mercredi 26 septembre 2018

JE NE ME SENS PAS ITALIEN

JE NE ME SENS PAS ITALIEN


Version française – JE NE ME SENS PAS ITALIEN – Marco Valdo M.I. – 2011
Chanson italienne – Io non mi sento italiano – Giorgio Gaber – 2003







Dialogue Maïeutique


Pour nous les ânes, dit Lucien l’âne lui-même en agitant la tête pour marquer sa perplexité, pour nous les ânes, un homme est un homme Par exemple, moi qui suis depuis la plus haute Antiquité, en voyage à travers le monde, en commençant par l’Ionie et le tour de la Méditerranée avant de m’aventurer partout ailleurs dans ce monde, quand je croise un homme – au sens générique, car ce pourrait être une femme – je vois un bipède humain et je ne lui vois pas de frontière ou de nation au front. Sauf évidemment quand il s’avise à porter un uniforme et un casque et à agiter le tissu d’un drapeau.

Tu as parfaitement bien vu ce que tu as vu, mon ami Lucien l’âne… Et moi qui suis un de ces étranges bipèdes, je vois la même chose que toi. Je suis un homme sans frontières et j’ai bien du mal à imaginer une patrie, moi qui vis dans une région qui s’appelle la Wallonie – ceci dit pour la géographie, juste en somme pour situer l’endroit d’où je parle. Comment peut-on être Persan ? se demandait Montesquieu Je me pose encore la même question : comment peut-on être Wallon ? Je suis, pour évoquer Michel de Montaigne, « l’homme en général, de qui je cherche la cognoissance ». Mais cela dit, l’interpellation de Gaber vaut pour toutes les « nations », pour tous les présidents et finalement, pour tous les gens. Comprends-moi bien, mon ami Lucien l’âne, on peut en effet se situer ici ou là sur la planète, on peut et on doit se situer géographiquement et faire où l’on est ou bien, là où l’on trouve refuge (quand on trouve refuge) et pour ce que l’on peut, son métier d’homme ou d’âne, c’est selon. Mais on se saurait en tirer raison d’orgueil ou d’exclusion des autres…

Je trouve, en effet, que voilà une bonne manière de vivre en ce monde… et il faudra bien que toutes ces nations disparaissent, condition première pour que d’un bout à l’autre de la planète, on ne puisse plus dresser les gens les uns contre les autres, en inventant de toutes pièces des nations et d’autres entités tout aussi imaginaires et dangereuses. Crois-moi, Marco Valdo M.I., mon ami, il nous faut reprendre – pour cela aussi – reprendre notre inlassable tâche et tisser le linceul de ce vieux monde plein de frontières, de nations, de patries et décidément cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.



Parlé : Je suis Giorgio Gaber. Je suis né et je vis à Milan.
Je ne me sens pas italien.
Mais par bonheur ou par malheur, je le suis.

Excusez-moi Président,
Ce n’est pas ma faute
Mais notre Patrie
Je ne sais ce que c’est.
Il se pourrait que je me trompe
Que ce soit une belle idée
Mais je crains qu’elle ne devienne
Un vilain poème.
Excusez-moi Président,
Je ne ressens aucun besoin
D’un hymne national
Dont j’ai un peu honte.
Quant aux footballistes
Je ne peux juger
Les nôtres ne le savent pas
Ou n’ont plus de pudeur.

Je ne me sens pas italien.
Mais par bonheur ou par malheur, je le suis.

Excusez-moi Président,
Si j’ai l’impudence
De dire que je ne sens
Aucune appartenance
Et excepté Garibaldi
Je ne vois aucune raison
D’être orgueilleux.
Excusez-moi Président,
Si j’ai à l’esprit le fanatisme
Des chemises noires
Au temps du fascisme.
Si un jour naquit
Cette démocratie
Leur en faire compliment
Ce serait délirant.

Je ne me sens pas italien.
Mais par bonheur ou par malheur, je le suis.

Ce beau pays
Plein de poésie
A tant de prétention
Mais dans le monde occidental
C’est la banlieue.

Excusez-moi Président,
Mais notre État
Que vous représentez
Me semble un peu décrépit.
Et il apparaît clairement
Aux yeux des gens
Que tout est calculé
Et que rien ne fonctionne.
Serait-ce que les Italiens
Par tradition
Sont trop passionnés
Par les discussions
Jusqu’au parlement
L’air est incandescent
On s’étripe pour tout
Et on ne change rien.

Je ne me sens pas italien.
Mais par bonheur ou par malheur, je le suis.

Excusez-moi Président,
Mais vous devez convenir
Que nous avons des limites
Nous devons nous le dire.
Mis à part le défaitisme
Nous sommes ce que nous sommes
Et nous avons aussi un passé
Que nous n’oublions pas.
Excusez-moi Président,
Mais nous les Italiens
Pour les autres, nous sommes
Spaghetti et mandolines.
Alors là, je me fâche.
Je suis fier et je m’en vante,
Je leur jette à la face
Ce que fut la Renaissance.

Je ne me sens pas italien.
Mais par bonheur ou par malheur, je le suis.

Ce beau pays
Est peut-être peu sage
Il a les idées confuses
Mais si j’étais né en d’autres lieux
Ç’aurait pu être pire.

Excusez-moi Président,
J’en ai tant dit désormais
J’ajoute une autre impression
Que je crois importante.
Par rapport aux étrangers
Nous nous sentons amoindris
Mais peut-être avons-nous compris
Que ce monde est le théâtre de la vie.
Excusez-moi Président,
Je sais qu’il ne vous sied pas
Que le cri « Italia ! Italia ! »
On ne l’entend que dans les stades.
Mais quand même pour ne pas mourir
Ou un peu par plaisanterie
Si nous avons fait l’Europe
Faisons un peu l’Italie.



La Fin du Poissonnier


La Fin du Poissonnier


Chanson française – La fin du Poissonnier – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux –
90
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel –
III, XLIV)





Dialogue Maïeutique

Ah, enfin ! dit Lucien l’âne, voici venue la fin de ce poissonnier délateur qui joue au garou dans les dunes. Comme Till avait bien eu tort de lui laisser la vie sauve quand il le tenait si bien au bord du canal. Combien de malheurs et de victimes auraient été épargnés.

Tu y vas fort, Lucien l’âne mon ami. Là, tu mets en cause la justice et même, tu sembles justifier le meurtre justicier.

Halte-là, Marco Valdo M.I. mon ami. J’ai vécu assez longuement pour voir qu’il y a des exceptions à toute règle. Certes, il n’est pas bon, disent les bonnes âmes des humains, de tuer une âme malsaine pour faire justice. Mais les mêmes humains ne voient pas d’inconvénient à tuer l’âne – même bon – pour faire du boudin. Cette singulière disposition est évidemment bien pire. Et puis, dans le cas que j’évoquais du poissonnier, il ne s’agissait pas de justice, mais de mettre fin à une série de méfaits criminels. Cela dit, comme je viens de l’énoncer, au principe angélique du « Tu ne tueras point ! », ceux-là qui l’énoncent solennellement n’ont jamais hésité à le transgresser (« Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! », criait le croisé de Béziers) et même, si j’ose ainsi dire, à l’échelle industrielle, nationale, internationale et si besoin, cosmique. Certainement, je suis acquis à une règle générale de « non aux massacres ! » et de justice bien tempérée. Mais précisément, dans notre affaire du poissonnier, la justice n’était en rien tempérée ; elle brûlait les innocents à tour de bras. Elle allait tout de travers et c’est elle qui fut cause de la révolte des Gueux et de la vengeance de Till, vengeance qu’il tempéra au bord du canal, comme dans les dunes. Pour le reste, que faire d’une bête enragée ? La garder à l’écart en cage jusqu’à ce que mort s’ensuive ?

Oh, Lucien l’âne mon ami, je connais ce dilemme et je ne peux y répondre à présent que sur ce cas précis où il me paraît, en effet, qu’il aurait été préférable pour Boetkine – par exemple, que le poissonnier-garou fut mis plus tôt hors d’état de nuire. Mais revenons à la chanson et tu verras qu’elle répond à ton interrogation. C’est l’heure de la justice, le poissonnier-loup-garou est amené sous le tilleul, un gros arbre qui pousse au milieu de la place publique (dans d’autres endroits, il s’agit d’un chêne (Louis, roi de France), d’un orme (c’est fort courant dans le Sud), un cerisier (pour le roi Pausole, qui à la saison, mangeait les cerises pendant la séance) pour son procès, avec torture, si nécessaire et ce le sera, et enfin, l’exécution de la sentence. Sous le tilleul siège le tribunal, présidé par le bailli, représentant du Comte, entouré des échevins de la Commune et tout autour de la place, le peuple qui, comme l’exige la coutume, joue son rôle de jury. C’est un peu le même rôle démocratique que dans la tragédie grecque. Le peuple, le public, les gens interviennent avec force dans le débat ; autour de l’accusé, ce ne sont que reproches, rancœurs, cris, insultes, menaces.

Excuse-moi, dit Lucien l’âne, mais ça me fait penser aux foules qui assistaient aux combats de gladiateurs ou à celles qui assistent aux corridas ou aux matchs de football, de boxe ou de catch.

De fait, Lucien l’âne mon ami, il y a de ça. Une foule est une foule et vue globalement, quand elle se laisse aller, elle est féroce et virulente. Il y a un effet dynamo ; ses propres outrances la stimulent à produire d’autres outrances plus outrancières. Mais, il faut bien dire que l’attitude veule et sournoise de l’accusé ne va rien arranger. Ensuite, on le condamne à mort et on l’exécute illico, sur place et sans délai. Ainsi périt le poissonnier félon.

Finalement, il y a quand même une justice, dut se dire le peuple rassemblé. Quant à nous, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde justicier, violent, brutal et cacochyme.


Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


Au matin du lendemain,
Sonne la cloche de service
Pour assembler greffier, bailli et échevins,
Sous le beau tilleul de justice.

Sur la place, en posture de jurés,
Le peuple entier forme un cercle serré
Autour du poissonnier entêté
Qui ne veut rien avouer.

Il dit toujours :
« Je suis pauvre et malade, miséricorde ! »
Le peuple gronde à son tour :
« Au garou, tueur d’enfants, le feu ou la corde ! »

Les femmes disent narguant le piteux :
« Ne nous regarde pas de ces yeux froids,
Veule vilain vieillard vicelard et vicieux,
Nous ne te craignons pas ! 

Bête cruelle, méchant couard,
Tu assassinais les pauvres filles
Qui rêvaient d’une douce vie.
Paye, paye, laid pendard ! »

« Vampire, suceur de sang,
Tue, tue ! », crient les enfants
Et Toria : « Tenailles ardentes, à petit feu ! »
« Je suis faible, miséricorde ! », mugit le vieux.

Le poissonnier pleure, fausses larmes,
C’est feinte et mensonge encore.
Les femmes rient et font vacarme :
« Où sont les corps ? Où est l’or ? »

Sur le banc de torture,
On lui serre les pieds
D’étroites chaussures
Qu’on va encore serrer.

« Satan, c’est moi, mon être de nature.
Enfant, j’étais laid et mal aimé.
Garçons et filles, de moi n’avaient pitié.
Ainsi est né mon goût de la morsure. »

Enfin, condamné comme horrible meurtrier,
La langue percée, le poing coupé,
Dans le petit feu, on met le grigou
Et le poissonnier hurle comme un loup.