jeudi 21 février 2019

SUICIDES IDÉAUX


SUICIDES IDÉAUX


Version française – SUICIDES IDÉAUX – Marco Valdo M.I. – 2019
d’après la version italienne – SUICIDI IDEALI – de Riccardo Venturi – 2011
Texte poétique de Κώστας ΚαρυωτάκηςKostas Karyotakis




KOSTAS KARYOTAKIS



Comme « second acte » de mon retour sur le site, voilà le grec. Et, évidemment, il ne pouvait pas être autre que « mon » Xylouris ; mais avec une chanson inusuelle, ironique, imprégnée d’humour noir et de sa vie. Karyotakis, en somme. Elle est tirée de l’album Σάλπισμα, que le dramaturge et le décorateur théâtral Loukas Thanou réalisa à partir de poésies, en plus de Kostas Karyotakis, de Kostas Varnalis, Aris Alexandrou et D. Thanos (c’est, entre autre, le même album dont est tiré Η μπαλάντα του Kυρ-Μέντιου). Un album à la genèse très compliquée, commencé en 1972, déjà terminé en 1976, mais publié seulement en 1980 ; un album entièrement confié à la voix de Xylouris. Et quand on confiait quelque chose à la voix de Psaronikos, même le bottin du téléphone d’Iraklion, tout devenait quelque chose d’inoubliable.
Des mois d’absence, cependant sans renoncer à mes « fixations » ; et cette chanson l’est devenue vite, car elle me touche profondément. Je continuais à me répéter : « Dès que je retourne sur le site, je l’insère immédiatement » ; la voici. Une chanson dont je soutiens la terreur, car on pénètre dans un territoire ardu : celui du suicide. Des chansons qui parlent de suicides ne sont pas peu, et qu’on pense seulement à la Preghiera in Gennaio de De André ; et il y a même des chansons qui invitent à ne pas arrêter (la Brève invitation à renvoyer le suicideBreve invito a rinviare il suicidiode Battiato et de Sgalambro, Everybody Hurts de REM…); mais celle-ci est une chanson qui se moque de ces d’aspirants au suicide qui préparent toute la scène (on dirait : le rituel) en sachant déjà parfaitement qu’ils se garderont bien de donner suite à leur insane intention.
Oui, elle m’émeut cette chanson ; elle touche tous ceux qui, au moins une fois dans leur vie, ont accompli le même rituel. Il y a déjà de nombreuses années, je ne sais maintenant plus pour quel motif, sur la rive d’un fleuve, la lettre déjà écrite, dans la soirée propice d’un hiver sombre et froide. J’enlève les chaussures et les socquettes et je mets un pied dans l’eau dégoûtante de l’Arno : dégoûtante et glaciale à décourager. Je retire le pied et j’y enfile l’autre : même scène. À ce moment, je m’assieds sur une pierre avec la tête entre les mains, et je commence à rire. À ricaner. Aux éclats ! Cet épisode m’a suffi pour m’empêcher non seulement de retenter le coup, mais même de y repenser encore. Encore maintenant, quand j’ai l’intention de me critiquer férocement tout seul, j’y retourne par l’esprit ; et je me remets à rire.
Mais il y a, probablement, aussi autre chose dans cette chanson des « Suicides idéaux ». Par exemple, les faux suicides de tant de manipulateurs, magouilleurs, politiciens en prison ; pendant que ceux qui, en prison, se suicident vraiment (et par dizaines) sont les abandonnés, les immigrés, qui n’ont et ne ressentent plus aucun espoir. Se suicide celui qui perd son travail, qui est licencié sans préavis pour un vol de dix euros, qui ne sait pas plus comme continuer à vivre. Sans rien écrire et sans rituels. Peut-être, dans ce cas, il faudrait parler d’homicides d’état, d’assassinats socio-politiques.
Enfin, à la fin, il y a la fin. Kostas Karyotakis fut pratiquement celui qui introduisit le surréalisme en Grèce ; surréellement, ou peut-être pas, l’auteur de ces vers contre les faux suicides, se suicida vraiment. Le 21 juillet 1928, le poète sortit de sa maison à Preveza et alla à la plage de Monolithi où il tenta inutilement, pendant dix heures d’affilée, de se noyer en mer. N’ayant pas réussi, avec une scène que j’imagine surréelle et comique (quelqu’un qui essaye pendant dix heures de se noyer, vous l’imaginez ? Ça ferait rire même Jorge de Burgos, le bibliothécaire aveugle du Nom de la Rose !), réécrivit sa « dernière lettre » où il expliquait qu’il était un nageur chevronné et qu’au lieu de mourir, il venait de faire brasses sur brasses. Le lendemain matin, il sortit à nouveau de sa maison, alla s’acheter un revolver et se rendit ensuite dans un petit café, où pendant trois heures, il fuma des cigarettes l’une derrière l’autre. Ensuite, il alla à sur autre plage, Agios Spyridon (Saint Spiridon), et il se tira une balle dans le cœur sous un eucalyptus. [RV]



Ils tournent la clé dans la porte, prennent
Les vieilles lettres qu’ils avaient laissées ;
Ils lisent calmes, pour traîner ensuite
Leurs pas pour une dernière fois.


Leur vie, disent-ils, fut une tragédie,
Mon Dieu, les rires horripilants des gens,
Les larmes, la sueur, la nostalgie
Des ciels, les lieux abandonnés.


Ils se mettent à la fenêtre, ils regardent
Les arbres, les enfants et, au-delà de, la nature ;
Ils regardent les marbriers qui martèlent
Et le soleil qui va se coucher pour toujours.

Ils regardent les marbriers qui martèlent
Et le soleil qui va se coucher pour toujours.


Tout est fini. Voici la dernière lettre,
Brève, mince, profonde, ainsi c’est bien.
Plein d’indifférence et de pardon
Pour celui qui, la lisant, certainement pleurera.


Ils se regardent dans le miroir et ils voient l’heure,
Ils se demandent si c’est folie ou erreur ;
Ils murmurent en eux : « Tout est fini »,
Très convaincus qu’ils y repenseront.

Ils murmurent en eux : « Tout est fini »,
Très convaincus qu’ils y repenseront.