dimanche 2 mars 2014

BERLIN

BERLIN


Version française – BERLIN – Marco Valdo M.I. – 2014
Chanson allemande – Berlin – Wolf Biermann – 1965



Ton ciel est si gris-bleu
Où pend ma lyre.





Berlin, toi l'allemande femme allemande ,
Je suis ton prétendant au mariage,
Ah, tes mains ont tant de rugueux
De froid et de feu.

Ah, tes hanches sont aussi étroites
Que tes rues étroites,
Ah, tes baisers sont si légers,
Je ne pourrai jamais te laisser.

Je ne peux plus m'éloigner de toi,
À l'Ouest, le mur
À l'Est, mes amis sont là,
Et le vent du Nord est très dur

Berlin, toi blonde femme blonde,
Je suis ton prétendant le plus paisible,
Ton ciel est si gris-bleu
Où pend ma lyre.

ALLEMAGNE : UN CONTE D'HIVER

ALLEMAGNE : UN CONTE D'HIVER

Version française – ALLEMAGNE : UN CONTE D'HIVER – Marco Valdo M.I. – 2014

Chanson allemande – Deutschland: Ein Wintermärchen – Wolf Biermann – 1967/1968
Texte et musique: Wolf Biermann
Album: Chausseestraße 131




Sous le décembre allemand coulait la Sprée






Chausseestraße 131 a été le premier album enregistré de Wolf Biermann et a une histoire légendaire : puisque Biermann était banni dans la DDR (République Démocratique Allemande), et donc avait reçu l'interdiction officielle de publier ses chansons, enregistrées dans un studio improvisé dans son appartement. Avec l'aide de quelques amis et de sa mère, il avait réussi à se procurer des appareillages dont un microphone de haute qualité et un enregistreur de studio importé en contrebande de l'Allemagne occidentale, de façon à pouvoir enregistrer ses chansons. L'histoire rapporte même que le microphone était même de qualité trop bonne. Et tellement sensible que pendant que Biermann enregistrait, il captait aussi les bruits de la rue, les automobiles qui passaient et, parfois, même le chant des oiseaux. Après quelques tentatives d'éliminer ces bruits de fond, sans succès, Biermann décida de faire de nécessité vertu et enregistra les chansons comme elles venaient, avec tous les bruits ; et ce fut un coup de génie, vu que le procédé rendait parfaitement les conditions particulières dans lesquelles l'album avait été enregistré, le confinement domestique et la clandestinité totale de l'artiste. La « spontanéité » totale de tout cela n'a pas cessé de montrer son efficience à 45 ans de distance : Chausseestraße 131, peut-on dire, est né déjà album historique, même au-delà de la valeur des textes (la musique a, comme on peut s'y attendre, une valeur secondaire, presque de simple fond comme les bruits de rue). On pourrait le définir comme un album pour mots, bruits et voix : la voix rauque et sale de Biermann. Il s'agit même d'un témoignage précis d'un fait : même en étant officiellement banni et exilé chez lui, Biermann n'était pas du tout coupé des événements qu'il réussissait à suivre et chanter avec précision. Chausseestraße 131, bien au-delà « des évolutions » de l'homme et de l'artiste Wolf Biermann au travers du temps, a passé l'examen du temps et reste un chef-d'oeuvre absolu de la chanson d'auteur, pas seulement allemande ; un album qui eut une grande influence dans toute Europe (et son année de publication, 1968, dit tout). L'album commence en criant Die hab'ich satt ! (« J'en ai marre ! » ), chanson écrite quelques années avant, en 1963. La chanson s'adresse à tous les types de personnes faibles et lâches qui soutiennent un système injuste : les « femmes qui me caressent froides » , les « faux amis qui me flattent et qui attendent des autres du courage tandis qu'eux se tiennent à carreau », la « tribu de bureaucrates qui se mettent à danser avec zèle sur le dos des gens », les « enseignants, fléau des jeunes », les « poètes qui se masturbent à poéter sur la patrie perdue », et ainsi de suite. Il s'agit d'un des commentaires des plus originaux et les plus durs sur l'Allemagne de l'Est des années 60 ; mais aux temps de la contestation, elle fut prise pour une protestation à valeur universelle, chose entièrement naturelle. Das Barlach-Lied (« la chanson de Barlach ») décrit la déception qui attend chaque artiste non-conformiste sous tout régime oppressif ; il s'agit d'une chanson poétique qui illustre de la figure du sculpteur Ernst Barlach, persécuté par les nazis, pour établir une comparaison avec le présent. La veine ironique et sarcastique de Biermann devient féroce dans les trois morceaux suivants : dans « Deutschland : Ein Wintermärchen » (« Allemagne : un conte d'hiver »), un texte qui fait référence directe au poème d'Heinrich Heine, Biermann appelle l'Allemagne le « gras cul du monde » (joue de mots sur l'expression Arsch der Welt, à la lettre « cul du monde » mais qui, comme l'expression italienne (ou française) « dans le cul du monde », signifie loin de tout, au milieu de nulle part), et Berlin son « trou divisé avec des poils de barbelé ».

Dans la « Ballade auf den Dichter François Villon » (« Ballade sur le poète François Villon »), qui coupe le récitatif, Biermann promène son alter ego sur le mur de Berlin pour embêter les Vopos. Wie eingepfercht en Kerkermauern (« Comme muré en prison ») décrit la réclusion domestique et l'exil interne à Berlin : une chanson particulièrement amère et triste. Dans la chanson suivante, Zwischenlied (« Interlude »), Biermann déclare que, malgré certaine chanson veinée de tristesse, il ne se sent pas désespéré en ces « temps beaux et émouvants » et, comme s'il voulait renforcer cette vision, Biermann chante Frühling auf dem Mont Klamott (« Printemps sur le Mont Klamott »). Il faut garder présent (à l'esprit), cependant, que ce « Mont Klamott », au milieu de Berlin, est une colline qui a été formée en amassant l'énorme quantité de décombres de la ville détruite après la II Guerre mondiale (sur la hauteur a été ensuite édifié un parc).

Dans le « Moritat auf Biermann es en Oma Meume en Hamburg » (« Moritat sur grand-mère Meume Biermann d'Amburgo ») [Un moritat (de mori, mortel et tat, fait) est à l'origine une sorte de complainte médiévale narrant des événements dramatiques, chantée par les ménestrels ou les cantastorie italiens].et dans le Großes Gebet der alten Kommunistin Oma Meume en Hamburg (« Oraison de grand-mère Meume, vieille communiste de Hambourg »), Biermann parle de ses racines et de comment elles l'ont influencé ; la deuxième des chansons présente l'inoubliable image de la vieille grand-mère qui prie Dieu pour qu'il fasse gagner le communisme. Le morceau final de l'album, So soll es sein - So wird es sein (« CE DOIT ÊTRE AINSI... CE SERA AINSI ! »), est une sorte de testament de l'alors trentenaire Biermann.

Dans Chausseestraße 131, chez le confiné Wolf Biermann, habitaient certains collègues. Dans l'armoire, il y avait François Villon, comme l'avons déjà vu au début de cette visite du vieil appartement berlinois ; et il y avait aussi Heinrich Heine. Belle compagnie, sans doute ; c'est tellement vrai que, à la rigueur, Herr Biermann en a fait une des siennes, ou au moins une des siennes du temps où il était jeune. Rassembler dans une maison deux poètes du genre de Villon et de Heine ne doit pas être simple, et j'ai comme le soupçon que même eux ont fini, avec les automobiles qui passaient et les oiseaux qui gazouillaient, captés par le très sensible microphone de Biermann pendant qu'il enregistrait « Chausseestraße 131 », dans les « bruits de fond » - une des multiples choses pour lesquelles cet album est très célèbre. Au point que, dans ce cas spécifique, il les a faits même duetter ( faire un duo ou interagir, comme on dirait maintenant). Une de ces choses, justement qu'on ne regrette pas peu de ces années belles et émouvantes.

Le poème satirique Deutschland : Ein Wintermärchen de Heine date de 1844. Recevoir chez lui Heine était naturel pour le Loup (Wolf) Biermann. Comme lui, Heine était d'origine juive ; comme lui, il savait bien ce qu'était l'exil (en 1831, poussé par l'atmosphère méphitique de la Restauration en Allemagne, Heine avait émigré en France). Commelui, il connaissait la mise au ban de ses œuvres : en 1835, un décret de l'Assemblée Fédérale allemande en avait interdit la diffusion et l'impression sur tout le territoire allemand. À la fin de 1843, Heine retourna brièvement en Allemagne pour rendre visite à sa mère et à son éditeur, Julius Campe, qui était de Hambourg, tout comme Biermann. Pendant le voyage de retour en France, Heine écrivit la première mouture de ce poème, qui fut publié en 1844 par Campe et Hoffmann. La manière avec laquelle le poème de Heine élude la censure et l'interdiction de ses œuvres est, en même temps, curieuse et indicative de la totale stupidité des « autorités préposées ». Surtout car elle fut parfaitement légale ; sur la base des règlements sur la censure approuvés par la Conférence de Carlsbad de 1819, les manuscrits de plus de vingt pages étaient exclus du contrôle censorial. Donc Deutschland. Ein Wintermärchen fut régulièrement imprimé et publié avec d'autres poésies, dans un volume intitulé Neue Gedichte « Nouvelles poésies ». La plaisanterie dura peu : le 4 octobre 1844, le livre fut interdit, et tout le stock des volumes imprimés fut confisqué en Prusse. Le 12 décembre 1844, le Kaiser Frédéric Guillaume IV décréta l'arrestation de Heine. Ça se passa mieux dans autres États allemands, mais le texte fut soumis à des coupures consistantes. On comprend donc bien combien le recours à Heine et à son « Conte d'hiver » allemand fut pratiquement naturel : tellement, jusqu'à même ne pas en changer le titre. Tel quel. La même satire destructive, sans rémission, vis-à-vis de l'Allemagne et de son histoire. Le même refus de se soumettre au présent et à ses ordonnances d'obéissance. Certes, il y a pourtant quelque différence ; le texte biermannien est forcément et infiniment moins long que celui de Heine, par la force des choses. La différence fondamentale est cependant autre : tandis que le « conte » de Heine est plutôt un voyage imaginaire et métaphorique (bien que résultant d'un bref voyage réel après quinze ans d'exil en terre étrangère), la version de Biermann est un voyage terriblement réel dans une réalité où il se trouve prisonnier et confiné. En donnant le nom de « conte » à son poème, Heine déversait l'ironie de l'extérieur ; le sarcasme de Biermann est par contre contenu complètement à l'intérieur d'une réalité en laquelle il avait espéré et qui l'avait trahi.
Même parmi les rares Allemands qui ont adressé des critiques et des expressions dures à l'Allemagne, il serait difficile trouver la sévérité dont Biermann use dans son « conte » moderne. Une sévérité qui arrive à une conclusion terrible : de quelque couleur se couvre l'Allemagne, qu'elle soit brune ou rouge, l'essence est toujours la même : la pire merde transformée en or. Une continuité, en somme. Ici s'insère le « duo » avec le poète François Villon : le poème est divisé en deux parties, séparées par la chanson où Villon va asticoter les gardes du Mur de Berlin et ensuite disparaît en vomissures. [RV]






Mais qu'a donc fait l'Allemagne de ses grands écrivains, de ses grands poètes... ? Je cite au hasard Heine, Mann, Mann, Mann, Hesse, Brecht, Grass, Enzensberger, Töller, Aub, Tucholsky, Valentin, Kästner, Remarque.... Que fait-elle encore ? Qu'a-t-elle fait de Heine, par exemple ?






Ah, l'humour, l'ironie, la dérision décapante et dénonciatrice d'Heinrich Heine sont tels qu'il ne pouvait en être autrement. Heine disait certaine vérité qu'il ne fallait en aucun cas laisser transparaître... Et plus d'un siècle et demi plus tard, il continue à dévoiler certaine intention profonde, que l'on appelle ici : le « rêve d'Otto ». Je cite le « Conte en hiver » :
« alors ce n’est pas seulement l’Alsace et la Lorraine, mais la France tout entière, mais l’Europe et le monde tout entier sauvés, qui seront à nous ! Oui, le monde entier sera allemand ! J’ai souvent pensé à cette mission, à cette domination universelle de l’Allemagne, lorsque je me promenais avec mes rêves sous les sapins éternellement verts de ma patrie ... »






En effet, ça ressemble bien au « rêve d'Otto » et ça donne froid dans le dos... Il avait bien raison Heine avec sa Ballade des Tisserands de Silésie et dès lors, nous aussi, tissons le linceul de ce vieux monde mal foutu, oppressant, où la merde et l'or dur se confondent en une divine marchandise, mercantile, patriotique et cacochyme.









Heureusement !









Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane












CHAPITRE

Sous le décembre allemand coulait la Sprée
D'Est en Ouest, je traversai Berlin
Nageant là sur la voie ferrée
Au-dessus du Mur, un matin.

Je planais léger par-dessus les barbelés
Et au-dessus des chiens dressés
Je ressentis une étrange émotion
Et aussi une amère sensation

Cela m'est entré dans le cœur, aigu
- mes fidèles camarades là en bas -
Tant d'eux, qui par cette même voie
Allaient à pied, furent abattus

Il y en a un qui lança sa jeune chair
Sur les barbelés et le champ de mines
Transpercé le seau se vida
Quand derrière la rafale hoqueta.

Tout le monde n'est pas bâti
Comme le Français François Villon, qui
Dans une chanson connue s'en tire
Avec des taches de vin rouge


SUITE

Je pensai soudain à mon cousin.
L'insolent Heinrich Heine s'en revînt un hiver
De France en sautant la frontière
Par-dessus le vénérable père Rhin.

Ça me fit repenser, à tout ce qui
Se passa en une bonne centaine d'années
Quand l'Allemagne glorieusement s'unit
Et à nouveau, s'est scindée

Et puis ? Le monde entier s'est
Entre l'Est et l'Ouest divisé
Dès lors, comme toujours - l'Allemagne
A tenu sa place.

Sa place de cul du monde
Très gras et très important
Dans sa fente, les poils sont de
Barbelés, on se comprend

Berlin, ton trou, mon vieux
Est fendu par le milieu
Voilà bien la biologie
Raillée par l'humaine ironie.

Et quand aux grands de ce monde
L'estomac presse et gronde
Alors, abominablement ça pète et ça pue
En Allemagne. Je vous assure.

Chaque partie du monde aussi a, du reste,
Sa part de la croupe allemande
Le plus gros morceau est l'Allemagne de l'Ouest
À juste titre, je vous l'accorde.

Ce qu'aucun alchimiste n'a accompli
- ils l'ont réussi :
De la merde allemande, c'est sûr
Ils ont fait de l'or pur

La RDA, ma patrie
Elle au moins est propre
Chez elle, le retour du nazisme
Est absolument impossible.

Nous l'avons astiqué, tous à l'unisson
Avec les brosses de Staline et si profond
Que le derrière est rouge saignant
Là où il était brun auparavant .