Entre
la Ruche et l’Hôpital
Lettre
de prison 13
27
avril 1934
Cellule abandonnée aux Nuove |
Dialogue
Maïeutique
Vois-tu,
Lucien l’âne mon ami, quand on est dans un lieu clos et pendant un
certain temps, on finit par en faire son univers. Ainsi en va-t-il de
tous les enfermés, volontaires ou contraints, car il en est de
volontaires parmi les cloîtrés. Cependant, et c’est ce que
raconte la chanson, le séjour en un lieu étroit n’est pas aussi
effrayant, ni terrible qu’on peut le supposer, vu de loin.
Oh,
dit Lucien l’âne, tant qu’on vit, c’est déjà ça. On
s’habitue à tout. On peut même, je pense, y trouver une certaine
tranquillité de l’esprit.
En
effet, dit Marco Valdo M.I., c’est ce que raconte notre
prisonnier ; du moins, en partie. C’est l’objet de tout le
début de cette lettre qui se veut rassurante, mis laisse quand même
un goût amer. Temps 1 : Je me sens mieux ; la douche
chaude, c’est délicieux. Temps 2 : la prison est un ensemble
architectural pas pensé et « Le Nuove » avaient un sens
pour qui en percevait le projet et le progrès qu’il représentait
par rapport aux prisons plus anciennes. Elle était fille d’une
conception plus volontaire et plus humaniste ; elle avait de
l’ambition. Comme souvent ces grands ensembles architecturaux
portent en eux une utopie, une vision qui dépasse et fait éclater
le carcan qu’elles se doivent de créer. On parle alors d’une
maison, d’un bâtiment, d’un ensemble, d’un quartier, d’une
ville d’architecte ; de même, on peut parler de « prisons
d’architecte », conçues spécialement pour l’usage. Ainsi,
les Nuove ne sont ni un ancien fort, ni une ancienne caserne, ni un
ancien couvent reconvertis.
Oui,
dit Lucien l’âne, je comprends. Il y a là, dans ces prisons
modernes – enfin, « modernes » il y a plus d’un
siècle, une adéquation de l’objet au projet, une sorte
d’équilibre, de dessin du dessein. Beccaria était passé par là.
De
fait, dit Marco Valdo M.I., la prison moderne est d’une conception
qui tient compte de certaines réflexions quant à son rôle dans la
société. Ce qui, soit dit en passant, ne garantit en rien sa
réussite. Celle-ci, pour le prisonnier Levi, médecin de formation,
tient de la ruche et de l’hôpital.
« À
prison grande, cellule petite », m’a dit un ancien habitué,
dit Lucien l’âne, et ce à propos une abeille me l’a confirmé,
la vie dans la ruche n’est pas si désagréable ; il y fait
chaud et on se sent entre soi. D’ailleurs, jamais on ne s’en
éloigne sans être pressé d’y revenir ; par contre, ce n’est
pas le cas de l’hôpital, je pense.
Ah,
continue Marco Valdo M.I., la cellule : six pas en avant et
retour, ça reste, une cage.
« Je
suis dans une alvéole
Sans
miel et sans nature.
J’ai
pris la mesure
De
cette cage de rossignol :
Vingt
fois mes chaussures. »
Néanmoins,
on n’est pas vraiment dans cette ambiance qu’on imagine entre
Maurice Maeterlinck (La Vie des Abeilles) et Xavier de Maistre
(Voyage autour de ma chambre). À l’enfermement forcé, on survit
sans plaisir ; en cellule, le désir s’éteint.
Oh,
dit Lucien l’âne, ça devait bien arranger les moines. Maintenant,
tissons le linceul de ce vieux monde punitif, pénal, claustral,
carcéral et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Je
me sens mieux
Hier,
moment délicieux
Une
douche chaude, un plaisir oublié
J’ai
savouré
Comme
un cadeau précieux.
L’architecture
de la prison
N’est
pas laide, elle correspond
À
la nature de sa mission
À
cheval
Entre
la ruche et l’hôpital.
Je
suis dans une alvéole
Sans
miel et sans nature.
J’ai
pris la mesure
De
cette cage de rossignol :
Vingt
fois mes chaussures.
Le
découpage mécanique du temps
M’est
à présent indifférent.
C’est
chose normale,
Ainsi
va la vie carcérale.
Ah,
si je pouvais peindre pourtant.
L’enfermement
est une maladie
Vraiment,
il anesthésie.
Ce
n’est plus une vie qu’une vie
Où
s’éteint le désir,
Où
on survit sans plaisir.
Si
le critère pour me libérer
Est
mon innocence,
Je
serais déjà en liberté.
Comme
l’enfant à naître attend sa naissance,
Je
me roule dans ma patience.