mercredi 7 janvier 2015

Le Rire de Charlie

Le Rire de Charlie


Chanson de langue française – Le Rire de Charlie – Marco Valdo M.I. – 2015





Je pensais, Lucien l'âne mon ami, je pensais ne plus écrire de chansons… À quoi bon ? J'hibernais au creux de mon arbre. Et puis, d'un coup, un cri, un appel m'a réveillé… C'était Charlie, Charlie qui disait :
« Je suis Charlie.
Au secours, les cons nous cernent
Et ils tirent.
Je suis Charlie. »
En mon cœur, ce fut en un instant l'hiver et l'effroi. L'autodafé est revenu. J'ai senti le retour d'un vent pestilentiel qu'un temps on a cru pouvoir éteindre. Il y a maintenant d'autres tueurs en ville. Mais face à cela, il n'y a pas trente-six mille manières d'être. Ora e sempre : Resistenza ! Ô, Lucien l'âne mon ami, que l'humanité de l'homme est difficile à faire advenir…


Je l'entends bien ainsi, moi qui depuis des milliers d'années traîne mes sabots parmi mille sortes de gens, je le sais bien que rien n'est encore abouti. Je le sais bien que l'homme humain est encore à faire.


Donc, Charlie, tu le connais Charlie… a été attaqué et martyrisé par on ne sait quels sauvages imbéciles et moi qui, comme je te l'ai dit, n'avait plus trop le goût à la chanson, rapport à l'hibernation -, je me suis senti soudain repris par cette envie d'écrire, d'écrire pour ne pas laisser tomber Charlie dans le néant où on a voulu le jeter. Et, vois-tu Lucien l'âne mon ami, j'ai tout aussitôt compris que ni toi, ni moi, le cœur et l'âme, ne pourrons pas abandonner de sitôt la tâche qu'imprudemment, pensais-je, nous nous étions donnée. Voilà que comme le dessin, la caricature, nos textes se mettent à être de petits riens essentiels de la vie. Bref, nous ne pouvons pas laisser tomber, les mots, les mots – sous toutes leurs formes – finalement construisent l'humain dans l'homme. Face à la barbarie – et c'est vraiment de ça qu'il s'agit…


Oui, tu ne penses pas si bien dire… Les mots ont toujours été le rempart le plus efficace contre la barbarie. Et laisse-moi dire que je connais Charlie et que je ne sais ce qu'ils avaient en tête en tuant ces bonnes gens, mais ce que je sais, c'est que Charlie ou ce qu'il incarnait vivra demain, après demain et peu importe qu'on le brûle, qu'on le détruise, il resurgira. Il avait pris le relais d'un autre iconoclaste, qui lui-même prenait la succession… En remontant on y trouverait en vrac : Voltaire, Meslier et Valdo lui-même.


Dès lors, j'ai pris ma plume… Oui, ma plume, une plume à l'encre, un vieux cahier et j'ai jeté quelques mots… Justement, ce message de Charlie… Et puis, cette pensée de Desproges, dont on parlait l'autre jour… « On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde ». Oui, c'était le rire de Charlie, un rire homérique, le rire face à la connerie… Seulement voilà, les cons, c'est dans leur nature ou dans leur culture – comme on voudra, les cons ne rient pas, ils tirent. Comme disait Brel : « Chez ces gens-là, Monsieur, on ne pense pas, On ne pense pas, on tire ». Et puis, tu connais ça, la musique, la musique des mots est venue et sortant d'un lointain paysage, peut-être de la prison de Mons, là-bas au coin de ma rue, j'ai entendu Verlaine, Verlaine qui me soufflait de belles sonorités… tirées de ses romances sans paroles. Cette voix de l’autre siècle chantait :
« Ô triste, triste était mon âme... ». J'ai tout mis ensemble et voilà...


Bon, voyons cette chanson… Qu'elle soit bonne ou mauvaise… Mais sous de tels auspices, j'imagine qu'elle doit se comporter vaillamment. Cela dit, revenons à notre tâche et avec ta chanson, tissons le linceul de ce vieux monde plein de barbares, assassin, stupide, croyant, crédule, religieux et cacochyme.



Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Je suis Charlie.
Les cons nous cernent
Ils tirent.
Je suis Charlie.

On peut rire de tout
Il n'y a rien de meilleur pour la tête
On doit rire de tout
Surtout, surtout des prophètes.

Ô triste, triste est mon âme
À cause, à cause d'une bande infâme
Je ne peux m'en consoler
Mon cœur est à jamais blessé.

Je suis Charlie.
Les cons nous cernent,
Ils tirent.
Je suis Charlie.

On peut rire de tout.
Rire, c'est la fête et la vie à la fois.
On doit rire de tout :
Des dieux, des croyances et des fois.

Mon cœur et mon âme
Maintenant sont en flammes.
Jamais, jamais, je n'accepterai
Mon cœur et mon âme piétinés.

Je suis Charlie.
Les cons nous cernent,
Ils tirent.
Je suis Charlie.

On peut rire de tout,
Joie de l'homme et de l'existence.
On doit rire de tout :
Des religions et des croyances.

Mon cœur, mon cœur sensible
Dit à mon âme : est-il possible ?
Est-il possible – les crétins,
Qu'on tue le rire pour le rien ?

Je suis Charlie.
Les cons nous cernent,
Ils tirent.
Je suis Charlie.

On peut rire de tout;
Le rire rend heureux.
On doit rire de tout :
Ne par rire, c'est mourir un peu.

Mon âme dit à mon cœur :
Ces gens-là sont sans pudeur.
Jamais, je n'entends me soumettre
Ni à leur Dieu, ni à leurs Maîtres.

Je suis Charlie.
Les cons nous cernent,
Ils tirent.
Je suis Charlie.

L'Injure ou Prophètes, dieux et déesses

L'Injure
ou
Prophètes, dieux et déesses

Chanson française – L'Injure ou Prophètes, dieux et déesses – Marco Valdo M.I. – 2013





« Noi, non siamo cristiani, siamo somari... » est une de nos devises et elle est particulièrement indiquée pour cette chanson où il est question des prophètes, des dieux et des déesses et de leurs aficionados. Tous d'une susceptibilité effrayante et prompts aux insultes et aux massacres.


Voilà bien un étrange sujet... et pourquoi donc te préoccupes-tu des dieux, des prophètes et des déesses, à présent ?, dit Lucien l'âne en riant de toutes ses dents. J'imagine que tu es repris d'une crise d'aédisme... Cependant, je croyais la question réglée depuis la plus haute Antiquité par mon maître Épicure... Qui, s'il n'avait pas explicitement fait profession d'athéisme, avait tranquillement renvoyé les dieux à leurs oignons et aux joies de l'Olympe en les priant de foutre la paix aux humains. Les humains et les vivants, la terre et le réel d'un côté et les dieux de l’autre, dans le néant. Chacun chez soi et les vaches seraient mieux gardées et la pauvre Io à l'abri de ce vieux libidineux pervers et travesti.


Certes, certes, il me faut sans doute expliquer un peu le pourquoi du comment et quelle mouche m'a piqué., dit Marco Valdo M.I. Tout est venu de ce que le jeune Alber Saber, étudiant en philosophie du côté du Caire ou d’Alexandrie ou de quelque part en Égypte, a dû fuir son pays, car il était poursuivi par la justice pour le crime d'athéisme. Comme on avait déjà tenté de l'assassiner plusieurs fois, comme il avait déjà goûté aux prisons locales, il a préféré s'exiler quelques temps, si ce n'est pour la vie entière – ce que je lui conseillerais volontiers. Apprenant son aventure et lisant le même jour que le stercoraire, le fameux bouseux d'Aristophane, cet insecte qui pousse par devant lui une boule de merde, traversait l'univers comme nos plus vaillants capitaines en se guidant sur les positions de la Voie Lactée [http://www.cell.com/current-biology/retrieve/pii/S0960982212015072] et me souvenant que ce bouseux, bouffeur de merde était – pour les mêmes Égyptiens et depuis la plus haute Antiquité, le Dieu vivant sur la Terre, j'en ai fait cette chanson. Que je vais faire précéder de la lecture intégrale de ma traduction du petit article de l'Uaar (Union des Athées et Agnostiques rationalistes – italiens) qui raconte l'histoire d'Alber Saber. Voici donc la chose :
« 
Le blogger athée Alber Saber fuit l'Egypte

L'Égyptien Alber Saber, le jeune blogger athée condamné à trois ans pour blasphème et libéré sous caution en attente de la fin de son procès, a quitté son pays. En Egypte, après la révolution qui a mis fin au régime de Hosni Mubarak, on est remporté les élections les Frères Musulmans représentants du président Muhammed Morsi. Et une chape d'obscurantisme est ombée sur ceux qui étaient accusés d'offenser l'Islam.

La procédure judiciaire contre Saber, au tribunal pour avoir géré un groupe Facebook d'athées, n'est pas encore terminée. Le jeune homme a décidé de fuir l'Egypte en préférant l'exil ce 26 janvier, date de la dernière audience, pour sauvegarder lui-même et sa famille. Il l'explique dans une longue et passionnent interview
au Daily News Egypt. Il y raconte son expérience de vie, son activité pour la laïcité et les droits. Et où il esquisse le cadre politique égyptien, dans l'espoir qu'il puisse évoluer.

Malgré les menaces et les agressions subies même pendant le procès et en prison, Saber revendique le droit d'affronter et de critiquer la religion. « Je n'ai jamais renié mon athéisme », explique-t-il, « Ce sont mes opinions et elles se basent sur des études sérieuses de religion comparée », ajoute-t-il en rappelant qu'il est étudiant en philosophie. La police, au lieu de le protéger, l'a arrêté. Ses camarades de cellule ont été montés contre de lui et le soumettaient à des vexations : il leur avait été dit que Saber « avait insulté aussi bien le christianisme que l'Islam ». Tant qu'un d'entre eux lui a blessé le cou avec un rasoir.

Alber Saber raconte comment il est devenu athée, entre 2001 et 2005...
Bien avant la révolution, il rejoint les mouvements contre le gouvernement. Il fréquente l'université, où il révèle que les islamistes, le considérant « dangereux » pour ses vues critiques, le provoquent constamment et tentent de l'assassiner par trois fois.

Il expose donc ses vues laïques et démocratiques, en critiquant la pesante influence de la religion sur la politique et sur les lois. « J'estime que nous devrions avoir des mariages civils », explique-il. Pour arriver à la laïcité de l'État il faut selon Saber « accroître la conscience » : « nous devons expliquer ce que signifie vraiment le mot « laïcité » », « comment l'État soit une institution et ne puisse pas adopter une religion particulière. Nous avons besoin d'expliquer des choses comme la « dictature de la majorité » et que la démocratie signifie aussi protéger les droits des minorités ».

Il critique également la Constitution à peine approuvée pour sa position confessionnaliste. Il explique que dans l'article 44 on dit que des « prophètes et autres figures religieuses ne peuvent pas être insultés ».
« Les chrétiens ne croient pas que Mahomet soit un prophète : est-ce une insulte ?  », se demande-il, « Si un chrétien l'affirme, devrait -il être soumis à un jugement ?» 
« Les islamiques ne croient pas que Jésus soit Dieu : est ce une insulte aussi ? »

Saber est un activiste politique qui retient la laïcité indispensable pour une démocratie accomplie. Il militait entre autres dans le National Association for Change, formée de mouvements qui soutenaient Mohamed El Baradei à la présidence et s'opposait à l'autorité stricte du président Morsi. « Je ne crois pas dans un « État civil » » — un « euphémisme » employé par les laïques en Égypte pour ne pas irriter les intégristes islamiques — « un État non religieux s'appelle « État laïque » et c'est ainsi que nous devrions l'appeler », revendique-t-il.

Une histoire, celle du jeune Alber Saber, qui représente vraiment l'espoir pour un printemps arabe dont puisse émerger une nouvelle génération laïque. Avec des jeunes engagés qui s'activent pour la défense des droits civils et de la démocratie, contre l'intégrisme religieux qui prend pied. Une leçon que nous devrions apprendre même en Italie. Les vicissitudes d'Alber Saber, auquel va notre solidarité, doivent ensuite nous faire réfléchir sur les cas croissants de non-croyants persécutés dans le monde. Des cas, rappelés aussi par le Center for Inquiry, qui ne trouvent malheureusement pas d'espace sur nos moyens d'information.

La rédaction
(http://www.uaar.it/news/2013/01/29/blogger-ateo-alber-saber-lascia-legitto/)
Comme tu le verras par le jeu des poils, cette chanson se veut rattachée aux traditions de chansons d'étudiants – manière de saluer Alber Saber l'étudiant en philosophie persécuté et d'affirmer haut et fort une joyeuse impiété. Car Noi, non siamo cristiani...


Finalement, je trouve que tu as très bien fait de raconter cette double histoire et je pense quant à moi, qui je le rappelle à dessein, moi qui suis un âne – depuis la plus haute Antiquité et qui ai vu bien des massacres à Jérusalem, par exemple où ils se sont tous entretués avec véhémence, sur les bûchers d'Espagne et de Navarre, dans Paris-même un jour de Saint-Barthélémy, sans compter les persécutions contre les amis de Valdo et contre Valdo lui-même, sans compter tout se qui se fit et se fait au nom de Dieu ou de ses prophètes, simple maquillage de l'ambition de domination et de possession indue du monde, camouflage utilisé dans cette Guerre de Cent Mille Ans que les riches mènent avec une triste obstination contre les pauvres, je pense donc que nous qui en effet : « Non siamo cristiani, siamo somari » – nous devons reprendre notre tâche et tisser le suaire de ce vieux monde menteur, hypocrite, croyant car crédule et crédule car croyant, oppresseur, massacreur, d'une infinie stupidité et définitivement cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


On ne peut insulter les dieux ni les déesses
Poils aux tresses
Et moins encore les prophètes
Poils aux côtelettes
Les Chrétiens ne croient pas que Mahomet soit un prophète
Poils sur la tête
Est-ce une injure ?
Poils sous la ceinture
Les Islamistes ne croient pas que Jésus soit un Dieu
Poils aux yeux
Est-ce une injure ?
Poils sous la ceinture
Ma noi, non siamo cristiani,
Siamo somari
Et nous qui ne sommes pas chrétiens
Nous sommes des humains
Poils dans la main
Humains, nous ne croyons
Poils aux ischions
Ni au Tout puissant, ni à ses prophètes, ni à son fils
N'y voyez pas malice
Poils au pubis


Les Hindous qu'on le sache
Ont la plus grand dévotion pour la vache
Poils à la moustache
Les Mayas adoraient un oiseau- serpent
Poil aux dents
Les Incas se disaient fils du Soleil
Poils aux oreilles
Les Babyloniens avaient un dieu-poisson
Poils à l'hameçon
Et nul n'y voyait d'injure
Poils sous la ceinture
Ma noi, non siamo cristiani,
Siamo somari
Et nous qui ne sommes pas chrétiens
Nous sommes des humains
Poils dans la main
Humains, nous ne croyons
Poils aux ischions
Ni au Tout puissant, ni à ses prophètes, ni à son fils
N'y voyez pas malice
Poils au pubis


Les Égyptiens depuis la nuit des temps
Poils aux dents
Regroupés sur les bords du Nil
Poils au nombril
Croient que le coléoptère stercoraire
Poils au derrière
Poussant sa boule de merde séchée
En se fiant à la Voie Lactée
Poils aux péchés
Est le Dieu vivant, le grand Ra de lumière
Poils à la mentonnière
Et nul n'y voyait d'injure
Poils sous la ceinture
Ma noi, non siamo cristiani,
Siamo somari
Et nous qui ne sommes pas chrétiens
Nous sommes des humains
Poils dans la main
Humains, nous ne croyons
Poils aux ischions
Ni au Tout puissant, ni à ses prophètes, ni à son fils
N'y voyez pas malice
Poils au pubis

Je suis Charlie


Au secours ! Les cons nous cernent !
Et ils tirent....


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

LA NUIT DES CRAYONS BRISÉS


LA NUIT DES CRAYONS BRISÉS

Version française - LA NUIT DES CRAYONS BRISÉS – Marco Valdo M.I. – 2010
D'après la version italienne de Riccardo Venturi - LA NOTTE DELLE MATITE SPEZZATE – de la chanson argentine Noche de los lapices de Rogelio Botanz – 1986








Claudio de Acha - 17 ans.
Gustavo Calotti - 18 ans.
María Clara Ciocchini - 18 ans.
Pablo Díaz - 18 ans.
María Claudia Falcone - 16 ans.
Francisco López Muntaner - 16 ans.
Patricia Miranda - 17 ans.
Emilce Moler - 17 ans.
Daniel Racero - 18 ans.
Horacio Ungaro - 18 ans.




Les nuits des crayons, des bolzanettes, des boucheries.
de Riccardo Venturi

1982: Pablo Díaz, 24 ans, sort. Pas même d'une prison. De nulle part. Il sort du néant. Il sort de la
desaparición (disparition). Il sort de la mort militaire. Il y était entré avec ses compagnes et ses compagnons d'école, le 16 septembre 1976. Ils les avaient enlevés à l'aube, accusés d'avoir réclamé l'abonnement d'autobus gratuit, ou moins cher, pour les enfants des écoles de La Plata, le boleto estudiantil – le billet étudiant. Il suffisait de cela dans l'Argentine de la junte militaire bénie par Monseigneur Pio Laghi, pour être considéré comme subversif. Ils l'ont appelée, tout le monde doit le savoir, la Noche de los lápices, La Nuit des Crayons. [ L'humour des militaires m'échappera toujours, dit Lucien l'âne en frémissant].

Les policiers et les militaires arrivèrent à l'aube. Noche de los lápices était le nom qu'ils avaient donné à l'« opération ». Ils séquestrèrent les garçons et les filles et les emmenèrent en divers endroits secrets de la ville; et quand les familles, apprenant qu'ils avaient été enlevés, allèrent demander dans quelle prison ils avaient été enfermés, il leur fut répondu qu'ils n'étaient pas en prison. Ils avaient été conduits directement à quelque chose de pire, dans l'enfer, et si l'enfer est une blague inventée par les prêtres, les souterrains des casernes ou d'autres lieux, où les étudiants avaient été emmenés, au contraire existaient. C'étaient des lieux. C'était l'anéantissement de toute humanité. C'était le pouvoir dans son essence véritable.

Pris, emprisonnés, bandés, torturés. Les filles violées à sang. Maria Clara avait 18 ans, Maria Claudia 16, toutes deux avaient des noms italiens, marque d'une ancienne émigration qui était partie en Argentine avec une espérance. L'espérance s'était muée en torture et mort. À un garçon qui, pendant qu'ils le massacraient, invoquait Dieu, un militaire répondit Aqui Dios somos nosotros. Ici, Dieu, c'est nous. Des dizaines d'enfants séquestrés, il n'en survécut que trois. Toutes les filles moururent. Pablo Diaz, revenant au jour sans renaître (car une expérience du genre rend mort pour toute la vie), raconta toute l'histoire de cette nuit et de la Nuit entière. En 1986, le cinéaste Héctor Olivera, qui enfant avait étudié dans une école militaire et qui en avait gardé une horreur insoutenable, réalisa un film La Noche de los Lápices. Pablo Diaz participa à l'écriture du scénario.

Quelque faits, quelques noms. L'opération fut réalisée conjointement par le Battaglione 601 de l'Armée argentine et par la Police du district de Buenos Aires. Elle était dirigée par le général Ramón Camps. Il s'agissait d'une dissuasion contre la « subversion dans les écoles », la mission, selon les mots de Camps, était : « Les adolescents séquestrés devaient être éliminés après avoir subi des peines indicibles ». Les enfants furent tous emmenés dans des centres clandestins de détention : Arana, le « Puits de Banfield », le « Puits de Quilmes », la Questura Provinciale de Buenos Aires, les commissariats de La Plata et de Lanús (le faubourg où est né Maradona) et le polygone de tir de la Questura de Buenos Aires.

Cela se passait sous une dictature impitoyable. On se demande encore comment cela fut possible. Des gosses au lycée. Puis, on nous donne la réponse : dans une dictature militaire sud-américaine, ç'a été possible. Chez nous, une chose pareille, heureusement, ne serait jamais possible. Nous sommes une démocratie, nous avons des « forces de l'ordre » démocratiques, notre pouvoir est un pouvoir démocratique. [C'est bien là le problème, dit Lucien l'âne... La loi des plus forts, la loi des plus nombreux...] Chez nous, un inspecteur de police ne pourrait jamais massacrer un lycéen.
Chez nous, il n'existe pas de centre de détention de la police où on massacre et on torture, où l'on bastonne au cri de Un-due-tre viva Pinochet (en français et pour la rime : Un-deux-trois Vive Videla, ou Massera – Pinochet ou Galtieri, çà ne rime pas), où on viole, où les inspectrices appelle les filles « putes communistes » en les giflant

Chez nous, enfin, une Nuit des Crayons... Il ne manquerait plus que çà. Chez nous, les crayons servent à écrire et écrire est subversif. Nous préférons les boucheries et leurs nuits [de Gênes].

École Diaz, en effet. Curieuse coïncidence. Le même nom que des dizaines et des dizaines d'écoles en Italie, du nom d'un général de merde (il s'appelait Diaz [Armando Diaz] – sur le front en 1917-18). Moi aussi, en primaires, je suis allé à une « Diaz ». Il faudrait retirer cet « Armando » qui a été responsable du massacre d'une guerre où il a envoyé mourir une génération entière d'adolescents. Ce serait bien de dédier toutes ces écoles à Pablo Diaz et à tous les enfants dont on brisa les crayons et la vie. Mais ce n'est pas notre souvenir. Pas notre mémoire : La memoria - RV, 1er octobre 2010.




Claudia fut liquidée d'un coup de pistolet dans la nuque dans les souterrains de Banfield entre le 1 et le 15 janvier 1977. Pour la loi argentine, elle est encore « disparue ».

Voilà, Lucien l'âne mon ami, la chanson du jour, car tu vas certainement me le demander, raconte, évoque un bel amour, une jeune fille de Buenos-Aires, une adolescente, Claudia, qui fut arrêtée, enlevée, séquestrée, brutalisée, martyrisée... Elle s'intitule « La Nuit des Crayons brisés »... Les militaires et les policiers à l'origine de cette rafle et de ce massacre, avec un humour ravissant, avaient intitulé leur crapuleuse opération, qui rappelle la Rafle du Vel d'Hiv et d'autres razzias du même acabit : « Nuit des Crayons », car il s’agissait bien d'enfants, de jeunes élèves. Sans doute, avec un rappel subliminal à la « Nuit de Cristal », où l'on brisa tant de vitres. J'ai gardé dans le titre de ma traduction l'idée de « crayons brisés », en rappel à cette organisation antifasciste et antimilitariste de chez nous en Wallonie dont le nom était « Les Fusils Brisés ».

Oui, je comprends, dit Lucien l'âne. On est touché au cœur par cet amour brisé.

Ah, Lucien l'âne mon ami, c'est vraiment une atroce histoire que celle de cette chanson et quel destin horrifique que celui de ces jeunes gens enlevés par la police et les militaires et martyrisés, là-bas en Argentine. Tout çà pour satisfaire le goût du pouvoir d'une caste d'imbéciles. Tu sais, notre ami Riccardo Venturi a raison de rappeler que l'Italie démofasciste actuelle ne se comporte pas vraiment mieux, elle qui se pare des plumes de la démocratie... Ce qui s'est passé à Buenos-Aires, s'était passé en Grèce, cela s'est passé en Italie (et pas seulement sous Benito regnans), c'était à Gênes, c'était il y a peu de temps. Comme tu le vois, dans les faits, la démocratie est un paravent, elle est un leurre, c'est le cache-sexe du libéralisme lequel est comme le vin : liquoreux, moelleux, doux, demi-sec, sec et franchement brut quand il le juge nécessaire. En l'espèce, il l'a jugé nécessaire. Il a montré sa brutalité. On voit alors sortir de la boîte à (mauvaises) surprises des policiers, des militaires, des colonels, des généraux « rebelles » (ce fut le cas en Espagne, au Chili, en Argentine...) et jusque des maréchaux – « Maréchal, nous voilà ! » qu'ils chantaient en 1940.

C'est très exactement la chose comme elle se passe !, dit Lucien l'âne en fronçant ses grands yeux. C'est une des formes de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches mènent contre les pauvres afin de maintenir, d’accroître, de perpétuer, de développer leurs privilèges, leurs pouvoirs et leurs richesses. Usque tandem ? Je te le dis, Marco Valdo M.I mon ami, en définitive : Proprietas delenda est !

Regarde, Lucien l'âne mon ami, les événements de ces derniers jours. On croit que l'Europe, que Bruxelles... sont des exemples de démocratie. En effet, ils le sont ! Pas plus tard qu'hier, à Bruxelles, capitale de l’Europe qui se dit démocratique, on a démocratiquement arrêté, mis en prison, emmené dans des lieux réservés à la police plus d'une centaine de personnes qui avaient l'intention (je dis bien l'intention) de manifester. La feuille de vigne constitutionnelle est tombée et on a vu le vrai visage de notre « démocratie ». La Constitution (comme toute Constitution d'ailleurs, comme les élections – souviens-toi d'Allende (9/11), par exemple ou de la République espagnole ) ne vaut que quand elle sert certains intérêts... à d'autres moments, elle est tout simplement effacée, oubliée, mise au placard. Je te le dis, Lucien l'âne mon ami, la maladie italienne a franchi les Alpes... Elle monte, elle monte et si l'on n'y prend garde, elle va submerger l'Europe...

Tu sais, Marco Valdo M.I. mon ami, toi et moi, nous deux tout seuls, nous n'y pouvons pas grand chose si ce n'est résister (Ora e sempre : Resistenza !) et tisser notre partie du linceul de ce monde en putréfaction et décidément, cacochyme.

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.




Ton amour grandit
Il fait craquer du dedans les cadenas de l'horreur
Nous reconnûmes ton regard dans le regard de celui qui vit
Dans tes yeux palpiter un cœur.

Claudia, tu le sais
Tu n'es pas seule, ce n'a pas été en vain,
Ton silence est assourdissant, par la main
De ton ami nous est parvenue ta soif d'amour
Et l'allègre ordre de trinquer.

Aujourd'hui comme hier
Avec le dernier soupir de l'année qui meurt
Chaque larme impuissante nous la baignerons dans le champagne
Et en levant le calice nous crierons OÙ SONT-ILS ?

Je tire le fil de la mémoire à partir de ce moment
Avec mes crayons de couleur, je te dessine une chanson
Un cœur avec une flèche, Claudia et Pablo,
De chaque côté, pour toujours le même amour.

Claudia, tu le sais...
Depuis lors, Saint Sylvestre est le patron du souvenir
Et chaque Nuit des crayons, il écrit une fois de plus
Sur la queue d'une comète : OÙ SONT-ILS ?

Je tire le fil de la mémoire à partir de ce moment
Avec mes crayons de couleur, je te dessine une chanson
Un cœur avec une flèche, Claudia et Pablo,
De chaque côté, pour toujours le même amour.