lundi 15 avril 2019

LA COMPTINE ADULTE



LA COMPTINE ADULTE


Version française – LA COMPTINE ADULTE – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson allemande – Kein KinderliedMascha Kaléko1968

Poème de Mascha Kaléko (née Golda Malka Aufen, 1907-1975), poétesse juive polonaise, originaire de Galice austro-hongroise.
Un poème mis en musique, par exemple, par Jörg Hofmann in « Mascha Kaléko - Den Herbst im Herzen, Winter im Gemüt ».

Mascha Kaléko


Golda Malka Aufen, alias Mascha Kaléko, est née en Galicie dans une famille juive d’origine russe. Suite à la Guerre et à la misère qui s’ensuivit, la famille fuit en Allemagne, où Macha a grandi à Marbourg, puis à Berlin où elle poursuit des études de secrétaire. En 1928, elle épouse un enseignant, Saul Aaron Kaléko. En 1930, elle commence à publier des poèmes dans la presse. Ses œuvres la font rapidement connaître. Elle fréquente le « Romanisches Café », fréquenté par les journalistes, les écrivains et de façon générale, l’intelligentsia berlinoise.
En 1933, avec l’arrivée des Nazis au pouvoir en Allemagne, son nom se retrouve sur la liste des auteurs interdits, comme les autres écrivains juifs. Elle s’exile (juste à temps) en 1938 à New York avec son deuxième mari, le musicologue Chemjo Vinaver. Elle revint vivre à Berlin en 1956, le temps d’être consacrée par le prix Fontane, qu’elle refuse, car elle devait le recevoir des mains d’un ancien officier nazi. Juste après, elle alla s’installer à Jérusalem en 1960.


Dialogue Maïeutique


Voici, Lucien l’âne mon ami, une comptine adulte et en plus, elle parle du voyage, du voyage qui toujours mène nulle part ou peut-être, devrait-on dire jamais quelque part. Qu’en penses-tu, toi qui erres depuis tant et tant de temps ?

Marco Valdo M.I. mon ami, tu devrais savoir qu’un âne n’est pas censé parler, il n’est même pas censé être sensé. Pourtant, comme tu m’interroges, je m’en vais te répondre. D’abord pour fixer le contexte de ma réponse. Pour commencer, j’aimerais insister sur ceci que cette comptine de Mascha Kaléko s’appuie sur sa propre histoire, sur cette vie où comme des milliers et des milliers de familles juives, elle erra de Silésie, en Allemagne, d’Allemagne en Amérique, puis, elle finit son parcours en Israël. Comme je ne sais trop quand ce texte a été réellement pensé et écrit, je ne fixerai pas les choses. Mais ce qui me frappe, c’est que sa vie alla ainsi brinquebalant d’un refuge à l’autre – fuir la Pologne, la peur et la misère, puis devoir fuir l’Allemagne devenue nazie… et que cette comptine adulte reflète cette bousculade. J’ajouterais que dans la Guerre de Cent Mille Ans, c’est un destin partagé par énormément de gens. Sa chanson est universelle, cette comptine est celle de tous les déplacés, de tous les réfugiés, de tous les exilés.

Ainsi, Lucien l’âne mon ami, la comptine, généralement destinée aux enfants, aux petits enfants, par la grâce de la poétesse, est devenue adulte. Ce n’est pas la seule comptine du genre, surtout quand la comptine est prise dans le tourbillon de la guerre et qu’elle dit l’effroi du monde ; juste deux exemples : une comptine d’Ilse Weber Theresienstädter KinderreimComptine de Thérésine et de Fritz Löhner-Beda, la Kindermärchen – La Marche des Enfants, la « marche » étant elle-même une sorte particulière de chanson ; en réalité, la traduction exacte serait : Le Conte enfantin, qui serait l’antonyme de la comptine adulte.

Certes, dit Lucien l’âne, il y aurait encore beaucoup à dire sur les comptines et sans doute, en viendra-t-il encore – les mêmes causes (exil, déportation, fuite) causant les mêmes effets : les plaintes des gens frappés par le malheur prennent alors les allures de complaintes. En attendant, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde plein de malheurs et d’exil, de guerres et de vexations, effrayant, mortel et cacochyme.
Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane






Où que j’aille en voyage,
J’arrive toujours nulle part.
Les valises encombrées de bagages,
Le cœur empli de cafard.
Aussi solitaire que le vent du désert,
Aussi apatride que le sable :
Où que j’aille en voyage,
J’arrive toujours nulle part.
Où que j’aille en voyage,
J’arrive toujours nulle part.


Les forêts ont disparu,
Les maisons ont brûlé.
D’autres, je n’en ai pas trouvées.
Personne ne m’a reconnu.
Et quand l’étrange oiseau a crié,
Je me suis envolée.
Où que j’aille en voyage,
J’arrive toujours nulle part.
Où que j’aille en voyage,
J’arrive toujours nulle part.