lundi 9 décembre 2013

LES ANCIENS COMBATTANTS

LES ANCIENS COMBATTANTS


Version française – LES ANCIENS COMBATTANTS – Marco Valdo M.I. – 2013
Chanson italienne – I reduci – Giorgio Gaber – 1976








En voilà encore une fois, un de ces titres de chanson qui évoque mille choses, dit Lucien l'âne en râpant d'un sabot rugueux le sol de gravillons qui s'étale jaunâtre devant lui. Les anciens combattants... depuis le temps que je cours le monde, j'en ai rencontrés de toutes les sortes et revenant de toutes sortes de guerre. Je me souviens assez bien de ceux qui revenaient de la guerre de Troie, par exemple, de la guerre des Gaules ou des guerres d'Espagne. Ceux qui s'en étaient allés avec Roland et bien entendu étaient revenus... Don Quichotte et Sancho... Ceux qui avaient fait les campagnes de Russie... Là d'ailleurs, il y en eut bien des vagues et de toutes les couleurs. Sans compter ceux qui s'en étaient allés à la croisade ou au Tonkin ou même en Chine ; ceux de Carthage ou de Rome, ceux qui avaient été dans les bataillons d'Afrique ou dans les légions...


Oh, moi, c'étaient plutôt mes grands-pères... Mais, je ne sais ce que tu en sais, ces anciens combattants se divisent en deux groupes : ceux qui racontent et même souvent, radotent leur guerre et ceux qui font silence sur le sujet ou s'en tiennent à de sobres évocations. Mais, pour en venir à la chanson elle-même, tout en étant spécifiquement italienne, elle ne parle ni de ceux qui revenaient du Carso ou du Piave, ni de ceux qui sont revenus plus tard d’Éthiopie ou du Don, ni de Grèce, ni d'Albanie, ni, ni. En fait d'anciens combattants, elle fait allusion aux combattants de la guerre civile qui est toujours en cours, la Guerre de Cent Mille Ans, cette Guerre que les riches font aux pauvres afin de maintenir leur système de domination, de maintenir leur système d'exploitation, de maintenir leurs privilèges, d'accroître leurs richesses, de décupler leurs profits... Elle est l'évocation par un d'entre eux des combats des années récentes... et comme elle date de 1976, il faut bien situer ces combats autour de 1970... Un peu avant, un peu après... Un récit, comment dire, un peu amer, un peu – pour user d'un mot de ce temps-là – autocritique, d'une ironie rétrospective... Mais finalement, peu importe de quelle guerre ils étaient issus, ces anciens combattants, l'important ici, c'est qu'ils sont en quelque sorte des archétypes, comment dire, des « anciens combattants » racontant leurs « anciens combats »... et c'est parfois dérisoire quand certains se roulent dans la gloire... et d'autant plus quand la guerre est la Guerre de Cent Mille Ans et qu'on est dans le camp des pauvres. Il n'y a aucune gloire à revendiquer, aucun bénéfice à en tirer à titre individuel... d'être un « ancien combattant ». Ce n'est pas le but du jeu ; du moins, ce ne devrait pas l'être.


Je le crois aussi, dit Lucien l'âne en secouant ses oreilles en signe d'approbation et il me semble que la chanson de Gaber va dans le même sens. Mais foin de ces dissertations et retournons à notre tâche... Tissons le linceul de ce vieux monde, le suaire de ce système guerrier, radoteur, dérisoire et cacochyme.



Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Et alors est venue l'envie de casser tout
Nos familles, les armoires, les églises, les notaires
Les bancs d'école, les parents, les « Cent vingt-huit »
De transformer en courage la rage qui est en nous.

Tout sautait en l'air
Et on avait un sentiment de victoire
Comme si l'histoire.
Tenait compte du courage

Et alors est venu le moment de s'organiser
D'avoir d'une ligne et de s'unir autour d'une idée
Des écoles et des quartiers aux usines pour se confronter
Et ensemble décider la lutte en assemblée.

Et tout semblait prêt
Pour faire la révolution…
Mais c'était seulement une illusion
Ou une belle intention.

Et alors est venu le moment des longs discours
De repartir de zéro et s'occuper un moment de nous
D'affronter la crise, de parler, parler et s'épancher
De s'introspecter pour savoir qui on est.

Et il y avait l’orgueil de comprendre
Et puis la certitude d'un virage
Comme si comprendre la crise voulait dire
Que la crise était révolue.

Et alors revient l'envie de faire une action
Mais chaque geste échappe de la main et s'enlise
La seule certitude qui reste est la confusion,
Le privilège d'avoir conscience qu'on existe

Mais le fait d'avoir la conscience
Que l'on est dans la merde plus totale
Est l'unique différence substantielle
Vis-à-vis du bourgeois normal.

Et alors nous nous sommes sentis incertains et dépassés
Rescapés déchirés et fatigués, inutiles héros,
Avec nos pansements perdus et les écharpes sur nos visages
À vingt ans déjà nous sommes ici à raconter aux petits-enfants que nous
Nous, nous avions tout fait sauter
Et on avait un sentiment de victoire
Comme si l'histoire.
Tenait compte du courage.