoin que quelque chose se passe
pour redimensionner et réduire à son rôle de moyen du système
l'utile concurrent, devenu cependant trop encombrant. Le fait que
Fyssas, dans son rôle artistique de Killa P, réussissait à parler
aux jeunes dans leur langage et que le message qu'il répandait fut
si opposé au système, mais dans une tonalité antifasciste, devait
avoir préoccupé beaucoup les stratèges d'Aube Dorée. L'éliminer
pouvait représenter un avantage en soi, une intimidation pour qui se
mettrait encore en travers de leur route et une démonstration de
force et d'impunité. Pourquoi alors ne pas le faire ?
Je
ne sais pas si les partis de gouvernement s'attendaient un faux pas
d'Aube Dorée. J'imagine cependant qu'ils le désiraient. Ils avaient
maintenant un besoin extrême de redimensionner ce concurrent
insidieux et arrogant.
Après un moment d'incertitude, la machine capable de remettre à sa place Aube Dorée s'est enclenchée, sur le plan judiciaire et sur celui politique.
Six gros serpents et trente serpentins mineurs, mais tous vénéneux et tous sortis de l'Oeuf d'Or très amoureusement couvé, sont actuellement au frais : ils apprennent ainsi à ne pas passer la limite assignée. Le serpent principal a déjà crié une litanie qu'il nous semble avoir entendu chez nous : magistrats politisés, persécution judiciaire, fin de l'État de droit, humiliation du vote des citoyens, coup d'État… Peut-être par parenté, peut-être par solidarité parmi les reptiles, ici chez nous, on a une femme-python, une Vipère vaudrait-il mieux dire, qui semble spécialisée dans ce genre de litanies. Peut-être est-ce l'occasion pour qu'elle parte d'urgence pour la Grèce ; même là il y a du pain - noir - pour ses dents. Qu'elle y aille, crie, siffle : il y a un assez vaste espace pour qu'elle soit écoutée.
Après un moment d'incertitude, la machine capable de remettre à sa place Aube Dorée s'est enclenchée, sur le plan judiciaire et sur celui politique.
Six gros serpents et trente serpentins mineurs, mais tous vénéneux et tous sortis de l'Oeuf d'Or très amoureusement couvé, sont actuellement au frais : ils apprennent ainsi à ne pas passer la limite assignée. Le serpent principal a déjà crié une litanie qu'il nous semble avoir entendu chez nous : magistrats politisés, persécution judiciaire, fin de l'État de droit, humiliation du vote des citoyens, coup d'État… Peut-être par parenté, peut-être par solidarité parmi les reptiles, ici chez nous, on a une femme-python, une Vipère vaudrait-il mieux dire, qui semble spécialisée dans ce genre de litanies. Peut-être est-ce l'occasion pour qu'elle parte d'urgence pour la Grèce ; même là il y a du pain - noir - pour ses dents. Qu'elle y aille, crie, siffle : il y a un assez vaste espace pour qu'elle soit écoutée.