JE NE ME SENS PAS ITALIEN
Version française – JE NE ME SENS PAS ITALIEN – Marco Valdo M.I. – 2011
Chanson italienne – Io non mi sento italiano – Giorgio Gaber – 2003
Dialogue Maïeutique
Pour nous les ânes, dit Lucien l’âne lui-même en agitant la tête pour marquer sa perplexité, pour nous les ânes, un homme est un homme… Par exemple, moi qui suis depuis la plus haute Antiquité, en voyage à travers le monde, en commençant par l’Ionie et le tour de la Méditerranée avant de m’aventurer partout ailleurs dans ce monde, quand je croise un homme – au sens générique, car ce pourrait être une femme – je vois un bipède humain et je ne lui vois pas de frontière ou de nation au front. Sauf évidemment quand il s’avise à porter un uniforme et un casque et à agiter le tissu d’un drapeau.
Tu as parfaitement bien vu ce que tu as vu, mon ami Lucien l’âne… Et moi qui suis un de ces étranges bipèdes, je vois la même chose que toi. Je suis un homme sans frontières et j’ai bien du mal à imaginer une patrie, moi qui vis dans une région qui s’appelle la Wallonie – ceci dit pour la géographie, juste en somme pour situer l’endroit d’où je parle. Comment peut-on être Persan ? se demandait Montesquieu… Je me pose encore la même question : comment peut-on être Wallon ? Je suis, pour évoquer Michel de Montaigne, « l’homme en général, de qui je cherche la cognoissance ». Mais cela dit, l’interpellation de Gaber vaut pour toutes les « nations », pour tous les présidents et finalement, pour tous les gens. Comprends-moi bien, mon ami Lucien l’âne, on peut en effet se situer ici ou là sur la planète, on peut et on doit se situer géographiquement et faire où l’on est ou bien, là où l’on trouve refuge (quand on trouve refuge…) et pour ce que l’on peut, son métier d’homme ou d’âne, c’est selon. Mais on se saurait en tirer raison d’orgueil ou d’exclusion des autres…
Je trouve, en effet, que voilà une bonne manière de vivre en ce monde… et il faudra bien que toutes ces nations disparaissent, condition première pour que d’un bout à l’autre de la planète, on ne puisse plus dresser les gens les uns contre les autres, en inventant de toutes pièces des nations et d’autres entités tout aussi imaginaires et dangereuses. Crois-moi, Marco Valdo M.I., mon ami, il nous faut reprendre – pour cela aussi – reprendre notre inlassable tâche et tisser le linceul de ce vieux monde plein de frontières, de nations, de patries et décidément cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Parlé : Je suis Giorgio Gaber. Je suis né et je vis à Milan.
Je ne me sens pas italien.
Mais par bonheur ou par malheur, je le suis.
Excusez-moi Président,
Ce n’est pas ma faute
Mais notre Patrie
Je ne sais ce que c’est.
Il se pourrait que je me trompe
Que ce soit une belle idée
Mais je crains qu’elle ne devienne
Un vilain poème.
Excusez-moi Président,
Je ne ressens aucun besoin
D’un hymne national
Dont j’ai un peu honte.
Quant aux footballistes
Je ne peux juger
Les nôtres ne le savent pas
Ou n’ont plus de pudeur.
Je ne me sens pas italien.
Mais par bonheur ou par malheur, je le suis.
Excusez-moi Président,
Si j’ai l’impudence
De dire que je ne sens
Aucune appartenance
Et excepté Garibaldi
Je ne vois aucune raison
D’être orgueilleux.
Excusez-moi Président,
Si j’ai à l’esprit le fanatisme
Des chemises noires
Au temps du fascisme.
Si un jour naquit
Cette démocratie
Leur en faire compliment
Ce serait délirant.
Je ne me sens pas italien.
Mais par bonheur ou par malheur, je le suis.
Ce beau pays
Plein de poésie
A tant de prétention
Mais dans le monde occidental
C’est la banlieue.
Excusez-moi Président,
Mais notre État
Que vous représentez
Me semble un peu décrépit.
Et il apparaît clairement
Aux yeux des gens
Que tout est calculé
Et que rien ne fonctionne.
Serait-ce que les Italiens
Par tradition
Sont trop passionnés
Par les discussions
Jusqu’au parlement
L’air est incandescent
On s’étripe pour tout
Et on ne change rien.
Je ne me sens pas italien.
Mais par bonheur ou par malheur, je le suis.
Excusez-moi Président,
Mais vous devez convenir
Que nous avons des limites
Nous devons nous le dire.
Mis à part le défaitisme
Nous sommes ce que nous sommes
Et nous avons aussi un passé
Que nous n’oublions pas.
Excusez-moi Président,
Mais nous les Italiens
Pour les autres, nous sommes
Spaghetti et mandolines.
Alors là, je me fâche.
Je suis fier et je m’en vante,
Je leur jette à la face
Ce que fut la Renaissance.
Je ne me sens pas italien.
Mais par bonheur ou par malheur, je le suis.
Ce beau pays
Est peut-être peu sage
Il a les idées confuses
Mais si j’étais né en d’autres lieux
Ç’aurait pu être pire.
Excusez-moi Président,
J’en ai tant dit désormais
J’ajoute une autre impression
Que je crois importante.
Par rapport aux étrangers
Nous nous sentons amoindris
Mais peut-être avons-nous compris
Que ce monde est le théâtre de la vie.
Excusez-moi Président,
Je sais qu’il ne vous sied pas
Que le cri « Italia ! Italia ! »
On ne l’entend que dans les stades.
Mais quand même pour ne pas mourir
Ou un peu par plaisanterie
Si nous avons fait l’Europe
Faisons un peu l’Italie.