vendredi 8 septembre 2017

AINSI VA LE MONDE

AINSI VA LE MONDE

Version française – AINSI VA LE MONDE – Marco Valdo M.I. – 2017
Chanson italienne – Il mondo va cosìFranco Battiato1967

C’est un des premiers 45 tours de Battiato (1967) ; elle est une adaptation d’Et moi, et moi, et moi de Jacques Dutronc . Les auteurs de la version originale sont Jacques Lanzmann (Texte) et Jacques Dutronc (Musique) ; la version italienne est de Herbert Pagani et de V. Buffoli.


Des millions de gens d’ici
Comme moi, comme moi,
Devant la télé tous les soirs




Dialogue maïeutique

Ah, Lucien l’âne mon ami, je suis content de te voir, car me voilà bien embêté.

Salut, Marco Valdo M.I. mon ami, moi aussi , je suis heureux de te voir et je serais encore plus heureux de t’aider. Dis-moi ce qui ne va pas et ce qui te désole pareillement.

Ce qui me désole et m’ennuie tant, Lucien l’âne mon ami ? Je vais te le dire à l’instant. C’est cette chanson de Franco Battiato que je viens de traduire. Enfin, ce n’est pas la chanson italienne elle-même qui fait problème, mais ma version française, car je ne peux m’empêcher de la mesurer à l’aune de la chanson française d’origine, ce « Et moi » de Lanzmann et Dutronc, dont Franco Battiato avait fait une adaptation en italien, celle que précisément je viens de remettre en français.

Et pourquoi donc, ça te désole à ce point, Marco Valdo M.I. mon ami.

D’abord, car comme je te l’ai dit, Lucien l’âne mon ami, j’avais toujours trouvé fort réussie la chanson de Dutronc et je ne devais pas être le seul, car elle fit fureur dès sa création dans les années 60 du siècle dernier ; par ailleurs, je l’avais en tête et elle venait toujours se mettre entre moi et ma tentative de version de celle de Battiato. Bref, je suis gêné aux entournures et cette gêne doit sans doute beaucoup à ce mécanisme embrouillé qui a présidé à la réalisation de ma version française. Souviens-toi, Lucien l’âne mon ami, de ce fantastique « Et moi et moi et moi », de l’effet qu’il fait quand on l’entend pour la première fois – et même après, mais ce n’est plus pareil et de sa pertinence quand il expose le nombril de l’Européen moyen face à la misère du monde et face à l’immensité du monde.

Encore que, Marco Valdo M.I. mon ami, c’est une formidable caricature et que de ce fait, elle ne fait pas dans la dentelle, ni dans le détail, car en Europe (et d’ailleurs, laquelle ?), on trouve aussi bien des misères.

Soit, mais je pense que ce qui me gêne surtout – et ce n’est pas la première fois que ça m’arrive et pour tout dire, ça m’arrive souvent, j’ai l’impression de ne pas être à la hauteur de ma tâche et des auteurs des textes d’origine.

Mais enfin, Marco Valdo M.I. mon ami, on ne t’en demande pas tant. Finalement, tout ce qu’on te demande, c’est une version française et basta. Il y en aurait de pire, il y en aurait de meilleure ; peut-être, mais pour cela, il faudrait déjà qu’il y en ait. C’est d’ailleurs vrai pour l’ensemble des chansons que l’on traduit, qu’on adapte, qu’on transpose. Donc, la version française que tu fais, elle plaira, elle ne plaira pas, on ne sait. Mais, c’est sans grande importance ; son principal mérite est qu’elle existe. Maintenant, je t’invite à m’aider à tisser avec moi le linceul de ce vieux monde trop plein, trop peuplé, trop riche, trop guerrier, trop imbu de lui-même et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Sans paix, le monde n’a pas de chance
Et moi ici
Sur l’autre plateau de la balance,
Avec mon aspirine et ma crampe.
Ainsi va le monde
Et ce n’est pas fini.

Un milliard de sans-logis
Et moi ici
Avec mon auto, mes chats
Et mon appartement sur le toit
Ainsi le monde s’en va
Et ne finit pas là

Trois cents millions de chars d’assaut
Et moi ici
Avec mon matelas d’eau,
Mon tourne-disque et mes photos.
Le monde va ainsi
Et ce n’est pas fini.

Plus d’un milliard de crève-la-faim
Et moi ici
Avec mes chips, mon embonpoint
Et mon régime méditerranéen.
Le monde va ainsi
Et ce n’est pas fini

Un milliard d’hébétés sont là
Et moi ici
Avec la peur du noir, du jaune, du rouge et du sida
Et leurs enquêtes sur l’amour à trois.
Le monde va ainsi
Et ce n’est pas fini.

Cent milliards de Martiens
Et moi ici
Je collectionne des objets anciens,
Eux préparent l’invasion de demain.
Le monde va ainsi
Et ce n’est pas fini.

Des millions de gens d’ici
Comme moi, comme moi,
Devant la télé tous les soirs
Et puis au lit dans le noir.
Ainsi, le monde va
Et ce n’est peut-être pas fini.
Le monde va ainsi,
Et ce n’est pas fini,
Et ce n’est pas fini.

L’Homme en gris

L’Homme en gris
Chanson française – L’Homme en gris – Marco Valdo M.I. – 2017
chanson inspirée de Morto sul selciato – Mort sur le pavé  – Marco Valdo M.I. – 2005





Pour faire sourdre le caractère éminemment poétique de l’écriture de Carlo Levi, son traducteur Marco Valdo M.I. (c’est-à-dire le soussigné) s’est essayé à moduler sous forme de chansons – chansons, au sens italien de canzone, comme l’entendaient Pétrarque ou Umberto Saba ou Pier Paolo Pasolini, c’est-à-dire de poèmes destinés (éventuellement) à être chantés et en tous cas, de paroles teintées d’une musicalité intérieure, quelques passages des « romans » ou des « écrits » de Carlo Levi. Il en présente le résultat ci-après. Celle-ci (et d’autres canzoni leviane ou comme j’aime les appeler en français canzones lévianes) fut écrite dans les deux langues qui se font écho l’une à l’autre, comme dans un duo de deux sœurs.
Avec les amis de la Fondazione Carlo Levi (Rome), c’était en 2005, j’ai cherché un chanteur, un groupe, un musicien qui aurait pu mettre en musique et en scène ces canzones. Idéalement, elles pourraient être chantées soit en italien seul, soit en français seul. Soit en italien et en français, un couplet après l’autre, un français, un italien. Ou encore par deux chanteurs ou chanteuses ou une combinaison des deux, l’un chantant le français, l’autre l’italien ou en alternance. Comme je suis traducteur (mais pas interprète, ce qui est tout autre chose), je sais combien une telle performance est complexe et difficile. Mais, quand même, qui veut relever le gant ?

À l’heure où j’écris ces lignes, douze ans plus tard, nul ne s’est encore présenté. Finalement, peu importe ; Homère attend toujours.
De toute façon, je viens de refaire entièrement la chanson ; certains diront que c’est une autre chanson. D’ailleurs, le titre lui-même est changé. Au titre explicite Morto sul selciato – Mort sur le pavé, j’ai finalement préféré un intitulé plus sobre : L’Homme en gris.
Quoi qu’il en soit, la chanson nous renvoie à Florence au moment où Carlo Levi (revenu d’exil clandestinement, rattrapé par la police, emprisonné aux Murates, libéré en juillet 1943 par la chute du dictateur, retourné à la clandestinité quelques mois plus tard) mène le combat pour la libération de Firenze, dont il fut un des protagonistes, et dans le même temps, écrit Cristò si è fermato a Eboli.
Mais ce n’est pas tout, car Carlo Levi n’est pas un héros isolé ; il est même au centre d’un mouvement clandestin depuis des années. Il en est un des dirigeants et une des têtes pensantes. On approche de l’épilogue et la lutte se mène dans des conditions nouvelles. La République Sociale (RSI) est purement fasciste ; en plus de ses milices, son armée, sa police sont fascistes et pire encore, l’armée allemande a envahi et occupe la partie de l’Italie où il se trouve. Sur Florence et sur toute l’Italie occupée, la pression militaire et policière est énorme ; elle est à la mesure du danger qui guette l’occupant et le régime fasciste. La bête est aux abois.
Cependant, faisons un peu de clarté. Quand on dirige un mouvement de résistance dans une guerre, il est entendu qu’on se doit de mener le combat et de recourir aux moyens les plus adaptés aux circonstances. Si on veut survivre, il faut assurer sa sécurité et celle de l’ensemble du mouvement. Il faut affronter sa propre mort, mais aussi, celle qu’il faudra bien infliger à l’ennemi. En particulier, il faut éliminer les traîtres.
C’est un épisode de ce genre que raconte la chanson : l’élimination d’un traître, d’un donneur, d’un délateur. C’est un événement net, précis ; un travail pensé, voulu et (c’est le cas de le dire) parfaitement exécuté. Il y fallait la précision et le calme sûr du chirurgien.
Il me reste à poser la question qui depuis des années m’intrigue, à savoir si Carlo Levi ne serait pas lui-même un des acteurs de cette scène de mort, s’il ne serait pas cet homme « de gauche », vêtu de gris, qui avance d’un pas tranquille. N’est-ce pas lui ce parfait exécuteur ? On ne le saura jamais.

Ainsi Parlait Marco Valdo M.I.



Sur la place ensoleillée,
Les enfants en pleine journée,
Jouent à la guerre.
Ils courent, ils crient, ils tirent
Pour les fusils : pan, pan, pan ;
Tac, tac, tac : pour la mitraille.
Marquant le pas, passe la patrouille
Et soudain, fuient les enfants.
Sous le soleil, la place déserte
Se fige sous l’alerte.



De droite, vient un homme
Tout de noir vêtu.
De gauche surgit un homme
Tout de gris vêtu,
Il avance tranquille
Sur la place de la ville.
La sirène s’est tue,
Les hommes se croisent.
Dans ce silence,
Ils vont tête nue.



Un seul bruit, clac.
L’homme en noir se couche,
En une lente flaque,
Du sang coule de sa bouche.
L’homme en gris marche
Sans presser le pas.
Il marche
Et ne se retourne pas.
Le mort était boucher,

Délateur, traître, exécuté.