lundi 15 août 2016

CHANSON DU MIRACLE ÉCONOMIQUE

CHANSON DU MIRACLE ÉCONOMIQUE


Version française – CHANSON DU MIRACLE ÉCONOMIQUE – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson allemande Lied vom WirtschaftswunderWolfgang Neuss1958
Pseudonyme de Günter Neumann (1913-1972), d’artiste polyédrique, cabarettiste, auteur-compositeur et pianiste.
Musique de Günter Neumann et de Franz Grothe (1908-1982), compositeur.

Tirée du film : « Wir Wunderkinder » – 1958 (Nous les enfants prodiges).




Allemagne du premier au second après-guerre. Le réalisateur Kurt Hoffmann transpose au cinéma un récit « Wir Wunderkinder » – 1958 (Nous les enfants prodiges) de l’écrivain Hugo Hartung (1902-1972) et, sur un ton pétillant et de cabaret (les scènes sont reliées entre elles par des chansons, en style brechtien), il raconte la montée du nazisme et ensuite la reconstruction de l’Allemagne après la guerre à travers des tribulations de deux protagonistes, Hans Boeckel (interprété de Hansjörg Felmy) et Bruno Tiches (Robert Graf), deux camarades de classe. Le premier est un journaliste honnête rencontrant beaucoup de difficultés sous le régime nazi ; le second est par contre un opportuniste intrigant qui fait carrière durant le Reich et ensuite, se livre au marché noir avec les Alliés et devient un gros entrepreneur. Mais un jour arrive le moment où il faut rendre des comptes.



Comme
le racontait Horst Lommer dans ses Nürnberger Betrachtungen, la prétendue « dénazification » de l’Allemagne fut beaucoup plus de la propagande qu’autre chose. Par ailleurs, nous ne « défascistifiâmes » rien ou presque, il est vrai que dans les deux les pays les démocrate-chrétiens revinrent au pouvoir etse recyclèrent dans leurs rangs nombre de gens qui avaient (bien) vécu à l’ombre des régimes. On avait sauvé le statu quo du « grand péril rouge », au prix de quelque compromission avec ceux qui avaient soutenuou au moins n’avaient pas dénoncé – le nazifascisme. La reconstruction de l’Europe Atlantique, soutenue par les généreuses subventions américaines, était une priorité qui ne pouvait pas se perdre dans des distinguos et des finesses : tout faisait farine. Ensuite le « miracle économique » des années 60 poussa les démocrate-chrétiens à coopter les sociaux-démocrates, pour se soutenir mutuellement et se partager l’appétissant gâteau ; en Allemagne, ce furent les « Große Koalition », inaugurées par un (ex-) nazi, le chancelier Kurt Georg Kiesinger ; en Italie, ce fut le « Centre-gauche » des divers gouvernements Fanfani (lequel avait beaucoup écrit sur la « Doctrine Fasciste » et avait été parmi les signataires du « Manifeste de la Race ») et Moro (qui pendant le fascisme avait été enseignant de « Politique coloniale » et avait activement participé aux « Littoriali » (Lictoriales), organisés par les Jeunesses Universitaires Fascistes).


Commentaire italien de Bernard Bartleby (Chansons contre la Guerre)


Dialogue maïeutique


Lucien l’âne mon ami, je pense que cette fois, tu ne me demanderas pas trop d’éclaircissements à propos du titre, ni de détails quant à la chanson et à l’histoire qu’elle raconte. Beaucoup a été dit par notre commentateur italien. Cela étant, il nous faut réfléchir au sens de cette histoire et à ce qu’elle peut signifier aujourd’hui. Et là, il y a des choses à dire.

Ho ho, dit Lucien l’âne en ouvrant des yeux comme des pupilles de chat à la tombée de la nuit. Je suis fort impatient de savoir de quelles choses il peut s’agir et aussi, de voir quels genres de commentaires cette chanson va t’inspirer. J’en ai bien une petite idée, mais tout en sachant que tu vas me bassiner de considérations à propos du miracle économique, je me dis que tu le feras d’une façon inhabituelle et c’est ce qui me turlupine – un peu. Ce sera sans doute – je le parie – dans le droit fil de ce qu’on peut deviner de l’ironie de la chanson, car il me paraît que cette chanson recadre les faits et situe – à sa manière – la résurrection économique de l’Allemagne dans un continuum, dans un flux issu des épisodes précédents de son histoire (et de la nôtre, conséquemment).

Tu as vu juste, Lucien l’âne mon ami, mais laisse-moi le temps de mettre mes lunettes. D’abord, car cette canzone est bien une parodie, elle est pleine d’ironie, amère sans soute, mais qui ne l’aurait pas été en voyant ce qui se passait alors en Allemagne. Par parenthèse, ce fut pareil dans tous les pays qui avaient fait partie de l’Axe (notamment, Japon, Italie) ou pour ceux qui dans les pays envahis s’étaient acoquinés avec l’occupant – marché noir, profits, fortunes, postes honorifiques, gratifications, sinécures, prébendes et bénéfices divers à des degrés divers. Bref, c’était « on prend les mêmes et on continue ». Ceci m’amène à une première réflexion concernant le titre du roman « Wir Wunderkinder » de Hugo Hartung et du film qui en est tiré par Kurt Hofmann. Cette réflexion porte sur la traduction du mot « Wunderkind », qui est généralement traduit par « enfant prodige ».

Voilà qui est intéressant, dit Lucien l’âne en approuvant solidement d’un mouvement vertical de la tête et de ses oreilles à contretemps. Mais encore ?

Mais encore ?, reprend Marco Valdo M.I. sans se soucier beaucoup plus de l’interruption. Mais encore ceci : j’ai l’idée qu’en français et dans le contexte historique de la chanson, il eût mieux valu utiliser le mot « prodigue », au sens biblique du terme. Autrement dit, il valait mieux évoquer des enfants qui reviennent et qu’on accueille à bras ouverts et « en tuant le veau gras », en faisant débauche de victuailles et de boissons et en passant pudiquement et soigneusement l’éponge sur le passé. Car c’est précisément e qui s’est passé en Allemagne et ailleurs. Il faut cependant distinguer les enfants, comme le fait implicitement la chanson. Car il y a plusieurs sortes d’enfants et il faut éclaircir une fameuse ambiguïté (sur laquelle repose l’ironie de la chanson) entre les enfants de l’Allemagne (les enfants du pays, de la patrie, laquelle est éternelle et amphibie, en ce quelle passe d’un régime à l’autre sans trop de distinction) et les enfants suffisamment jeunes pour ne pas avoir été impliqués directement dans les malversations et les crimes passés. Ceci, vois-tu Lucien l’âne, renvoie très exactement à mon problème de traduction du mot « Wunderkind ». Pour ce qui est des enfants : on aura les enfants « prodigues » qui ressurgissent du passé et les d’enfants « prodiges », ceux du présent. Encore que ce mot « prodiges » me semble sujet à caution, sauf pour les mères pour qui – par principe – tous leurs enfants sont des « prodiges ». Confondre les deux serait une terrible erreur, même si cette erreur fut volontairement orchestrée par les gens du pouvoir. Un discours dans le genre : « La patrie détruite a besoin de tous ses fils pour se reconstruire et retrouver sa prospérité d’antan. » Pour donner une dimension plus large à cette remarque, je te renverrais volontiers à quelques auteurs allemands de l’époque : Ernst Wiechert, Heinrich Böll, Hans-Magnus Enzensberger, Günter Grass et quelques autres sans doute, mais je ne suis pas une encyclopédie vivante et je ne peux te parler que de ce que je sais. Aucun de ceux-là n’a pu accepter cette Allemagne ventrue, mafflue, pesante et satisfaite d’elle-même, sans remords, plongeant sans l’ombre d’une conscience dans sa renaissance économique. Cette Allemagne recyclant sans vergogne – après (pour certains, mais pas pour tous) une sanction, une peine de prison que l’on qualifiera pudiquement de symbolique.
C’est ainsi qu’on a retrouvé à la tête des pouvoirs publics nationaux, régionaux, locaux, à la tête des villes, dans les partis politiques, à la tête des grandes entreprises, des grandes banques, des ministères, de la justice, etc, des gens qui avaient plus que collaboré avec le Troisième Reich, des gens qui en avaient été des acteurs et des responsables. Ce sont ceux-là les « enfants prodigues ». Quant au miracle économique – limité à l’Allemagne dite de l’Ouest, on sait qu’il fut le résultat des injections massives de capitaux et de prêts venant des Zétazunis, d’une mobilisation « patriotique », d’un réel effort populaire pour retrouver une vie plus confortable, d’une vraie compétence technique générale et d’une exploitation de la main d’œuvre, des réfugiés et de gens venant de régions plus défavorisées. Pour l’essentiel, ce fut le cas dans la plupart des pays d’Europe occidentale. Dans le cas de l’Allemagne, particulièrement, il faut ajouter qu’il y eut aussi le fait qu’elle n’a que très peu rendu ce qu’elle avait soutiré par la force aux pays occupés durant la guerre. Quant au miracle économique, tel qu’il est vu par la chanson, il est vu de l’intérieur, il est montré au niveau de la vie quotidienne, il est vu par un citoyen qui constate d’une part une extrême misère, qui n’est pas aidée ou secourue et de l’autre, la mansuétude à l’égard des anciens (?) nazis. Mais, je te laisse découvrir les détails en même temps que la chanson.

C’est bien ce que je disais, ce « miracle économique » n’en était pas un, il était simplement une restauration de l’ordre social tel que le rêve les riches. Quant aux nazis recyclés, il s’agit de nourrir les chiens de garde ; ce sont toujours les mêmes d’un régime à l’autre ; ce sont les piliers de tous les pouvoirs. Quant à nous, Marco Valdo M.I. mon ami, il nous reste à reprendre – miracle économique ou pas – notre tâche et tisser inlassablement le linceul de ce vieux monde peuplé d’enfants prodigues, oublieux, amnésique, amnistiant et cacochyme.

Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


Les rues sont remplies de solitude ;
Passe une auto, elle est très vieille,
Elle cliquette, elle avance de guingois.
Il n’y a pas de miracle après la guerre perdue
Les rideaux sont du carton et du bois,
Une mosaïque de papier couvre la clôture.
Celui qui veut fumer peut se servir lui-même.
Il n’y a pas de miracle après la guerre perdue.

Nous étions libres auparavant
Maintenant, nous sommes occupés
Le pays est divisé
Que faire à présent ?

Maintenant, nous avons le miracle économique.
Maintenant, nous avons le miracle économique.
Maintenant, on a des carbonnades et du flétan fumé.
Maintenant, nous avons le miracle économique.
Maintenant, nous avons le miracle économique.
Le ventre allemand se refait et est déjà vraiment rondelet ;
Le jambonneau a retrouvé son bon goût dans sa gelée.
Il n’y a pas de miracle après la guerre perdue.
On ne doit plus épargner le combustible, on peut rouler ;
Celui qui a des soucis, a aussi de l’alcool et même en quantité ;
Les magasins nous offrent à nouveau des produits de luxe ;
Les premiers nazis écrivent avec application leurs mémoires,
Car les éditeurs manquent de sens critique.
Il n’y a pas de miracle après la guerre perdue.
Il n’y a pas de miracle après la guerre perdue.

Car nous sommes aussi un pays appauvri
Et qui est pas mal détruit,
Nous montrons que nous sommes imposants.
Comme nous sommes flamboyants,
Nous faisons la bringue à nouveau.
Nous vivons haut haut haut haut haut plus haut !

Car nous sommes aussi un pays appauvri
Et qui est pas mal détruit,
Montrons que nous sommes imposants.
Comme nous sommes flamboyants,
Nous faisons la bringue à nouveau.
Nous vivons haut haut haut haut haut plus haut !

C’est le miracle économique !
C’est le miracle économique !


Certes, il y a des gens qui vivent encore aujourd’hui dans la saleté et le désordre,
Mais pour les enfants des nazis qui sont responsables de cette purée,
Notre État a beaucoup d’argent et chaque mois, il leur distribue des subsides.
Nous sommes une république non qualifiée.
Il n’y a pas de miracle, il n’y a pas de miracle.
Il n’y a pas de miracle après la guerre perdue.