ASIE
Version
française – ASIE – Marco Valdo M.I. – 2020
Dialogue
Maïeutique
Dans
sa préface à L’Automne à Pékin, enfin si je me souviens bien,
Lucien l’âne mon ami, Raymond Queneau soulignait combien ce titre
était opportun puisque dans ce roman de Boris Vian, il n’est
question ni de l’automne, ni de Pékin. Il n’en va pas du tout
ainsi de cette Asie, puisqu’aussi bien, la chanson de Guccini, qui
date quand même d’un demi-siècle, – la chanson, Guccini va sur
ses quatre-vingts ans –, l’aborda à la proue d’un vaisseau
vénitien, orné de l’oriflamme de la Sérénissime. C’était au
temps où Venise rutilait, à l’époque où elle emmenait son Lion
ailé partout en haut du mât de ses barzes, de ses galères, de ses
galéasses, de ses galéones ; il flottait aussi et même
surtout, sur ses vaisseaux de commerce. Venise préférait les
comptoirs aux colonies ; on y investit moins et ça rapporte
plus.
« Lion
de Venise, Lion
de Saint-Marc,
L’armée
chrétienne est aux portes de l’Orient,
Dans
les ports de l’Ouest, la mer amène sous le vent
Les
charges d’ivoire et de brocart. »
Évidemment,
Marco Valdo M.I. mon ami, c’est une manière d’aborder un autre
continent, même si pour les descendants de l’Empire romain, l’Asie
n’est pas vraiment une terra incognita. J’y étais chez moi en ma
jeunesse folle. Mais à part ça, que raconte la chanson ?
D’abord,
Lucien l’âne mon ami, je vais une fois encore insister sur le fait
que c’est une version française et à l’origine, une chanson
italienne de Francesco Guccini que l’on peut tout à fait comparer
à Francesco Guccini, lequel commence à avoir des airs d’ancêtre.
Cependant, comme tu vas le voir, sa chanson – dans sa version
française – n’a pas pris une ride ; on la dirait
nouvellement conçue.
Oh,
dit Lucien l’âne, c’est drôle ce que tu dis, car ça me fait
penser à la chanson de Brassens où il est question précisément
d’être un ancêtre :
« Quand
nous serons ancêtres
Du côté de Bicêtre,
Pas d’enfants de Marie, oh non !
Remplacez-nous les nonnes
Par des belles mignonnes
Et qui fument, crénom de nom !
Et qui fument, crénom de nom ! »
Du côté de Bicêtre,
Pas d’enfants de Marie, oh non !
Remplacez-nous les nonnes
Par des belles mignonnes
Et qui fument, crénom de nom !
Et qui fument, crénom de nom ! »
Ah,
Lucien l’âne mon ami, il est des péchés capiteux qui ne doivent
rien à l’industrie du tabac. Enfin, à chacun ses préférences,
mais comme c’est son anniversaire d’ancêtre de ces jours-ci, on
souhaite à Guccini « un buon compleanno », on lui dédie
cette version française d'Asie, la chanson de Brassens : « L’Ancêtre »
et un
bon moment avec le calumet de la paix ; ce serait autre chose
que de toucher sur une place publique le monsieur
tout blanc. Cela étant, revenons à la chanson qui se garde bien
de pareilles allusions, mais offre un voyage oriental et le rêve
d’un espace et d’un moment disparus. Le Lion de San Marco était
quand même un animal fort belliqueux qui s’en prenait aux Ottomans
et finit par perdre toute sa superbe, laissant partir à vau l’eau
les Balkans tout entiers, les îles grecques jusqu’à sa Candie si
précieuse.
Oui,
dit Lucien l’âne, et à présent, le grand félin ailé n’a plus qu’à se
repaître de touristes pressés avant qu’une grande marée vienne
mettre fin aux restes de sa gloire. Ainsi va le long chemin de
l’histoire. Pendant ce temps-là, nous tisserons le linceul de ce
vieux monde perclus, toussotant, égrotant, avide et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Au
milieu des fleurs tropicales, des cris en douce,
La
brise légère et lente glissait ;
Sifflant
à travers le filet, elle apportait,
Suave,
l’odeur de la soif et des épices.
Lion
de Venise, Lion de Saint-Marc,
L’armée
chrétienne est aux portes de l’Orient,
Dans
les ports d’Ouest, la mer amène sous le vent
Les
charges d’ivoire et de brocart.
Les
habits des marchands suintent d’ors,
Leurs
soutes recèlent d’énormes trésors,
Aux
rives croisent leurs voiles colorées,
D’œillet
et de poivre parfumées.
Brisés
par le travail, les dos transpirent ;
À
terre reposent l’encens, l’or et la myrrhe ;
Dans
le vent, on entend par-dessus la palme,
Le
cri de la sueur et de la gomme.
Et
l’Asie paraît dormir, mais flotte en l’air
Son
immense culture millénaire :
Les
Blancs et la nature ne peuvent défaire
Les
Bouddhas, les Chélas, les hommes et la mer.
Lion
de Saint Marc, Lion du prophète,
Ton
Évangile court à l’est de la Crète ,
Sur
le ciel se détache ton étrange bannière ;
Ce
n’est pas le livre, mais l’épée que ta main serre.
Terre
de merveilles, de grâces et de maux, terre
Des
animaux mythiques du bestiaire,
Jusqu’au
gaillard arrivent des sanctuaires
La
fumée de l’encens et du chanvre.
Et
ce parfum intense, percé de mouettes, est
Signe
de vains symboles divins,
Et
de leur vol haut, ces oiseaux marins
Montrent
à
Marco
Polo
la
route du Cathay.