Festins de Carême
Chanson
française – Festins
de Carême
– Marco Valdo M.I.
– 2018
Ulenspiegel le Gueux – 84
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – III, XL)
Ulenspiegel le Gueux – 84
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – III, XL)
Dialogue
Maïeutique
Festins
de carême et au pluriel encore bien,
Marco Valdo M.I. mon ami. C’est
époustouflant ! C’est vraiment une belle expression, mais
elle m’effraye un peu, car elle est pour le moins contradictoire.
Que peut être un festin de carême, comment faire jeûne en mangeant
festivement ? Car si je ne me trompe pas, le festin est un repas
de fête, une occasion de ribote,
un moment de joie rituelle, tandis que le carême est une occasion
d’abstinence, une fête triste, une absence de joie, une
interdiction de jouir de la vie. Comment expliquer ça ?
Habituellement, festiner et jeûner ne vont pas de pair.
Je
te rejoins totalement, Lucien l’âne mon ami, quand tu assimiles le
festin à une agape, à un banquet et que tu mélanges tout dans une
sauce de joie et de plaisir. Le festin de carême est un
brouet de malheur, un rabat-joie, c’est
une manière de catégoriser la disette ; c’est le festin du
pauvre, c’est l’agape de la misère. Tout
le contraire des agapes qu’envisageaient les copains de Jules
Romains :
« Ah !
Mes frères, oserons-nous renouveler les naïfs transports des
premiers chrétiens ?
Retrouverons-nous la ferveur des
agapes, où, loin des froides
perversités du siècle, tous les membres de la communauté, hommes
et femmes, garçons et filles, possédés par un immense amour, en
proie à l’esprit, se précipitaient dans les bras les uns des
autres… »
En
effet, certes, mais les
premiers chrétiens ne devaient pas nécessairement s’aimer les uns
sur les autres comme ambitionnaient ces « copains », ceux
que chantait Brassens lui-même, car
c’est bien Huchon, Bénin, Lesueur (l’immortelle statue à poil
de Vercingétorix) et les autres. Cela
dit, Marco Valdo
M.I., revenons à la chanson. Que
raconte-t-elle ? C’est ce qui m’intéresse au plus haut
chef.
Eh
bien, au début, reprend Marco Valdo M.I., il est effectivement
question de la nécessité de faire des économies, de réduire les
dépenses et par voie de conséquence, les débordements de la panse
de Lamme. Et Lamme se lamente et Till rétorque et les deux copains
finissent dans une auberge où le repas est maigre, aussi maigre
qu’un fakir
ou qu’un festin de carême.
Till s’en amuse, Lamme désespère. Et puis, Miracle en Auberge, le
baes (le patron
de la Sirène) offre subitement un repas pantagruélique que Lamme
s’empresse d’avaler. Derrière le
miracle, il y a une fée, une magicienne, une jolie sorcière qui
n’est autre que la femme de Lamme, qui
pour des raisons mystérieuses, qu’on éclaircira plus tard, ne
peut s’attarder auprès de lui et chaque fois, s’enfuit.
Mais vois-tu, Lucien l’âne mon ami, il faut lier cette chanson à
la suivante, dont je ne connais pas encore le titre, ni le texte,
mais qui sera le négatif de celle-ci. Lamme incarne le bonhomme et
l’homme bon, aimant la vie et la bombance, mais aussi celui qui ne
fait cette guerre que contraint et forcé et encore, afin d’accéder
à la paix dans les Hauts et Bas Pays
et fait contraste avec Philippe, roi d’Espagne, fauteur de guerre,
de religion et de malheur. Lamme est authentiquement contre la guerre
et sa chanson aussi.
Je
sais, dit Lucien l’âne, les
meilleures chansons contre la guerre sont les chansons de temps de
paix, qui racontent des moments
où la vie vaut vraiment d’être vécue. De toute façon, en temps
de guerre, statistiquement, la vie ne dure pas ou pour d’aucuns,
elle est solidement raccourcie. Mais trêve de philosophie
gastronomique, tissons le linceul de ce vieux monde triste, maussade,
misérable et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
« Lamme,
nos finances sont en baisse ;
Il
nous faut restreindre nos aises.
De
deux, dit Till, il nous faut faire une.
Je
garderai la bourse commune. »
Lamme
dit : « Ne me laisse pas mourir de faim,
Gros,
j’ai besoin de substantielle nourriture.
Le
mince se nourrit d’aventures,
Mais
moi, il me faut d’autres festins. »
« Oh,
dit Till, festins de carême
Sont
de vertueux festins.
Au
plus lourd, ils donnent de l’entrain.
Dégraissé,
tu iras comme le cerf lui-même. »
« Maigre
sort, dit Lamme, j’ai faim.
Le
soir tombe, je veux souper. »
À
la Sirène, on sert fromage et pain
Et
triste bière préludant au coucher.
Et
Till rit de voir Lamme dépité,
Et
aux vitres de la salle, un instant paraît
Un
museau rieur qui sitôt disparaît.
Lamme
est si chagrin, Till a pitié.
Il
veut commander omelette, bœuf et boudin.
« Si
messires, dit le baes, veulent meilleur souper
Omelette
au jambon, choezels, castrelins,
On
servira illico sans devoir débourser
Et
chapon qui sous la dent fond,
Et
carbonnade aux quatre épices,
Et
bières et vins en hanap profond. »
Lamme
conclut : « Apportez tous ces délices ! »
Et
mange tout sans désemparer :
Jambon,
chapon, castrelins, omelette,
Et
boit bières et vins à plein gosier ;
Enfin,
il souffle d’aise comme baleine replète.
Au
matin, Till trouve Lamme ronflant
Dans
un grand lit, avec une bourse à côté de lui
Emplie
de carolus d’or et de patards d’argent.
« Où
est ma femme, crie Lamme. Elle était ici cette nuit. »
« Ne
pleure pas, Lamme, tu la reverras ta femme.
Elle
t’aime encore, elle est venue pour toi.
Ne
pleure pas, l’ami, elle reviendra ta femme,
C’est
une bonne fille et elle tient à toi. »