Version
française – LE CANARI
– Marco Valdo M.I. –
2016
Chanson
italienne (piémontais) – Ël
canarin – Piero
Novelli – 1965
d’après
« Il Canarino », la « tentative de traduction (en
italien « standard ») » de Bernart
Bartleby.
Avec l’aide tant du Grande dizionario piemontese su Piemuntèis que du mythique Gran dizionario piemontese-italiano di Vittorio Sant’Albino, 1859
Avec l’aide tant du Grande dizionario piemontese su Piemuntèis que du mythique Gran dizionario piemontese-italiano di Vittorio Sant’Albino, 1859
Ici,
Lucien l’âne mon ami, pour ces Chansons contre la Guerre, tôt ou
tard, il te faut traduire ou écrire des chansons. C’est un site
très volontaire et qui pousse à la création. On ne peut y échapper
et parfois, on est même contraint à se surpasser, à faire des
choses qu’on croyait ne pas pouvoir faire. Ainsi en va-t-il de
Bernart Bartleby,
poussé à traduire du piémontais en italien. Soit, il connaît le
piémontais « à l’oreille », car c’est quand même
la langue vernaculaire de sa région. Qu’il
s’en réjouisse d’avoir dû faire cette traduction ; il a
approfondi ses connaissances. Et nous aussi, par voie de conséquence.
Tout
cela est fort bien, dit Lucien l’âne, mais que raconte cette
chanson ornithologique ? Car il me semble qu’un
canari est un petit oiseau jaune, connu et capturé et encagé pour
ses trilles et son chant.
C’est
effectivement ce petit oiseau, répond Marco Valdo M.I., mais dans la
chanson, c’est un drôle d’oiseau qu’on a affublé de ce joli
nom et c’est lui qui chante ; je dirais même qu’il en a
fait sa profession.
Une
profession de voix, en quelque sorte, dit Lucien l’âne.
En
fait, El Canarin est un homme et cet homme, Lucien l’âne mon ami,
a la manie de chanter ; d’où son surnom. Mais tout comme le
canari n’est pas un oiseau, mais un homme et en l’espèce, un
petit malfrat, le verbe chanter est utilisé dans le sens inhabituel
et plus exactement argotique qui signifie « cafarder,
rapporter, dénoncer, parler, dire des
choses confidentielles ou secrètes », ici, à la police
politique fasciste ( dans la chanson :
« Ceux d’ici »). Ce que le
« canari » se refusera à faire, alors qu’il le faisait
dans son rôle d’indicateur (indic) pour les affaires de
truanderie. Il raconte tout cela dans une lettre à sa mère et
annonce son intention de se laisser fusiller plutôt que de jouer le
« canari » – en
français des prisons, un mouton – et d’espionner et de dénoncer
le « chef des subversifs » (le responsable des partisans)
avec qui on l’a enfermé. En ce sens, cette chanson est un hommage
rendu au « canari », un homme,
petit malfrat, indic qui vit de vols et de dénonciations
des malversations et qui est rétribué par
la police, mais qui sollicité par les fascistes pour tirer les
informations d’un résistant emprisonné, incité à jouer le
mouton va se rebiffer et sera de ce fait condamné à la mort. Lors
de sa dernière nuit, il écrit une lettre à sa mère.
Ainsi
donc, dit Lucien l’âne, même pour un voleur, un menteur, un
traître de profession, il y des limites morales, il y a des choses
qui ne se font pas, il y a des gens avec qui on ne pactise pas. Je ne
l’imaginais pas, mais cela me réchauffe le cœur
et me rassure un peu quant à la nature humaine. Comme ni toi, ni
moi, ne sommes des canaris chanteurs, nous
ne chanterons pas, nous ne ferons pas de trilles, mais rien ne nous
empêche de reprendre notre tâche et de tisser à notre tour le
linceul de ce vieux monde plein de prisons, de malfrats, d’escrocs
et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Chère
maman cette lettre
Pour te dire que demain
les fascistes vont me prendre
Et me fusiller comme un chien.
Pour te dire que demain
les fascistes vont me prendre
Et me fusiller comme un chien.
Oui,
je le sais, c’est
moche
Qu’un pauvre diable comme moi
Un truand doive mourir (1)
Sans raison (2)
Aux Nuove, ils m’ont mis
en cellule (3) avec le chef des subversifs :
« Fais le chanter – m’ont-ils dit -
Dis-nous tout et tu sortiras vivant ».
Qu’un pauvre diable comme moi
Un truand doive mourir (1)
Sans raison (2)
Aux Nuove, ils m’ont mis
en cellule (3) avec le chef des subversifs :
« Fais le chanter – m’ont-ils dit -
Dis-nous tout et tu sortiras vivant ».
Tous
le savent à Turin
Que je fais le « canari »,
Que je suis le meilleur espion
Qu’il y ait à Vanchiglia.(4)
À tendre les oreilles partout
Pour ensuite rapporter à Grattoni (5)
Les coups que fait le milieu
De Lucento et de Porta Palazzo
Que je fais le « canari »,
Que je suis le meilleur espion
Qu’il y ait à Vanchiglia.(4)
À tendre les oreilles partout
Pour ensuite rapporter à Grattoni (5)
Les coups que fait le milieu
De Lucento et de Porta Palazzo
Mais ceux d’ici, c’est différent.
Dès que je les vois, je me sens mal
Et il me vient l’envie de vomir.
Pour ceux d’ici, je ne sais rien,
Je ne parle pas, je ne souffle pas.
À ceux d’ici, dis-moi si tu veux que je suis fou,
si j’ouvre la bouche, ce sera pour leur cracher dessus.
Chère maman, à ce bon à rien
Qui t’a donné tant de tracas
D’ici à peu, ils briseront les reins.
Mais surtout, ne pleure pas.
J’ai
toujours été droit
Dans et hors de prison
De toute ma vie, pas même une semaine
Je n’ai été bon à la besogne.
Même les voleurs me disaient :
« Luigi, casse-toi ! » (6)
Car ils le savaient
Que j’étais un grand lâche.
Dans et hors de prison
De toute ma vie, pas même une semaine
Je n’ai été bon à la besogne.
Même les voleurs me disaient :
« Luigi, casse-toi ! » (6)
Car ils le savaient
Que j’étais un grand lâche.
Mais
maintenant je le jure, bourreau infâme,
(7)
Je ne me ferai pas dessus.
Je vais mourir au Martinetto (8)
Oui, mais je mourrai pour quelque chose.
Je ne me ferai pas dessus.
Je vais mourir au Martinetto (8)
Oui, mais je mourrai pour quelque chose.
Car
ceux d’ici,
c’est différent
Dès que je les vois, j’entre en colère
Et il me vient l’envie de vomir
Pour ceux d’ici, je ne sais rien,
Je ne parle pas, je ne souffle pas.
Pour ceux d’ici, le canari
Se laissera déplumer, mais il ne parlera pas !
Dès que je les vois, j’entre en colère
Et il me vient l’envie de vomir
Pour ceux d’ici, je ne sais rien,
Je ne parle pas, je ne souffle pas.
Pour ceux d’ici, le canari
Se laissera déplumer, mais il ne parlera pas !
(1) ligera : le terme ligéra ou lingéra indiquait la petite criminalité milanaise. Le mot est identique en piémontais, mais il signifie plus vagabond, bon à rien, fugueur.
(2) Littéralement, « pour le visage d’on ne sait qui »
(3)
les Nuove : prison turinoise (l’entrée principale est sur le
cours Vittorio Emanuele II, aujourd’hui devant le nouveau Palais de
Justice et au nouveau gratte-ciel San Paolo). Les Nuove beaucoup
furent utilisées par les fascistes et par les nazis pour
emprisonner, torturer et tuer des opposants politiques et des
partisans.
(4) Borgo Vanchiglia, un des quartiers historiques de Turin, au confluent du Po et de la Dora Riparia. C’est le quartier où depuis de nombreuses années est actif le Centro Sociale Askatasuna, un de « repaire » du mouvement d’opposition turinois.
(4) Borgo Vanchiglia, un des quartiers historiques de Turin, au confluent du Po et de la Dora Riparia. C’est le quartier où depuis de nombreuses années est actif le Centro Sociale Askatasuna, un de « repaire » du mouvement d’opposition turinois.
Borgo
Vanchiglia. Peinture murale dédiée à Dante Di Nanni et Vittorio
Arrigoni. L’oeuvre se trouve sur le mur de l’ancien siège du
Balilla (mouvement de jeunesse fasciste).
(5)
Via Grattoni, entre le cours Vinzaglio et le cours Bolzano, c’est
encore aujourd’hui l’entrée latérale de la Questure, celle par
où accèdent les patrouilles.
(7)
Brichèt a beaucoup de significations, les plus communes sont
allumette, briquet. En piémontais, les imprécations, même
insensées, avec « bòja » suivi d’un substantif sont
très diverses, mais la plus commune de toutes est sûrement « bòja
fàuss ».
(8)
Le Martinetto du cours Suisse était une aire destinée à polygone
de tir. Entre 1943 et 1945, les nazifascistes y fusillèrent plus de
60 opposants et partisans, parmi lesquels 8 représentants du CLN
(Comité de Libération Nationale) piémontais.