vendredi 24 avril 2020

Le Destin



Le Destin

Chanson française – Le Destin – Marco Valdo M.I. – 2020

ARLEQUIN AMOUREUX – 56

Opéra-récit historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola « Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J. Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de l’édition française de « LES JAMBES C’EST FAIT POUR CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez Flammarion à Paris en 1979.


Viens, Matthias, il se fait tard.
Pour finir l’histoire, nous serons deux.



Dialogue Maïeutique

Comme presque toutes les chansons, dit Marco Valdo M.I., celle-ci a connu un enfantement tâtonnant ; elle est faite de gribouillis, de griffonnages, de ratures, de retours, de biffures, de bifurcations, de mots perdus. Elle a souvent hésité et changé plusieurs fois de visage et d’ordonnancement et tout comme les précédentes, elle doit beaucoup à cette structure un peu particulière qui lui donne une sorte de squelette sur lequel mettre sa chair et faire circuler son sang. En bref, la chanson est un être vivant, elle est faite de création et d’improvisation.

Ah, dit Lucien l’âne, c’est le lot des textes de création. Serait-ce la version réelle du « vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage » que Nicolas Boileau indiquait dans son Art poétique ?

Peut-être, partiellement, Lucien l’âne mon ami, ou peut-être pas. Je verrais les choses différemment, car je ne suis pas convaincu par sa démarche didactique qui voulait enserrer la poésie dans le cadre réglementé du raisonné et du raisonnable, digne du carcan du régime du Roi Soleil. Enfin, pour tout dire, cette démarche pesante, lourde de préméditation, appliquée à la création poétique n’est pas dans ma manière.

Quoi qu’il en soit, dit Lucien l’âne, dis-moi ce que raconte cette chanson.

Eh bien, Lucien l’âne, il te souviendra que Matthias, déserteur émérite, était revenu à l’endroit où devaient l’attendre les comédiens de bois, le temps qu’il en termine avec la guerre. À son retour, consternation, ils ne sont pas là. Ainsi, Matthias se tient sur la place, un peu désorienté et pur tout dire, abasourdi. C’est dans cet état réflexif qu’il est abordé par un vieux qui semble le connaître et qui entame sans plus tarder la conversation.

C’est normal, dit Lucien l’âne en riant, les vieux font souvent ainsi ; ils ont le temps long ; alors quand ils rencontrent quelqu’un qu’ils connaissent plus ou moins, même seulement de vue, ils tentent de lier conversation.

C’est exactement, ce qui se passe, reprend Marco Valdo M.I., sauf que ce vieillard, c’est Dieu.

Eh bien, dit Lucien l’âne, s’il y en a un qui a le temps long, ce doit bien être celui-là, car c’est long l’éternité, surtout si on commence au début.

Comme tu l’imagines, Lucien l’âne mon ami, la chanson relate leur conversation et Dieu tente de dédramatiser les choses, mais c’est à l’évidence impossible de dédramatiser la disparition de toute une troupe de comédiens, même en bois, et en prime, de celle du théâtre. Le désespoir de Matthias est intense. En plus, Dieu ne croit pas Matthias. Il y a là comme une inversion du monde lorsque Matthias répond, écoute ça :

« Quoi ? Je ne te crois pas, dit Dieu.
Voyons, Dieu, il faut me croire. »

On le comprend, Matthias, dit Lucien l’âne, c’est son théâtre, c’est son gagne-pain, c’est son rêve, c’est sa vie à cet homme-là.

Effectivement, répond Marco Valdo M.I., c’est tout ça. Alors, Dieu propose à Matthias une association ; il lui offre de l’accompagner pour le reste du voyage, mais Matthias n’a pas confiance en Dieu :

« À deux ? Je n’ai pas confiance en toi.
Tu es Dieu, tu es tout seul, c’est ta nature.
Avec toi, tu vois, on n’est jamais sûr.
Franchement, tu ne peux rien pour moi. »

Et finalement, Matthias s’en remet au Destin, au bon vieux Destin, seule certitude humaine et annonce qu’il va se pendre.

Voilà qui est terrible, dit Lucien l’âne, mais que ce ne sont que des mots venus d’une profonde déprime, comme c’est souvent le cas dans ces cas-là. Cela dit, je comprends Matthias, c’est un fameux coup du sort. Bref, en attendant de savoir la suite, tissons le linceul de ce vieux monde croyant, effondré, désaxé et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


Le vieux dit : Comment va, Matthias ?
Tout va bien, dit Matthias.
Et toi, ça va, mon vieux ?
Je ne sais pas, dit Dieu.

Les affaires ne s’arrangent pas.
Pourquoi devraient-elles s’arranger ?
Bah, ça ira, ça ira, comme ça a toujours été.
Alors, Matthias, ne nous tracassons pas !

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

Oh, je ne m’en fais pas.
Mon petit théâtre de bois,
Mes marionnettes ne m’attendent plus là-bas.
Plus personne n’attend après moi.

Quoi ? Je ne te crois pas, dit Dieu.
Voyons, Dieu, il faut me croire.
Viens, Matthias, il se fait tard.
Pour finir l’histoire, nous serons deux.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

À deux ? Je n’ai pas confiance en toi.
Tu es Dieu, tu es tout seul, c’est ta nature.
Avec toi, tu vois, on n’est jamais sûr.
Franchement, tu ne peux rien pour moi.

Tu peux être heureux. De quel bonheur ?
Fini le vagabondage hors des chemins,
Sans mes comédiens, c’est l’horreur.
Je vais me pendre, c’est mon destin.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.