dimanche 15 septembre 2019

Épique Époque



Épique Époque


Chanson française – Épique ÉpoqueLéo Ferré1964








   
Dialogue maïeutique

L’autre jour, Lucien l’âne mon ami, en discourant avec toi de la chanson de Ferré, La Vie moderne, je te disais : « C’était dans la manière de Léo Ferré de croquer ainsi l’époque en notes dispersées au travers de strophes multiples et de chansons diverses ; il distillait ainsi une sorte d’Humana Commedia en musique. J’en tiens pour autres exemples : Les Temps Difficiles (1) et leurs 3 versions, Y en a marre ! et d’autres encore. »

Euh, oui, dit Lucien l’âne, je me souviens parfaitement de notre discussion. Mais à présent, où veux-tu en venir ?

Très précisément, Lucien l’âne mon ami, aux « autres encore ». Il m’était venu en tête – « il était venu dans mon cerveau » aurait dit Sir Hugh Evans – à ce moment, comme une ritournelle certain passage où il était question d’épique époque, je ne sais plus exactement lequel, mais disons que ce serait celui-là :

« Ces boîtes à radios,
À ragoût pour idiots,
J’y mets qu’une pile et puis,
Ça musique toute la nuit.
What ? Béla Bartok ?
Moi, je ne connais que le Vostok
Et la Valentina
Qu’a l’orbite dans le tralala. »

Oh, dit Lucien l’âne, la Valentina, il y avait longtemps que j’en avais entendu parlé. Vu l’année de la chanson, ce ne peut être qu’elle, la cosmonaute Valentina Terechkova ; toute la planète se passionnait pour elle – enfin, toute la planète informée de son exploit. Dans la foulée, le Vostok était le vaisseau spatial dans lequel elle est restée plusieurs jours en orbite dans l’espace.

Voilà qui s’explique tout seul, dit Marco Valdo M.I., grâce à ta mémoire d’âne. Mais, bon, comme disait l’autre scie radiophonique, « il faut savoir ». C’est exactement là que je voulais en venir : à ce « il faut savoir » ou comprendre à demi-mot. La difficulté, c’est qu’avec le temps, certains personnages qui sont cités – des « vedettes » à leur époque, deviennent des inconnus quelques années plus tard. Je prends pour exemple ici Lucien Morisse et Daniel Filipacchi et sa revue pour minets et minettes, au titre des plus accrocheurs : « Salut les Copains ». C’était une autre époque ; elle s’enfonce dans les brouillards des temps. Cependant, si on fait abstraction de ces détails de noms particuliers, ce sont quand même des chansons lucides et les dénonciations qu’elles lançaient en ces temps lointains – quasiment préhistoriques, il y a plus d’un demi-siècle – se sont révélées assez cinglantes et pertinentes. Par exemple, ceci :

« Et cette Europe 1,
Et ce Luxembraque
Qui t’enveloppent les uns
Pendant que les autres claquent :
C’est l’époque opaque ! »

Et ça ne s’est pas arrangé depuis, les mêmes sévissent toujours, mais simplement plus fort encore. Écoute ceci encore :

« What ? Apollinaire ?
C’est-y que c’est ta grand-mère ?
Moi, je ne connais que la guitare
Électrique et je me marre. »

Oui, je sais, dit Lucien l’âne, Ferré n’y allait pas avec le dos de la cuillère ; il cinglait. Enfin, disons que ce sont là des chansons qui avaient du corps et de la culture et qui le revendiquait nettement. Le pire, c’est qu’elles avaient raison. C’est sans doute la raison pour laquelle on les a éliminées ; dans le fond, elles dérangeaient. Elles étaient nées de la Résistance, sans doute. Quant à nous, qui partageons cette antienne de l’Ora e sempre : resistenza, nous tissons le linceul de ce vieux monde inculte, ignare, oublieux, abêti et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Ces filles que l’on met
Sur des phonotocs
Au lieu de les aimer
Ou de les foutre en cloque,
C’est l’épique époque !

What ? Victor Hugo ?
Qui c’est ça, mon coco ?
Moi, je ne connais que le batteur
Qui baratine ma sœur ;
Quand il fait son break,
On dirait que tout s’arrête ;
C’est l’idole des bavoirs,
À cul, queue ! À l’écart !
Tous ces transistors
Qui transitent ces bics
Sur Radio Andorre,
Paroles et musique :
C’est l’époque épique !

Ces boîtes à radios,
À ragoût pour idiots,
J’y mets qu’une pile et puis,
Ça musique toute la nuit.
What ? Béla Bartok ?
Moi, je ne connais que le Vostok
Et la Valentina
Qu’a l’orbite dans le tralala.
Ces garçons qui chantent
Des chansons idiotes,
Qui te mettent sur la jante
En roulant de la botte :
C’est l’épique époque !

What ? Apollinaire ?
C’est-y que c’est ta grand-mère ?
Moi, je ne connais que la guitare
Électrique et je me marre.
Quand Johnny la gratte,
On est bien, on est bath,
C’est l’idole des quinquins,
On est bath, on est bien.
Et cette Europe 1,
Et ce Luxembraque
Qui t’enveloppent les uns
Pendant que les autres claquent :
C’est l’époque opaque !

Yéyé ! Lucien Morisse,
C’est un très grand artiste
Et ce Filipacchi,
C’est un de mes amis ;
Salut les Copains !,
Vous entendrez demain
De nouvelles salades,
L’époque est bien malade.

Salut, camarades,
Salut, camarades.