LA TARE
Version française – LA TARE – Marco Valdo M.I. – 2020
d’après
la traduction italienne de Riccardo Venturi – VERGOGNA
– 2020
d’une
Chanson allemande – Der Schandfleck – Die Toten Hosen – 1984
Dialogue
Maïeutique
Depuis
le temps, Lucien l’âne mon ami, où tu cours le monde et où tu
entends des chansons, tu as pu reconnaître cette capacité de la
chanson à s’intéresser à mille et mille choses, à sa manière
certes parfois déroutante, mais aussi très profonde, très
émouvante.
C’est
ça, dit Lucien l’âne, exactement ça qui donne souvent à la
chanson son intérêt ; c’est sa manière de mettre en émoi
l’émotion. Il est rare qu’elle fasse un discours – sauf pour
rire ou faire rire ou ironiser ; il est rare et il est également
catastrophique – pour elle et pour ses auditeurs – qu’elle se
complaise dans un ronflement pompeux. Par ailleurs, je pense qu’il
est à peu près inutile de préciser outre mesure qu’il existe
des chansons idiotes, débiles, tonitruantes et sans autre intérêt
que de s’assurer un public du même tonneau. De celles-là, il n’y
a pas plus à en dire, sauf qu’elles sont les plus nombreuses et
les plus répandues. Mais peu importe, je m’égare, je m’emporte !
Pourquoi donc m’as-tu engagé dans une telle réflexion ?
Oh,
Lucien ‘âne mon ami, tout simplement, car la chanson dont je vais
t’entretenir s’intéresse à un sujet rare, mais qui touche aux
fondements de notre humanité, je veux dire à notre nature d’être
vivant. Sans doute, as-tu connaissance que certains hommes (femmes,
enfants, vieux, jeunes… bref, de tous les genres, de tous les âges)
sont – du simple fait qu’ils sont vivants – sujets à des
troubles, des déficiences et de maladies psychiques, neurologiques
ou mentales ; certains d’entre eux sont en outre atteints de
séquelles physiques. On les nomme de différentes façons :
fou, débile, handicapé, délirant et d’encore bien d’autres
manières. Face à ces humains, les comportements de leurs congénères
– y compris de leurs familiers – peuvent être très variables.
Cela va de l’acceptation de cette différence considérée (dès
lors) comme une dimension particulière, d’un caractère de l’être
et cette acceptation entraîne concomitamment un comportement de
compréhension, de solidarité et d’aide jusqu’à des
manifestations ouvertes ou dissimulées de refus et de rejet. C’est
de ce refus, de ce rejet que traite la chanson.
Oui,
oui, dit Lucien l’âne, ça me fait penser à notre amie Atalante
et aux troubles qu’elle endure et qu’elle répercute à son
entourage. Cependant, même si c’est très dur parfois pour ceux
qui vivent auprès d’elle, il faut bien penser que ce doit encore
être beaucoup plus dur pour elle qui ne peut même pas en dire un
mot. Mais enfin, on ne la laisse pas tomber, on ne la range pas dans
une oubliette. Elle fait partie de la famille, elle fait partie de la
tribu, elle fait partie du monde vivant. Elle est une part de la vie.
Oh,
je sais cela aussi, reprend Marco Valdo M.I., mais ce n’est pas le
sujet de la chanson, laquelle évoque une situation tout opposée :
celle d’un être – affaibli, troublé – qui, en raison de ses
troubles, est enfermé, mis à l’écart de la société et même,
ostracisé par ses familiers. Elle dit, la chanson, que ces proches
s’empressent de l’oublier dans son lieu de retrait. Sa famille le
considère comme une tare – d’où le titre de la chanson –
qu’il convient de camoufler, de faire disparaître. Avec une douce
ironie, la chanson conclut :
« Pour
lui, ça va bien ; il ne peut pas se plaindre.
Derrière
des barreaux et des murs si épais,
Il
ne peut pas s’en aller à l’extérieur.
Vous,
vous espérez qu’il ne reviendra jamais,
Loin
des yeux, loin du cœur. »
En
quelque sorte, suggère Lucien l’âne, ils ne le tuent pas
vraiment, ils l’enterrent vivant. Et moi, j’en ai vu, j’en ai
rencontré souvent de ceux qu’on laissait ainsi au bord de la route
sans se soucier de ce qu’ils deviennent, ni de ce qu’ils peuvent
penser ou ressentir. Oh, tissons, Marco Valdo M.I. mon ami, le
linceul de ce vieux monde méprisant, méprisable, stupide, médiocre,
immoral, imbu et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Un homme malade vous tend la main,
Et vous le regardez de loin.
Il est cependant apparenté à vous,
Et vous y pensez avec dégoût.
Derrière des barreaux et des murs si épais,
Il ne peut pas s’en aller à l’extérieur.
Vous, vous espérez qu’il ne reviendra jamais,
Loin des yeux, loin du cœur.
Il n’est jamais seul puisqu’il est schizophrène,
Pourquoi iriez-vous le voir ?
Il penche à gauche et boite d’une jambe,
La famille ne veut pas le revoir.
Derrière des barreaux et des murs si épais,
Il ne peut pas s’en aller à l’extérieur.
Vous, vous espérez qu’il ne reviendra jamais,
Loin des yeux, loin du cœur.
Vous pouvez rire, votre vie n’est pas difficile,
Vous êtes apprécié de vos semblables.
Vous avez fort bien dissimulé votre tare.
Pour lui, ça va bien ; il ne peut pas se plaindre.
Derrière des barreaux et des murs si épais,
Il ne peut pas s’en aller à l’extérieur.
Vous, vous espérez qu’il ne reviendra jamais,
Loin des yeux, loin du cœur.