Le
Moine de Lamme
Chanson
française – Le
Moine de Lamme
– Marco
Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux – 119
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – IV, XX)
Ulenspiegel le Gueux – 119
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – IV, XX)
Dialogue
Maïeutique
Je
pense, Lucien l’âne mon ami, que tu n’auras aucune difficulté à
te souvenir de ce que, dans la dernière chanson (Dent
de Vipère), Lamme venait d’arrêter un moine et qu’il
le menait prisonnier au navire en vue d’en tirer une rançon qu’il
estimait à cent florins.
Oui,
oui, dit Lucien l’âne, je m’en souviens très bien et même,
particulièrement, de la manière dont Lamme l’invectivait :
« Sac à lard, ventre à soupe, boudine à boudin ! »,
qui m’a fait beaucoup rire. À part moi, je me suis dit :
Lamme a trouvé à qui parler, il doit avoir découvert plus gros et
plus gras que lui. Et puis, j’aime beaucoup ce titre qui me
rappelle le titre d’une chanson de Tonton Georges : « La
Cane de Jeanne », qui avait déjà été évoquée à propos
d’une autre chanson de Lamme : La
Femme de Lamme.
Comme
tu as parfaitement saisi la situation, dit Marco Valdo M.I., tu auras
toute facilité pour suivre cette nouvelle séquence de la
confrontation de Lamme et du religieux. Arrivé à bord, ce gras
tonsuré suscite quolibets et moqueries de l’équipage. Puis, au
fur et à mesure qu’il prend conscience du fait qu’il n’est pas
question de le tuer, mais d’en tirer bonne rançon, il va retrouver
toute sa hargne et répliquer très vertement. Il va outrepasser ce
qui était tolérable pour l’équipage et – c’est la goutte qui
fait déborder le vase – jeter des malédictions divines à la tête
de ses interlocuteurs. C’est évidemment la chose à ne pas faire,
car même chez les Gueux, on n’aime pas se faire maudire.
Oh,
dit Lucien l’âne, c’est en effet une très mauvaise idée, car
cette peur des malédictions est vraiment très répandue et aussi,
très puissante. Je l’ai rencontrée partout où je suis allé.
Cependant, rassure-toi, à titre personnel, je m’en fous
complètement malgré le fait, et peut-être même à cause du fait,
que j’ai été ensorcelé.
Effectivement,
reprend Marco Valdo M.I., cette peur est une manifestation de la
superstition qui, au-delà des croyances officielles, au-delà des
enseignements des religions, et bien plus qu’eux, imprègne les
gens aussi bien des villes que ceux des campagnes et cette
superstition touche encore à présent nombre de personnes, quelle
que soit leur religion ou même, ce qui est plus étrange, leur
absence de sujétion à une église ou religion quelconque. Par
exemple, je connais certains incroyants, anticléricaux convaincus
qui, au passage d’un cortège funèbre ou à la simple évocation
de la mort, se touchent les roubignoles pour conjurer le sort. Et
nous sommes près d’un demi-millénaire plus tard et dans une
société fortement sécularisée. Et donc, cet habile et madré
capucin, colérique et arrogant, formé aux techniques d’intimidation
ecclésiastiques lance – tel un sorcier des plus primitifs – ses
imprécations terrifiantes. Et tu verras que la réaction des Gueux
n’est pas celle qu’il pouvait espérer. Mais laissons dire la
chanson.
Voyons
vite la suite qui, je te l’avoue, Marco Valdo M.I. mon ami,
m’intrigue assez et tissons le linceul de ce vieux monde croyant,
crédulité, superstitieux, évangélisé et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
L’apôtre
obèse dit : « Je marche,
Monsieur
le Gueux, je marche,
Mais
sauf le respect dû à votre braquemart,
Vous
êtes pareil à moi ventru, pansu, pansard. »
Et
Lamme répond : « Marchez,
Monsieur
le Moine, marchez,
Mais
n’allez pas comparer
Votre
graisse claustrale à ma rotondité.
Courez,
courez ou je vous ferai
Courir
comme un chien ;
Je
vous activerai de mon pied
Pour
votre plus grand bien. »
Et
l’évangélisateur, bousculé, essoufflé
Ne
peut trotter et Lamme ahane épuisé.
Ainsi,
d’une marche de funérailles,
Ils
atteignent le bercail.
Et
le gros père monte sur le pont
Panse
en avant, les mains liées derrière le dos.
« Qui
est-ce ?, dit Nelle. Je connais ce gros. »
Lamme
répond :« Il vaut cent florins de rançon. »
Me
voilà, pense le prédicateur, bien en peine,
Mais
rançon n’est pas mort certaine.
Il
reprend du poil de la bête,
Il
redonne de la voix, il redresse la tête.
« Gueux,
par le Saint Dieu, votre gueuserie est vilaine ! »
Et
les soudards et les matelots rient,
Déparlent
de la Vierge, décrient
Les
saints, les sacrements et l’Église romaine.
Tous
jusqu’au mousse se gaussent
Et
disent des moqueries d’une voix fausse.
Le
prêcheur réplique en haussant le ton
À
coups d’injures et de malédictions.
Piqués
au vif, les hommes d’équipage
À
leur tour se prennent de rage
Et
veulent pendre le frère effronté.
Lamme
dit : « Laissez-moi ce porc, je vais l’engraisser ! »
Et
Lamme fait mettre en cage
Le
cénobite énorme et le nourrit
Et
de ce prêtre furibond, de potages
Et
de sauces, il fait une grasse houri.