jeudi 16 avril 2015

CALENDRIER 1913

CALENDRIER 1913


Version française – CALENDRIER 1913 – Marco Valdo M.I. – 2015

Chanson allemande – Kalender 1913 – Erich Mühsam – 1913 

Texte d'Erich Mühsam (1878-1934), anarchiste et poète, une des premières victimes du nazisme triomphant : arrêté en 1933, juste après l'incendie du Reichstag, il fut lâchement assassiné dans le camp de concentration d'Orianenburg, le 10 Juillet 1934.Musique de Dieter Süverkrüp et de Walter Andreas Schwarz dans leur album « Erich Mühsam : Ich Lade Euch Zum Requiem » publié en 1995.
Plus récemment, elle a été mise en musique
par Christoph Holzhöfer.




Erich Mühsam boit un café


Une poésie que je devine très proche du parcours, non formalisé mais transversale, de La Guerre de Cent mille ans que les riches ont fait, font et feront aux pauvres.
Il
y faudrait donc une urgente traduction des excellents Marco Valdo M.I et son inséparable ami Lucien Lane, que je remercie d'avance.



Évidemment, Lucien l'âne mon ami, on ne pouvait refuser ça.


Certes, Marco Valdo M.I. mon ami, tu as bien fait, sauf que tu as mis du temps à établir cette version française… Alors qu'il t'était bien dit par Bartleby que c'était urgent…


En effet, mais j'avais placé cette canzone d'Erich Mühsam dans la liste des travaux en cours, mais il y en a tellement et puis, d'un autre côté, Bartleby lui-même a réclamé La Déclaration Universelle des Droits de l'Âne... Il y a aussi les événements de la vie quotidienne. Comme tu le sais, tout cela est très prenant. Par ailleurs, il me paraît que je suis atteint d'un curieux syndrome, que j'appellerais volontiers le syndrome de la création ou celui de l'homo faber intellectualis (est-ce bien ainsi que l'on dit ? Je n'en sais plus rien…), qui fait que j'ai de plus en plus tendance à manquer de temps pour faire ce que j'ai vraiment envie de faire…


Somme toute, ça tourne à la passion…, dit Lucien l'âne d'un air de deux airs.


De fait, et tu le vois bien, je démarre tôt le matin et je termine tard le soir… Je refuse mille sollicitations extérieures. J'ai beau trier, écarter, user de sévérité… Rien n'y fait. Cependant, tu le vois aussi très bien, je ne m'en porte que mieux. Donc, faire, c'est passionnant, mais l’inconvénient, c'est qu'on n'en voit jamais la fin. Imagine, il suffit de parcourir les Chansons contre la Guerre pour déterminer l'ampleur du phénomène…


Je le vois, je te vois là devant ton appareil, cette machine à écrire perfectionnée, dont on dirait qu'elle pense en couleurs. Je t'y vois dans les rares moments où tu n'es pas tenu à faire autre chose.


Et oui, Lucien l'âne mon ami, on ne fait pas que ça… Il y a les amis, un peu d'activités que je qualifierai de sociales… Et puis, les lectures, sans compter la maison – oikos qu'il faut bien faire tourner. Donc voilà, Le Calendrier 1913 de Mühsam s'était un peu enlisé dans toute cette vase de vie. Et il y avait pire encore, voyant qu'il s'agissait de Mühsam, je l'avais mis dans ma liste sans lire la petite note introductive… Ce fut là mon horrible erreur… Je me jette un tas de cendres sur la tête.


Si je te comprends bien, comme c'était de Mühsam, à qui si je ne m'abuse, tu as consacré une chanson dans tes Histoires d'Allemagne, il était certain que tu allais le traduire...

Quant à la canzone elle-même, elle aussi m'a joué des tours… Traduire Mühsam n'est vraiment pas simple, surtout quand on ne connaît pas l'allemand. Et en donner une version française que je puis relire sans honte, ce n'est pas simple non plus. Évidemment, comme on le faisait remarquer récemment, il existe peut-être des traductions françaises de ce texte…


Depuis le siècle qu'il est écrit, c'est bien possible !


Mais ç'eût été, comment dire ? : malhonnête de priver Bernart Bartleby de ce qu'il demandait : c'est-à-dire : une traduction de notre main. Et pour tout révéler, je n'ai même pas cherché à savoir s'il en existait une. J'ai pris ce calendrier par le début et j'ai été jusqu'au bout sans me retourner. Cela dit, si quelqu'un trouve une autre traduction en français du Kalender 1913, qu'il l'envoie en vitesse. Rien que pour comparer les versions ; j'aime beaucoup vérifier. On ne sait jamais, je peux certainement me tromper ou ne pas comprendre… ou ne pas avoir compris… mais la voici quand même cette version française de ma main.


Avec toutes tes explications, je ne sais toujours pas ce qu'elle raconte, cette canzone de ce poète assassiné. C'est fou d'ailleurs ce que les gens ont tendance à s'assassiner eux-mêmes en prison… dans les communiqués officiels.


Oui, ce doit être une vieille coutume. Quant au Kalender 1913, c'est une canzone qui se présente sous la forme… d'un calendrier, c'est-à-dire en 12 mois, très bien ordonnés de janvier à décembre. Elle raconte une histoire d'Allemagne, un peu comme Günter Grass fera plus tard avec tout le siècle dernier (voir à cette adresse  )
Je te détaille les douze mois :

janvier : le riche a chaud, le pauvre gèle ;
février : au carnaval, le riche séduit la pauvre qu'il laissera tomber ;
mars : quel recul, en mars 1848, c'était la révolution en Allemagne ;
avril : le mouvement s'enlise ;
mai : défilé « révolutionnaire » autorisé ;
juin : le pauvre en balade inquiète les autorités ;
juillet : le riche se baigne, le soldat combat ;
août : il y a de grands massacres qui se préparent et tout le monde s'en fout ; septembre : retour à l'école, souvenirs de vacances ;
octobre (je te rappelle que 1914 suit 1913...) : rappel des troupes : le plaisir d'être soldat ;
novembre : on gèle, mais le manteau est gagé ;
décembre : le temps des cadeaux : l'enfant riche en reçoit plusieurs, le pauvre s'en confectionne un.


Alors, oui, Bartleby avait bien auguré de ce que cette canzone aurait à voir avec La Guerre de Cent Mille Ans… Et le voilà servi. Maintenant, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde flottant à la dérive dans cette Guerre de Cent Mille Ans, ballotté entre les privilèges des uns et les nécessités des autres, écrasant, mortel et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


Janvier :

Le riche remonte sa fourrure,
Et le poêle doucement rougeoie.
Pour ne pas geler, le pauvre colmate,
Sa fenêtre avec du papier d'emballage.

Février :

Au carnaval, l'homme riche regarde
Une fille pauvre avec appétence.
Combien l'amour était tendre,
On le saura en novembre.

Mars :

En l'an quarante-huit du siècle passé,
Des temps nouveaux sont arrivés.
C'était en mars et savez-vous, mon ami
Qu'on n'est pas encore à l'avant-mars aujourd'hui

Avril :

Celui qui veut devenir diplomate,
Prendra modèle sur avril.
L'ouragan éclata le bleu tranquille
Et personne ne fit rien ensuite .

Mai :

Le Révolutionnaire se sent fort.
Le prescrit des riches pour lui, c'est du petit lait.
Il célèbre fièrement le premier mai.
Seulement, il demande à la police... d'abord

Juin :

Avec la femme et l'enfant dans la nature
Pour les bains, les soins, le grand air, la cure.
Mais le misérable qui promène,
Fait sourciller le digne gendarme.

Juillet :

Comme une piscine rafraîchit quand même
Quand tombe du ciel l'ardente canicule
Le soldat sert la patrie
Par trente degrés, il se bat encore.

Août :

Dans le monde se passent des choses horribles ;
On le constate dans des conférences.
On parle joyeusement, on boit, on danse,
Et on maintient le statu quo terrible.

Septembre :

Les vacances sont bien finies.
L'enseignant tient prête sa règle.
Un enfant a vu la montagne et la cascade,
L'autre seulement une porcherie.

Octobre :

Les manœuvres d'automne rappellent déjà
Le territorial et le réserviste.
Le casque pèse, la jambe se blesse.
Ô quel plaisir d'être soldat !

Novembre :

Le jour raccourcit. Le froid menace.
On sent le besoin de tenues chaudes
Ah, si le reçu de la caution pouvait réchauffer
Comme le paletot qu'on a fourgué !

Décembre :

Maintenant le bon Saint-Nicolas va partager
Les beaux cadeaux de fin d'année.
Le pauvre enfant se l'est fabriqué,
Au riche, ils seront apportés. 

L'homme qui répare les femmes

L'homme qui répare les femmes

Chanson française – L'homme qui répare les femmes – Marco Valdo M.I. – 2009









L'inconvénient avec les articles de journaux, c'est qu'ils ne durent qu'un moment. On tourne la page.
On passe à une autre histoire.
Le poème, la canzone quant à elle est faite pour durer. Alors, parfois, quand c'est nécessaire, sans forfanterie, sans en tirer de gloire particulière, simple relais, Marco Valdo M.I. écrit une canzone.

Cette chanson a une histoire particulière et elle entend saluer d'un poing levé et les femmes du Kivu et la journaliste qui depuis tant d'années dénonce ces horreurs ( et d'autres) du centre de l'Afrique, du pays de Tintin, du pays de l'uranium et du diamant. Cette journaliste avec courage et obstination tient au cœur de l'Afrique un journal des exactions; elle s'appelle Colette Braeckman, elle écrit dans un journal belge appelé Le Soir.
À l'entendre, et il faut l'entendre et il faut la croire, il se passe là-bas (la zone est assez vaste : plusieurs fois certains pays d'Europe), une sorte de génocide qui n'ose pas dire son nom. Dont le monde n'ose pas dire le nom.
Cette canzone est directement issue d'un article de Colette Braeckman paru dans le Soir du 12 janvier 2009.
Elle entend raconter crûment l'histoire de ce médecin africain (Docteur Denis Mukwege) qui recoud les vagins de ces femmes violées en série, puis rejetées dans une sorte de décharge au centre de nulle part où leur destin serait de crever purement et simplement. Canzone pour dire le mérite et le courage de ces femmes et de cet homme, le courage de retourner vers la vie, chaque jour, chaque fois.
Tels sont les vrais héros de ces guerres infinies et occultées.

Pendant ce temps-là, « Business as usual » pour les trafiquants, les marchands, les sociétés et les gouvernements. Comme disait Léo Ferré, « Pendant que l'Europe bavarde ».

Juste un épisode particulier de la guerre de cent mille ans, celle que les riches font contre les pauvres, les parasites contre les paysans. Ici, là, partout, par tous les moyens et tous les temps.

Ainsi Parlait Marco Valdo M.I.




Note additionnelle du 15 avril 2015



Cette canzone précède de presque 6 ans le film qui porte exactement le même titre : L'HOMME QUI RÉPARE LES FEMMES. Ce film a comme auteurs un cinéaste – Thierry Michel et une journaliste, Colette Braeckman, cette même journaliste qui n'a jamais cessé d'en parler.
Nous avons voulu mettre cette canzone en italien afin prolonger le travail journalistique… Ce n'est pas grand-chose mais c'est une chanson qui dénonce la guerre faite aux femmes, faite à tous au travers des femmes. Elle a sa place ici… et – bonne ou mauvaise – elle devrait être traduite dans un maximum de langues afin que nul n'en ignore.
Il le faut absolument, dit Lucien l'âne. C'est notre manière, ce sera celle de ceux qui nous écouteront, manière de tisser le linceul de ce vieux monde violeur, brutal, stupide, méchant, odieux et cacochyme.









Heureusement !






Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.




Désespérance ou désespoir,
Aux femmes qui viennent le voir,
Le docteur ne pose plus de questions.
Il les examine, puis il les répare.
Tout en douceur, de ses doigts plein d'attention
Il recoud le génital détruit.
Doucement, il tente de ressusciter la vie.
Il ne veut même plus entendre les répons
Ces mots simples des femmes du Sud-Kivu
aux ventres labourés par les tessons
aux entrailles ouvertes aux plantoirs
Serialviols, matraques, fusils, partout.


Désespérance ou désespoir,
Aux femmes qui viennent le voir,
Le docteur ne pose plus de questions.
Dans cette histoire à répétition.
Femmes échappées de l'horreur
À travers la forêt, à travers les pillages,
Marquées à jamais de sang et de terreur.
Rejetées des familles, écartées des villages,
Adultes ou jeunes ou petites filles d'abord
Marquées au fer de honte dans leur corps
Mutilées, méprisées mais femmes encore


Désespérance ou désespoir,
Aux femmes qui viennent le voir,
Le docteur ne pose plus de questions,
Dans cet atroce feuilleton.
Horreur absolue dans les campagnes du Kivu
Serialviols, matraques, fusils, partout.
Ventres de femmes en pagaille
Nouveaux champs de bataille
Femmes, dernier pilier du monde rural
Saignées à blanc, trop tard à l'hôpital
Les soins trop longtemps attendus
Nouvelles martyrs, éternelles proies
Elles errent dans la ville et saignent dans les rues
Par centaines, elles meurent parias
Honte, honte, honte pour qui les rejette
Réparer la femme et la fille défaite
Fistule, reconstruction vaginale
Refaire, redonner une vie normale.
Désespérance ou désespoir,
Aux femmes qui viennent le voir,
Le docteur ne pose plus de questions.
Elles reviennent un peu plus tard
Nouveaux viols, nouvelle destruction
Aux femmes qui viennent le voir,
Désespérance ou désespoir,
Le docteur ne pose plus de questions.