AU
BORD DU FLEUVE
Version
française – AU BORD DU FLEUVE – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson
allemande – Am
Fluß – Franz-Josef
Degenhardt – 2003
Dialogue
Maïeutique
On
attribue, dit Marco Valdo M.I., à bien des gens et sous bien des
formes, l’idée ou la réflexion ou la pensée, c’est selon,
qu’on peut résumer par : « Si tu t’assieds au bord du
fleuve, il suffit d’attendre pour voir le cadavre de ton ennemi
passer. »
On
peut mettre le mot ennemi au pluriel, dit Lucien l’âne. Il me
semble avoir entendu Xénophon lui-même, tenir pareil propos. En
tout cas, il parlait d’ennemis et de fleuve. C’était déjà il y
a un certain temps. Pareil pour Lao-Tseu que j’avais croisé
courant la montagne sur son bœuf. Mais bref, l’idée est la même.
C’est une idée fort philosophique et consolatrice. Elle est
surtout pacifique. Cependant, elle suppose d’avoir des ennemis et
aussi, un fleuve, sans compter qu’il faudrait en plus que les
ennemis tombent dans le fleuve et qu’on soit présent lors du
passage de leurs cadavres. Ça fait quand même beaucoup de
conditions.
Évidemment,
Lucien l’âne mon ami, mais si la chanson parle elle aussi d’un
fleuve et de morts qui passent au fil de l’eau, elle ne dit rien
qui permette de penser qu’il s’agit d’ennemis. Ce peut tout
aussi bien être des amis. Cependant, on peut en déduire quand même
qu’il doit y avoir des massacres, en amont et que le témoin, celui
qui chante, n’est pas impliqué dans les combats ou les massacres
tout comme ceux – les gens du pouvoir – auxquels il s’adresse ;
ceux-là, les gens du pouvoir, envoient les autres se faire massacrer
et glisser vers la mer sous forme de cadavres.
Allons
nous asseoir au bord de l’eau et attendons, Marco Valdo M.I.,
peut-être qu’à la longue, il ne descendra plus d’assassinés,
que le temps des grands jeux de massacre sera écoulé. Mais, entre
nous, dans cette Guerre
de Cent Mille Ans que les riches et les puissants font
chaque jour aux pauvres et aux hommes tranquilles, pour bêtement
s’enrichir et avoir le pouvoir, il y a bien d’autres choses et
manières que la guerre ouverte, les armes et les armées qui
oppriment et détruisent la vie : la faim ou le manque de
nourriture, la maladie ou le manque de soins, la sécheresse ou le
manque d’eau… J’arrête là, mais tu vois ce dont il s’agit :
cette guerre est sournoise et a mille visages. Et elle n’envoie pas
tous les cadavres descendre les fleuves. Alors, tissons encore le
linceul de ce vieux monde gangrené, autodestructeur, malade du
pouvoir et de la richesse et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Avez-vous
gagné la guerre qui dure depuis plus de 200 ans ?
Mesdames,
Messieurs au pouvoir ?
Ou
même juste une bataille ?
Une
grande, même une très grande, mais la dernière bataille ?
Alors,
abandonnez l’espoir de tituber ivres de victoire.
Recommandez
à vos chanteurs,
Les
anciens, mais surtout les nombreux nouveaux qui rampent vers vous :
Attention
– pas de chants jubilatoires trop haut !
Vous
espérez seulement avoir finalement gagné le pouvoir.
Pas
vraiment désespérés, mais quand même plein de scepticisme.
Vous
connaissez votre propre histoire,
Au
moins les plus intelligents d’entre vous.
Et
je m’assois près du fleuve, comptant les morts qui passent :
Des
écrevisses dans le ventre mou,
Les
yeux ouverts, sans queue, scalpé.
Le
butor crie dans la roseraie.
Mais
seulement quand la lune sera visible derrière les nuages de soufre
Et
le silence sera encore plus insupportable,
Je
crierai peut-être ma chanson par-dessus
la marée montante.