Les
Routes parfumées
Chanson
française – Les Routes
parfumées
– Marco Valdo M.I. – 2017
Décidément,
Marco Valdo M.I. mon ami, les titres de tes canzones sont souvent
bien étranges ou assez inattendus. Celui-ci est porteur d’une
poésie lointaine qui me ravit tellement. On a comme une sensation
d’immenses espaces un peu déserts et où le vent ramasse en un
parfum unique le thym, la menthe, le pin, la rose et l’odeur
puissante de la lavande et du mimosa. Ça sent le chardon et l’ortie
en fleurs, mille couleurs envahissent ma bouche et mille saveurs
tourbillonnent en ma pauvre tête d’âne soudain éwaré. D’où
peuvent-elles bien venir tes routes parfumées que j’ai
l’impression de sillonner depuis l’aube des siècles ?
Elles
viennent, Lucien l’âne mon ami, via Carlo Levi, tout droit d’un
poète du Sud, d’un poète mort trop vite et trop tôt, qui
s’appelait de son vivant et qu’on appellera encore ainsi
maintenant Rocco Scotellaro. Oui, ce même Rocco qui rejaillit au
cinéma sous le titre de Rocco et ses frères. Rocco était cet homme
à jamais jeune, qui par ses camarades des champs, ses amis de ces
quasi-déserts, couverts parfois de blé, parfois d’oliviers,
parfois de rien et de pierres blanches se morfondant sous le soleil,
fut, au sortir de la guerre, au moment de la récupération par ces
paysans sans terre des terrains incultes que les riches propriétaires
laissaient dépérir, porté à la tête de la ville de Matera. Il
soufflait encore un vent d’espoir en ces temps-là. Rocco
Scotellaro, en plus d’être jeune, en plus d’être poète, avait
eux yeux des notables l’immense défaut d’être socialiste. Il se
monta alors une conspiration, une cabale venue des églises, qui
répandit la médisance, la calomnie, le mensonge, l’insinuation,
la dénonciation et ces mauvaises voix, colportées malignement de
clocher en clocher, l’envoyèrent en prison. Après avoir lu à ses
codétenus, qui en redemandaient, Cristò si è fermato a Eboli, qui
racontait leur vie et ses propres poésies qui la chantaient aussi,
Rocco en sortit assez vite, il avait fallu le libérer ;
l’accusation était insoutenable. Cependant, en prison, cet homme
jeune et pauvre, qui marchait sans chaussettes dans ses uniques
souliers, contracta une tuberculose qui l’emporta ; il n’avait
même pas 30 ans.
Dis-moi,
Marco Valdo M.I., j’ai connu Rocco, j’ai marché avec lui dans
les collines, j’ai entendu sa récitation et je les ai aimés, moi,
Lucien l’âne, ses poèmes, parle-moi encore de ses mots de Rocco.
Les
poésies de Rocco sont bien plus parfumées encore que l’évocation
ici ironique et dérisoire des routes de la modernité. Il
conviendrait d’ailleurs de remplacer dans les écoles les cours de
religion par des cours de dérision. Cela aurait plus de sens.
Oui,
sans doute, mais que dit-elle d’autre la canzone ? Est-ce
toujours ce voyage à l’intérieur du monde de notre ami le
prisonnier ?, demande Lucien l’âne aux yeux noirs de soleil.
Que
veux-tu que ce soit d’autre, mon ami l’’âne Lucien ? On
ne peut jamais jeter l’ancre dans cette navigation intérieure où
l’on traverse la mer des enfers en voguant sur les plateaux
pierreux et blanchis par les lumières insensées du grand midi.
Celui qui baisse la tête, celui qui entre dans le jeu de ce monde
frelaté est dans la position du joueur, assuré d’une seule
certitude : celle de toujours perdre.
Finalement,
dit Lucien l’âne révolté, la seule manière de vivre est de se
tenir encore et toujours à l’écart de ce monde vil et cacochyme
et de lui tisser inlassablement son linceul jusqu’à sa complète
disparition.
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Sans
scrupules et sans respect,
Ils
avancent comme les criquets.
Après
leur passage, nuage de malheur,
Il
ne reste ni un brin d’herbe ni une fleur,
Mais
seulement des trous, des ravins,
Une
Lune qui tourne en vain,
Une
horloge sans passé.
Des
entreprises, des agences, des sociétés
Animent
le monde pour cacher le malheur,
Simulent
et vendent du bonheur
Et
diffusent de rassurantes comédies
Pour
transformer en jeu la tragédie
Et
peindre les ruines de vives couleurs,
Travestissements
et leurres.
Ils
imposent cette guerre,
Il
nous faut la faire
Cette
espèce de guérilla,
Dans
les villes et dans les bois,
Partout,
par tous les temps ;
La
bataille dure depuis si longtemps.
Plus
le pouvoir est immense,
Plus
s’étend son impuissance.
Le
monde est fait désormais de routes,
De
routes pour tous ! Des routes
Belles,
attrayantes, merveilleuses routes parfumées
D’un
perpétuel week-end de plage ensoleillée,
Couvertes
de papiers sales, de plastic et de cannettes
Qui
submergent la planète.
Buvons
ensemble une tasse emplie de vin !,
Tant
de jours sans pain, tant de nuits sans fin,
Nous
avons fait tant de chemin ensemble,
Comme
des chevaliers du Temple
Qui
combattent sans même plus savoir pourquoi,
Chrétiens
ou sarrasins liés par cette folie de la foi,
Où
chacun court à sa perte.
Ni
héros ni soldat dans les caillasses désertes
Qui
conduisent aux villages d’antan
Où
pendant le jour, on rencontre de rares paysans ;
Où
la nuit, quand les esprits vacillent,
Le
chien veille sur les brebis endormies,
Car
même les troupeaux cassent les barrières
Et
sur nos sentiers, on ne revient pas en arrière !