mardi 21 février 2023

VEILLEUR DES CIEUX

 

VEILLEUR DES CIEUX


Version française — VEILLEUR DES CIEUX — Marco Valdo M.I. — 2023

Chanson — Watcher of the SkiesGenesis1972

Auteurs - Interprètes : Peter Gabriel — Tony Banks — Steve Hackett — Mike Rutherford — Phil Collins

Album : Foxtrot

 

 

 



NOCTURNE SUR LA BAIE DE NAPLES


Carlo Ciappa - s.d.





En avril 1972, Genesis débarque pour la première fois en Italie avec son Nursery Cryme Tour. Ce n’est pas un hasard : Genesis est probablement apprécié plus tôt en Italie que dans son pays d’origine ou dans d’autres pays anglophones. La tournée commence le 6 avril à Adria, dans la province de Rovigo ; y assistent, selon les témoignages, une centaine de personnes. Genesis séjourne à l’hôtel Stella (ÉTOILE) à Adria.


Le nom de ce petit hôtel de la ville de Vénétie est peut-être une sorte de présage. Le 11 avril, ils sont à Pesaro, le lendemain à Reggio Emilia, puis à Cuorgnè (TO), Pavie, Lugo (RA), Travagliato (BS), Sienne et Rome. La tournée se termine le 19 avril à Naples ; à certaines dates, ils ont eu cinq mille, voire dix mille spectateurs. À Naples, Genesis a séjourné dans un hôtel d’où on voit toute la ville ; ils étaient déjà en train de rassembler des idées pour leur prochain album, ce qui serait Foxtrot ; et c’est dans cette chambre au deuxième étage d’un hôtel panoramique qu’est née l’idée de Watcher of the Skies — VEILLEUR DES CIEUX.


Tony Banks et Mike Rutherford ouvrent la fenêtre, et contemplent avec stupéfaction la ville tard dans la nuit, plongée dans l’obscurité, où il ne semble y avoir aucune âme qui vive. Comme si le genre humain avait disparu, s’était éteint. Et si, à ce moment-là, deux extraterrestres arrivaient visiter la Terre ? Des extraterrestres, d’ailleurs, dotés d’un certain goût : habituellement on les fait débarquer dans des landes américaines désolées, dans le désert du Nevada ou de l’Arizona, ou dans d’horribles et insignifiantes villes du Midwest. Ceux-ci, au contraire, arrivent à Naples. Autre chose !


Dans leur tête (peut-être aidés par quelques litres de Falerno ou de Lacrima Christi, puisqu’ils avaient eux-mêmes déclaré apprécier particulièrement le vin italien et qu’ils se soûlaient quotidiennement comme des tuiles), Banks et Rutherford imaginent que les deux extraterrestres, une fois qu’ils ont encadré ce lieu, qui pour eux est tout à fait étranger (il faut savoir que, pour deux voyageurs de l’espace, les aliènes, c’est nous), pensent que les créatures qui habitaient ce lieu ont été détruites. Se seront-elles détruites entre elles ? Possible, les deux extraterrestres savent comment les choses se passent dans l’Univers : « La vie a encore détruit la vie », disent les paroles de la chanson.


La fin du monde ? Qui sait. Nous sommes dans les années où la terreur de la guerre atomique est à son comble, et la musique lui donne une voix continue aux quatre coins du globe (on dit ça, mais quels coins a une sphère ?). À l’époque, la fameuse “horloge” indiquait que, comptée sur une journée de 24 heures, la catastrophe nucléaire était encore à une demi-heure ; aujourd’hui, elle n’est plus qu’à quelques secondes de distance, et pas une seule chanson en parle, pas même Sanremo. Il ne fait aucun doute que Genesis, pourtant bien avancé dans sa tournée italienne, y pensait, transposant tout cela dans l’écriture messianique de Peter Gabriel et son architecture musicale baroque. En sortirait un album comme Foxtrot, qui est un album de musique classique du XXᵉ siècle ; et ce qui deviendra Watcher of the Skies est aussi le parfait corollaire de Supper's Ready (ce qui fait aussi de Foxtrot un album concept).


Dans le texte de la chanson, comme déjà indiqué, les extraterrestres disent « de nouveau…" ; ils ont donc déjà assisté à cette scène. La même vieille histoire dans l’Univers, qui, comme on le sait, a toujours été un grand foutoir depuis le Big Bang. La même vieille histoire, le même instantané de vie à vie, de boule à boule, de destruction à destruction. Et eux regardent, désabusés et inconsolables, devant une Naples fantomatique, sombre et déserte. Et leur voyage continuera pour l’éternité, un voyage fait d’observations désolées et désolantes. C’est leur destin, car ils sont peut-être les derniers êtres vivants. Complètement seuls.


Néanmoins, peut-être dans un désir extrême d’espoir (les extraterrestres fabriqués par des terrestres sont terriblement humains — ils humanisent même les robots et parviennent à humaniser même ces autres aliènes qu’ils ont construits au cours de leur histoire, généralement appelés “Dieu”, “Allah”, “Jupiter”, “Wotan”, “Vishnu”, etc., etc. et auxquels on a souvent attribué des livres absolument insurpassables en termes de constructions et d’intrigues de science-fiction, à part Philip Dick !), les deux aliènes pensent — ou veulent penser — que la condition de la “Terre” — et de Naples — est temporaire. Comme un lézard à qui il manque la queue la verra tôt ou tard repousser, peut-être les habitants de cette boule reviendront-ils à la vie. On peut en déduire que Genesis voyait les extraterrestres comme des gros lézards classiques. On ne devrait pas juger une race par ses restes vides, faisant les archéologues à bon marché. Et, au fond, qu’il ne faut juger même pas Dieu, avec tous ses hétéronymes : pourriez-vous le juger par ses créatures, quand elles sont mortes ?


Ici et là, c’est évident, j’ai un peu plaisanté ci-dessus. Je suis, parfois, un gars un peu blagueur. Mais en gardant toujours à l’esprit, même avec sa genèse particulière et napolitaine, que Watcher of the Skies — Veilleur des Cieux est une chanson extrêmement sérieuse et profonde, comme l’Espace. N’étaient-ils pas un peu saouls, Banks et Rutherford ? In vino veritas, surtout quand elle donne libre cours aux plus anciennes peurs, ténèbres, espoirs et désillusions de l’être humain. Peurs, ténèbres, espoirs et désillusions où l’Espace se retrouve toujours, comme une expression parfaite du Noir et de la Solitude dans lesquelles nous existons, tournant et retournant autour d’une insignifiante petite étoile Z qui, un jour, s’éteindra de toute façon. [RV]








Veilleur des cieux, veilleur de l’infini.

Son monde est seul, aucun monde n’est à lui.

Lui que la vie ne surprend plus,

Des yeux contemple un globe inconnu.


Des créatures façonnèrent cette planète,

À présent, leur règne est obsolète.

Où sont-elles parties ?

Connaissent-elles encore leurs jeux ?

La vie a-t-elle encore détruit la vie,

Le lézard distrait aurait perdu sa queue ?

Loin de la Terre, l’homme se fait vieux.


Ne jugez pas cette race sur ses reliques,

Jugez-vous Dieu sur ses défuntes pratiques ?

Le lézard distrait a perdu sa queue ;

Loin de la Terre, l’homme se fait vieux.


De la vie seul à la vie unique,

Ne pensez pas votre voyage terminé,

Car même si votre navire est rustique,

La mer n’a pas de pitié.

Survivrez-vous sur l’océan de l’étant ?

Venez, écoutez, anciens enfants,

C’est mon conseil en guise d’adieu

Pour vous guider sur la route des cieux.


Malheureusement, vers les étoiles vont vos pensées.

Où nous avons été vous est interdit,

Veilleur des cieux, veilleur de l’infini,

C’est votre destin, solitaire, c’est votre destinée.