samedi 16 janvier 2021

LA PESTE

 

LA PESTE

Version française – LA PESTE – Marco Valdo M.I. – 2021

Chanson italienne – La pesteDavid Riondino – 2013



Texte de David Riondino, inspiré de l’introduction au premier jour du “Décaméron” de Giovanni Boccaccio, 1348-53.

Musique de David Riondino, tirée de « Cantando Boccaccio », une série d’émissions produites par RAI Radio3 dans laquelle Riondino a été invité à composer une chanson pour chacune des journées de l’opéra.

Plus récemment dans le spectacle « Canzoni dal Decameron di Boccaccio », dans lequel Riondino est accompagné par un septuor de voix féminines.


 

Les pestiférés de Florence





Dialogue maïeutique


En 1348, il y a presque un millénaire, la peste ravagea Florence et l’Europe et bien au-delà. Ce n’était pas la première fois et ce ne fut pas la dernière fois qu’elle se manifesta. Son histoire est complexe et terrible, mais ce n’est pas ici qu’on la fera. On s’en tiendra aux limites de la chanson. Donc, en ce temps-là, l’écrivain Boccace vivait à Florence et vit ce qui se passait. Il en fit un récit quasiment sur le vif ; il prit, dit-on, plusieurs années à le rédiger : de 1349 à 1353. On le connaît sous le titre de Décaméron qui en une centaine de nouvelles raconte un séjour de retraite de dix (déca) jours de quelques jeunes filles et jeunes gens qui s’étaient mis prudemment à l’écart de la ville et de l’épidémie ; séjour au cours duquel ces jeunes personnes se racontèrent les histoires reprises dans ce livre, dont il est qu’il constitue le premier chef-d’œuvre en prose de la littérature italienne.


Oh, dit Lucien, ces épidémies de peste étaient fréquentes, en effet et aussi bien, j’ai entendu parler de Boccace et de son Décaméron. Et puis, depuis le temps que je tourne autour de la Méditerranée et ailleurs dans le monde, j’en ai croisé des pestes et des pestiférés. Et maintenant que tu m’en parles, je pense me souvenir d’avoir transporté sur mon échine ce Boccace (qui s’appelait en réalité Giovanni Boccaccio) qui s’en revenait de Naples à Florence, très meurtri, très peiné de ses protecteurs. Cela dit, cette malheureuse circonstance ne l’empêchait pas de parler ni de s’inquiéter des dames de passage. Mais, je t’en prie, continue.


Eh bien, Lucien l’âne mon ami, cette chanson de Riondino, comédien et chanteur, reprend une partie du texte du Décaméron de Boccace, qui raconte précisément la peste de Florence. Une sorte de reportage de visu ; on peut en lire les détails dans le texte de la chanson auquel Riondino a gardé un caractère d’époque, car on ne dirait plus pareil aujourd’hui.


Je vois, dit Lucien l’âne. Pour les détails, voir la chanson. C’est une bonne suggestion et c’est ce que je vais m’empresser de faire, mais j’imagine que cela cache autre chose.


En effet, dit Marco Valdo M.I., la chanson est la chanson et elle se raconte bien toute seule. Ce qui ici retient mon attention, c’est qu’elle est une chanson dans un cycle de chansons consacré au Décaméron, un peu à la manière dont j’ai raconté, il y a plus de dix ans l’histoire de Joseph dans les 24 chansons de Dachau Express, Les Histoires (d’un siècle 1900-1999), d’Allemagne en 142 chansons, un demi-siècle d’Histoires lévianes en 124 chansons, l’histoire de Till Ulenspiegel en 122 chansons, les 42 chansons qui rapportent les Lettres de prison (1934-35) de Carlo Levi et les 57 chansons de l’Arlequin amoureux. Il est vrai que j’attends encore les musiciens qui sont en retard.


Ne t’inquiète pas de ça, dit Lucien l’âne. Boccace, comme cette chanson le démontre, a dû patienter des siècles. Alors, tissons le linceul de ce vieux monde pestiféré, bancal, toussotant, égrotant, souffrant, souffrotant, mourant et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane






Premier jour, introduction aux nouvelles : « je dis donc que les années de la féconde incarnation du Fils de Dieu avaient déjà atteint le nombre de mille trois cent quarante-huit, lorsque dans l’illustre ville de Florence, ainsi que dans toute autre belle ville italienne, arriva la peste mortelle… »


Et il venait chez les hommes et chez les femmes des gonflements à l’aine, sur les bras et les cuisses

Et on les voyait se transformer en taches noires et livides, signe certain de mort.



De rester tous ensemble, la pestilence des malades s’étendait aux bien-portants ;

Comme fait le feu avec les choses sèches ou grasses, quand elles se rapprochent, elle enflammait le mal.

Je vis, un jour, dans la rue, deux porcs secouer les haillons d’un mort avec leurs dents et leurs griffes,

Et en une petite heure, comme si ce fut du poison, sur les haillons tout chiffonnés, ils tombèrent ensemble morts.

Et certains se renfermant chez eux, usant avec modération des vins et aliments les meilleurs, fuyaient tout excès ;

D’autres se moquant de taverne en taverne, buvant jour et nuit dans les maisons d’autres, mourraient ;

Et d’autres encore abandonnèrent leurs parents pour chercher dans la campagne à obvier au ciel

Et abandonnés à leur tour, victimes de leur propre exemple, ils mouraient seuls.

Et les frères abandonnaient leurs frères et pères et mères, leurs enfants, à une mort certaine,

Et à ceux qui tombaient malades, il restait l’avidité des serviteurs, ou la charité des amis, qui ne furent pas nombreux ;

Mais sous le cercueil se glissaient des croque-morts mercenaires, qu’ils appelaient fossoyeurs, petites gens aux pas précipités, et subrepticement, les mettaient dans n’importe quelle tombe inoccupée.

Ce ne fut pas qu’une seule bière, celle deux ou trois portèrent ensemble père et fils, mari et femme, emportés par la même fièvre ;

Et sans larmes, sans lumière, sans compagnie, ils ne s’occupaient pas plus des hommes que les chèvres ne le feraient maintenant ;

Et on creusait des fosses pour les cimetières des églises, où par centaines on mettait les corps ;

Comme on met les marchandises dans les navires, une sur l’autre, jusqu’au sommet de la tombe, on entassait les morts.

Le mal ravagea la campagne, et à travers les villas isolées et les champs, les paysans moururent comme des bêtes.

Et les bœufs, les chèvres, les chiens, après avoir erré le jour sans berger, à la nuit, revinrent à leurs étables

Et tant fut la cruauté du ciel, qu’entre mars et juillet, plus de cent mille dedans Florence furent enlevés à la vie,

Ô combien de grands palais jadis remplis de familles restèrent vides !

Combien de fameuses richesses sans héritiers !