vendredi 27 février 2015

EN CELLULE

EN CELLULE



Version française – EN CELLULE – Marco Valdo M.I. – 2015
Chanson allemande – In der ZelleErich Mühsam1920 (?)

Poème d'Erich Mühsam (1878-1934), anarchiste et poète, une des premières victimes du nazisme triomphant : arrêté en 1933, juste après l'incendie du Reichstag, il fut barbarement massacré dans le camp de concentration d'Orianenburg le 10 Juillet 1934.
Musique du groupe Der Singende Tresen dans leur album intitulé « Mühsamblues », dédié entièrement à Erich Mühsam, publié
en 2014.


Erich Mühsam était déjà ravagé
Par des mois d'interrogatoires sévères
Souriant, il répondait par des vers
Ceux de Schiller ou ceux qu'il avait composés.




Erich Mühsam - l'« Anarchisterich » comme lui-même se définissait dans un autre poème – avait déjà connu la prison en 1918 lorsque, après l'initiale phase interventionniste presque immédiatement avortée, il avait participé à des grèves et à des manifestations, même violentes, contre la guerre. Le gouvernement bavarois avait procédé à des arrestations de masse et Erich Mühsam avait été jeté en prison pour quelque mois, jusqu'à la fin de la guerre.

Mais il ne perdit pas courage et, retourné à Munich, il participa à la tentative de révolution socialiste lancée par Kurt Eisner et, après son assassinat, par Ernst Toller et Gustav Landauer.
La Bayerische Räterepublik (République des Conseils bavaroise) dura peu, balayée par les Freikorps de Gustav Noske, des paramilitaires utilisés par le gouvernement social-démocrate de Weimar pour vaincre les communistes, les socialistes et les anarchistes et qui se sont fondus par la suitet dans les S.A. hitlériennes.

Gustav Landauer et beaucoup d'autres furent tués ; Erich Mühsam fut arrêté, poursuivi en justice et condamné à 15 ans de prison, en faisant 5 avant qu'il intervienne une amnistie en 1924… Cette même amnistie qui libéra de la prison un certain Adolf Hitler, chef d'un certain N.S.A.P. (Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei – le parti nazi), un nationaliste déchaîné, une tête chaude qui l'année précédente avait organisé, avec quelques gros bonnets de l'armée et de la police, une ridicule tentative de coup d'État, le soi-disant « Putsch du bar de Munich », tué dans l’œuf…



Un jour est passé timidement au delà – comme hier aujourd'hui.
Une
blanche goutte rapide a coulé dans l'année .
Et
quand enserrée du néant de la nuit,
La dernière ombre dans le matin se disperse,Tu te réjouis à peine du baiser froid de la lumière.
Et demain sera, tel
s étaient aujourd'hui et hier.

Prison : vie sans présent,
Entièrement remplie du passé
Et de l'espoir de son retour.
Tu ne te demandes pas, si tu reposes sur le moelleux ou sur le dur,
Si ta gamelle est pleine ou vide.
Trompé par l'instant s'écoule le temps.

Tu ne vieillis pas et tu ne restes pas jeune.
L'
habitude te réveille, te couche dans le silence.Tu ne demandes jamais : Comment ? – Seulement : Quand ?
Mais
Quand est l'avenir , Quand est la revendication.Malheur à toi, si l'accoutumance peut te tuer.
Ne pas désapprendre
d'attendre. Reste toujours toi ! Rester toi !


jeudi 26 février 2015

DE L'OBSCURITÉ

DE L'OBSCURITÉ

Version française – DE L'OBSCURITÉ – Marco Valdo M.I. – 2015
Chanson allemande – Aus dem DunkelGertrud Kolmar1937

Poème de Gertrud Chodziesner, en art Gertrud Kolmar, dans le recueil intitulé « Welten » (poésies composées entre août et décembre 1937) publié posthume en 1947.
Musique du compositeur anglais Julian Marshall dans sa cantate intitulée « Out of Darkness », 2009
Voir aussi en français : http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/kolmargertrud/kolmargertrud.html





Et puis, j'ai descendu l'escalier,
Le porphyre rouge vif a volé en éclats fissurant ma semelle.




Gertrud Kolmar et née Gertrud Käthe Chodziesner le 10 décembre 1894 à Berlin et mourut le 2 mars 1943 à Auschwitz. Elle composa 450 poèmes sauvés par des correspondances avec sa sœur Hilde. Elle prit comme pseudonyme Gertrud Kolmar en référence au nom de la ville natale de son père Chodziez (Poméranie), Kolmar en allemand.

La vie adulte de Gertrud Käthe Sara Chodziesner, juive, née à Berlin en 1894, commença et se termina dans la tragédie.
À un peu plus de vingt ans, Gertrud tomba amoureuse d'un officier, marié, qui la mit enceinte, puis la poussa à avorter (avec le soutien de sa famille à elle) et ensuite, l'abandonna. Gertrud tomba dans une profonde dépression, elle tenta même de se suicider et elle se reprit difficilement seulement grâce à l'écriture poétique (son premier recueil fut publié en 1917) et à son travail avec les enfants sourds-muets dans les années suivantes entre Paris et Dijon. 
En 1928, elle dut retourner à Berlin pour assister sa mère mourante. Elle vécut donc jour après jour la montée de l'antisémitisme et l'ascension du nazisme. Après la venue de Hitler au pouvoir, la vie de Chodziesner, comme celle de tous les Juifs, surtout à Berlin, devînt un enfer, mais son vieux père – un avocat pénaliste, qui s'obstinait orgueilleusement à se vouloir un citoyen comme tous les autres – ne voulut pas émigrer.
Un peu plus tard, les Chodziesner furent forcés à abandonner leur belle propriété de Finkenkrug et de se transférer dans un misérable appartement dans un édifice connu comme Judenhaus, dans la périphérie de Berlin.
Entre temps Gertrud, toujours sous le nom d'artiste de Gertrud Kolmar qu'elle avait choisi, continuait à publier ses poésies, toujours dominées par le traumatisme de la perte de son enfant, mais en 1938, son dernier recueil, « Die Frau und die Tiere », sortit au moment de la « Kristallnacht », le grand pogrom déchaîné des nazis en novembre de cette année-là, et tous les exemplaires de son livre furent détruits.
En 1941, Gertrud aussi fut expédiée aux travaux forcés dans une fabrique d'armements, pendant que son père, trop âgé pour travailler, fut déporté à Theresienstadt, où mourut de privations en février 1943.
Presque au même moment, Gertrud Kolmar fut arrêtée et déportée à Auschwitz, où elle disparut, probablement tuée à son arrivée, dans les premiers jours de mars.



Femme, je viens de l'obscurité.
Je porte un enfant et je ne sais plus, de qui ;
Je l'ai su autrefois.
Mais maintenant, il n'y a plus d'homme pour moi…
Tous ont disparu derrière moi comme le ruisselet,
La terre les a bus.
Je vais encore et encore.
Car je veux être avant le jour à la montagne, et les astres
S'effacent déjà.

De l'obscurité, je viens.
J'ai marché solitaire par les ruelles sombres,
Soudain, la lumière tombant avec ses griffes
A déchiré la douce noirceur,
Comme le léopard la biche.
Au loin, une porte ouverte crache des cris laids,
De sauvages clameurs, des hurlements bestiaux.
On se roule ivre…
J'ai balayé tout ça de l'ourlet de ma robe sur le chemin.

Et je déambulais sur le marché désert.
Des feuilles nageaient dans les flaques qui reflétaient la lune.
Des chiens maigres et avides flairaient des déchets sur les pierres.
Des fruits pourrissaient écrasés,
Et un vieux en loques tourmentait encore son pauvre
instrument à cordes
Et chantait de sa voix mince, fausse et plaintive
Inaudible.
Et ces fruits avaient mûris au soleil et à la rosée,
Rêvant encore de l'odeur et de la chance de la floraison amoureuse,
Mais le mendiant geignard
Avait oublié depuis longtemps et ne connaissait plus rien d'autre que la faim
et la soif.

Devant le château du puissant, j'arrêtais,
Et puis, j'ai descendu l'escalier,
Le porphyre rouge vif a volé en éclats fissurant ma semelle. -
Je me suis tournée
Et j'ai regardé vers le haut la fenêtre dénudée, la bougie tardive
du penseur,
Celui méditait et méditait et ne trouvait jamais la solution à la question,
Et au lumignon couvert de l'infirme qui quand même
N'apprenait pas,
Comment il devrait mourir.
Sous l'arche du pont,
Deux horribles squelettes se disputaient autour de l'or.
J'ai soulevé ma pauvreté comme un bouclier gris devant mon visage
Et je suis passée sans danger.

Dans le lointain, le fleuve parle avec ses rives.


Je trébuche là sur le sentier pierreux et difficultueux.
Les éboulis, les épineux de feu blessent mes mains aveugles et tâtonnantes.
Une caverne attend.
Dans l'aven le plus profond, le corbeau vert de gris accueille celui qui
N'a pas de nom.
J'entrerai là,
Sous la protection des grandes ailes ombreuses, moi
Accroupie et immobile,
Pour écouter en maudissant la parole muette de mon
Enfant
Et dormir, le front tourné vers l'orient,
Jusqu'au lever du soleil.

lundi 23 février 2015

Le Général Dort Debout

Le Général Dort Debout


Chanson française – Le Général Dort Debout – Ray Ventura – 1936
Paroles : Jean Féline








Alors voilà, mon ami Lucien l'âne. Voilà la chanson que je t'avais promise l'autre jour en te faisant connaître ma version « LE GÉNÉRAL », de la chanson allemande « DER GENERAL », chanson de Dieter Süverkrüp. J'espère que tu t'en souviens…


Évidemment et j'attendais avec une certaine impatience cette chanson d'enfance de Georges Brassens...


Ce « général qui dort debout » est une chanson de son enfance, mais elle est aussi présente tout à la fin de son existence comme en témoigne un enregistrement de 1980. Je te rappelle que Tonton Georges est mort jeune d'esprit et de corps… Né en 1921, il meurt en 1981, soit exactement 60 ans.


En effet, de nos jours, soixante ans n'est plus considéré comme un âge avancé. D'ailleurs, moi qui te parles… J'ai largement plusieurs dizaines de siècles, alors…


En parlant de l'âge de Tonton Georges, je ne voulais pas disserter sur le fait de savoir à partir de quel moment on est vieux ; de cela, tu peux débattre au marché ou à la télévision…


Quelle horreur ! Tu veux m'envoyer à la télévision ou supposes-tu que je passe mon temps devant l'étrange lucarne… Je te rappelle que je suis un âne et que les ânes ont bien d'autres choses à faire et à penser que de se laisser embobiner par des écrans hypnotiques.


Ho, Lucien l'âne mon ami, je voulais juste dire que cette histoire d'âges, c'était un sujet pour la télévision. Donc, si j'ai parlé de l'âge de Tonton Georges, c'était pour situer la chanson dans le temps. Quand Brassens l'entend les premières fois, ce doit être après 1936 et sans doute dans la version courte de Ray Ventura. Cela en fait une chanson juste avant la guerre 1939-45 et même contemporaine de l'intervention allemande et italienne en Espagne contre la République, de l'annexion de l'Autriche (Anschluss), des accords de Munich… Et ainsi, ce général qui dort debout en dit plus qu'il n'y paraît. Rappelle-toi Munich 1938 et le commentaire de Churchill à propos des accords passés par la France et l'Angleterre avec Hitler et Mussolini et publié dans le Times de l'époque : « Ils devaient choisir entre le déshonneur et la guerre. Ils ont choisi le déshonneur, et ils auront la guerre ». Dès lors, tu comprendras comment et pourquoi cette chanson d'origine anglaise va traverser la Manche et devenir sous la plume de Jean Féline cet innocent « Général dort debout ». Que cette sorte de coïncidence – parallèle à celle de ce « Tout va très bien, Madame la Marquise » [[43266]] – résulte d'une volonté délibérée et comme politiquement consciente de l'auteur n'est ni certain, ni nécessaire. On dirait que la création de chansons (et plus généralement, de poésie ou même, de tout texte) charrie avec elle des sens en quelque sorte sortis d'un inconscient, un peu comme une eau sourd au milieu d'un champ, d'un bois, d'un pré, d'un talus, d'un chemin...


Je comprends bien cela et je pense que tu décris assez bien le phénomène.
Mais que raconte donc cette chanson ?


C'est l'histoire d'un petit garçon qui un soir, alors qu'il joue avec ses soldats de plomb, s'endort et met fin à la guerre qui se préparait. Dans la chanson, le général est un jeune enfant – disons de trois ou quatre ans et son armée est factice. Dans le réel…


Oui, je vois, c'est bien autre chose. Alors, écoutons la chanson…


Oh, juste un dernier mot... Je propose de reprendre en premier la version longue chantée par André Claveau, chanteur de charme du temps de ma grand-mère ; une version qui date des années Cinquante. Elle contient toutes les autres. J'y joins la version de Ray Ventura et suprême cadeau, la version de Georges Brassens qui se trouve dans l'ensemble des chansons de ses chansons d'enfance.


Et ça, c'est un vrai cadeau… Alors, allons-y et tissons, quant à nous, le linceul de ce vieux monde soldatesque, militariste, guerrier et cacochyme.



Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.



Sur le plancher du salon,
Sont rangés les soldats de plomb.
Fantassins et artilleurs,
Des cavaliers, des sapeurs
Vont jouer leur destin.
Pourtant, aucun ordre ne vient.


Rantanplan, pas de grande parade !
Fermez le ban, pas de mousquetade !
Tout le monde au garde-à-vous !
Mais le général dort debout.

Les soldats étaient pourtant prêts,
On avait dit qu'ils se battraient,
Mais il faut qu'ils soient dissous
Car le général dort debout.

Les officiers ne sont pas contents.
Du colonel au sous-lieutenant,
Ils transmettent ce commandement :
"Baboum badaboum, rompez les rangs !"

Regardez sa tête se pencher,
Il faut l'emmener se coucher
Ce tantôt, pas de héros,
Car le général fait dodo.

Devant ce grand désarroi,
Tout va vite de guingois.
Quatre tanks sont renversés ;
Tous les avions sont écroulés ;
D'un geste du pied,
Leur chef les a tous balayés.

Rantanplan, pas de grande parade !
Fermez le ban, pas de mousquetade !
Tout le monde au garde-à-vous !
Mais le général dort debout.

Les soldats étaient pourtant prêts,
On avait dit qu'ils se battraient,
Mais il faut qu'ils soient dissous
Car le général dort debout.

Les officiers ne sont pas contents.
Du colonel au sous-lieutenant,
Ils transmettent ce commandement :
"Baboum badaboum, rompez les rangs !"

Regardez sa tête se pencher,
Il faut l'emmener se coucher
Ce tantôt, pas de héros,
Car le général fait dodo.


Le marchand de sable vient
Apportant le sommeil en ses mains.
Dormez bien, la lune luit.
Général, bonne nuit !


La version courte : Ray Ventura et les Collégiens. (1936)


Sur le plancher du salon,
Sont rangés les soldats de plomb,
Fantassins et artilleurs,
Des cavaliers, des sapeurs.
Ils vont jouer leur destin,
Pourtant aucun ordre ne vient
Rantanplan, pas de grande parade !
Fermez le ban, pas de mousquetade !
Tout le monde au garde-à-vous !
Mais le général dort debout.

Les soldats étaient pourtant prêts,
On avait dit qu'ils se battraient.
On devait faire une jolie guerre,
Mais le général dort debout

Les officiers ne sont pas contents,
Du colonel au sous-lieutenant
Transmettent ce commandement :
"Baboum badaboum, rompez les rangs !"

Regardez la tête penchée
Il faut l'emmener se coucher
Ce tantôt pas de héros
Car le général fait dodo

(Les chœurs)
Le marchand de sable vient
Apportant le sommeil en ses mains
Dormez bien, la lune luit
Général, bonne nuit
Bonne nuit…