La
Morale du Déserteur
Chanson
française – La morale du Déserteur – Marco Valdo M.I. – 2020
ARLEQUIN
AMOUREUX – 34
Opéra-récit
historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola
« Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le
titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J.
Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de
l’édition française de « LES JAMBES C’EST FAIT POUR
CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez
Flammarion à Paris en 1979.
Dialogue
Maïeutique
Dans
le fond, Lucien
l’âne mon ami, la vie
d’un déserteur n’est pas tellement différente de celle d’un
mineur, au fond ; à ceci près cependant que le mineur est par
essence sédentaire et quant au déserteur, il lui faut fuir,
toujours partir ailleurs, qu’il lui faut sauter d’un gîte
précaire en chemin détourné. À ceci près qu’il ne peut rien
bâtir, qu’il lui faut tout le temps se dissimuler et que ce simple
fait pose d’énormes problèmes d’intendance – qu’on appelle
aujourd’hui logistique ; ça fait plus sérieux et plus
moderne. Quel sera son nom dans le futur ? Évidemment, le
déserteur n’a pas les besoins d’une armée en campagne, ni ceux
d’une industrie. Il peut presque, il doit même vivre de presque
rien et dans l’improvisation permanente. Qu’y aura-t-il à
manger ? Y aura-t-il seulement à manger ? Où sera-t-il ce
soir ? Demain ? Aura-t-il un abri pour la nuit ? Cette
perpétuelle incertitude est sa seule certitude.
Oui,
oui, rétorque Lucien l’âne, je sais que tu aimes à rappeler
cette antienne : « Dans un monde incertain, la seule chose
certaine, c’est l’incertitude », mais alors, il est très
difficile de bâtir sur un sol aussi mouvant, dans un monde si
évanescent.
En
effet, Lucien l’âne mon ami, chanter et danser sous la pluie,
c’est bien à l’écran, mais dans le réel, c’est très
déprimant. Alors, notre Arlequin rêve d’un monde nouveau, où il
ne ferait pas froid. Il songe à Pâques et à la bonne saison. Il
s’imagine sur scène au théâtre, juste avant de se souvenir de
son insurmontable déficience professionnelle.
« Et
le théâtre ? Je ne suis pas acteur,
Je
suis tout juste un bon bouffon
Avec
une saucisse dans le caleçon. »
Évidemment,
répond Lucien l’âne, vu comme ça, il a peu de chances de faire
une grande carrière au théâtre et même, à l’opéra. Peut-être,
dans le futur, aurait-il sa chance au cinéma ou à la télévision ? Mais au fait,
qui est ce Labyrinthe ? Moi, je pensais que c’était une série
de couloirs enchevêtrés, une sorte de dédale où on pouvait se
perdre, un immense piège à cons qu’on avait construit en Crête,
il y a bien longtemps.
Au
fait, Lucien l’âne mon ami, tu ne te trompes pas du tout, mais
ici, il s’agit d’un personnage d’un roman, j’irais jusqu’à
prétendre qu’il s’agit du roman fondateur de la culture tchèque
moderne. Il s’intitulait exactement « Le Labyrinthe du Monde
et le Paradis du Cœur »
(1623), œuvre majeure du philosophe Johannes Amos Comenius, alias
Jan Amos Komenský, qui fut lui aussi une grande partie de sa vie un
fuyard, un fugitif en
raison-même de ses idées. Il faut dire qu’il était persuadé des
vertus du bien penser et du bien agir. Il disait même que les filles
étaient aussi intelligentes que les garçons et d’autres choses
dérangeantes. M’est avis que notre Arlequin en serait la
réincarnation – une réincarnation littéraire, s’entend.
Peut-être,
Marco Valdo M.I. mon ami, un jour, aura-t-on le temps de mieux
connaître ce diable de Komenský. Comme lui, du moins, je l’imagine,
tissons le linceul de ce vieux monde ignare, persécuteur, déboussolé
et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Faust
souffle sur sa moustache ;
Arlequin
joue à cache-cache ;
Sans
but, sans refuge, sans rien,
Il
s’éveille le matin dans le foin.
Que
mangera-t-il le jour : du millet ?
Où
sera-t-il le soir ? Il ne sait.
Écorché, déplumé, râpé, étrange corbeau,
Le
déserteur rêve d’un monde nouveau.
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Pâques,
pas que pâques, parce qu’à pâques
Il
fait déjà moins froid à pâques, pas que :
Dans
les montagnes, il y a des champignons
Et
des fraises à la bonne saison.
Et
le théâtre ? Je ne suis pas acteur,
Je
suis tout juste un bon bouffon
Avec
une saucisse dans le caleçon.
Chienne
de vie ! À la fin, on meurt.
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Qui
es-tu toi, homme de piété ?
Je
suis Labyrinthe, enfant de Coménius.
Je
veux dans l’errance vous accompagner ;
Labyrinthe
croit en Dieu ; que demander de plus ?
Allez,
on part. Avis aux amateurs !
« Qui
n’a pas envie de marcher,
N’a
qu’à rester couché ! »
C’est
la morale du déserteur.
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.