SUICIDES
IDÉAUX
Version
française – SUICIDES IDÉAUX – Marco Valdo M.I. – 2019
d’après
la version italienne – SUICIDI IDEALI – de
Riccardo Venturi – 2011
D’une
chanson grecque Ιδανικοί
αυτόχειρες
– Νíκος
Ξυλούρης – 1980
Texte
poétique de Κώστας
Καρυωτάκης
– Kostas
KaryotakisKOSTAS KARYOTAKIS |
Comme
« second acte » de mon retour sur le site, voilà le
grec. Et, évidemment, il ne pouvait pas être autre que « mon »
Xylouris ; mais avec une chanson inusuelle,
ironique, imprégnée d’humour noir et de sa vie. Karyotakis, en
somme. Elle est tirée de l’album Σάλπισμα, que le
dramaturge et le décorateur théâtral Loukas Thanou réalisa à
partir de poésies, en
plus
de Kostas Karyotakis, de Kostas Varnalis, Aris Alexandrou et D.
Thanos (c’est,
entre autre, le même album dont est tiré
Η
μπαλάντα του Kυρ-Μέντιου). Un album à
la genèse très compliquée, commencé en
1972, déjà terminé
en 1976, mais publié seulement en 1980 ; un album entièrement
confié à la voix de Xylouris. Et quand
on confiait quelque chose à la voix de Psaronikos,
même
le
bottin
du téléphone d’Iraklion, tout devenait quelque chose
d’inoubliable.
Des
mois
d’absence, cependant sans renoncer à mes « fixations » ;
et cette chanson l’est devenue
vite, car
elle
me touche profondément.
Je continuais à me répéter : « Dès que je retourne
sur le site, je
l’insère
immédiatement » ; la voici. Une chanson
dont je soutiens la terreur,
car
on
pénètre dans un territoire ardu : celui du suicide. Des
chansons qui
parlent
de suicides ne
sont
pas peu, et qu’on
pense seulement
à la Preghiera
in Gennaio
de De André ; et il y a même des chansons qui invitent à ne
pas arrêter (la Brève invitation à renvoyer le suicide
– Breve
invito a rinviare il suicidio
– de
Battiato et de Sgalambro, Everybody
Hurts de REM…); mais celle-ci est une chanson qui se
moque de ces d’aspirants
au
suicide qui
préparent toute la scène (on
dirait :
le rituel) en sachant déjà parfaitement qu’ils se garderont bien
de donner suite
à leur insane
intention.
Oui,
elle
m’émeut
cette chanson ;
elle
touche tous ceux qui,
au moins une fois
dans leur
vie, ont accompli le même rituel. Il
y a déjà de nombreuses années,
je ne sais maintenant plus pour quel motif,
sur la rive
d’un
fleuve, la lettre déjà écrite, dans la
soirée propice
d’un
hiver sombre et froide.
J’enlève
les chaussures et les socquettes et je
mets un pied dans l’eau
dégoûtante de
l’Arno :
dégoûtante et glaciale
à décourager.
Je retire le pied et j’y enfile l’autre : même scène. À
ce moment,
je m’assieds
sur une pierre
avec la tête entre
les mains, et je
commence à rire. À
ricaner. Aux éclats !
Cet épisode m’a suffi pour m’empêcher non
seulement de retenter
le coup,
mais même de y repenser
encore. Encore
maintenant, quand
j’ai l’intention de
me critiquer férocement
tout seul, j’y
retourne par l’esprit ;
et je me remets à rire.
Mais
il y a, probablement, aussi
autre chose dans cette
chanson des « Suicides idéaux ». Par exemple, les
faux suicides de tant
de manipulateurs,
magouilleurs, politiciens en prison ; pendant que ceux
qui, en prison, se
suicident vraiment (et par
dizaines) sont les abandonnés, les immigrés, qui n’ont et ne
ressentent
plus aucun
espoir. Se
suicide celui qui
perd son
travail, qui est licencié sans
préavis pour un vol de
dix euros,
qui ne sait pas plus comme continuer
à vivre. Sans rien
écrire et
sans rituels. Peut-être, dans ce cas, il faudrait
parler d’homicides d’état, d’assassinats
socio-politiques.
Enfin,
à la fin, il y a la
fin. Kostas Karyotakis fut pratiquement celui
qui introduisit le
surréalisme en Grèce ; surréellement, ou peut-être pas,
l’auteur de ces vers contre les
faux suicides, se
suicida vraiment. Le 21 juillet
1928, le poète sortit de sa
maison à Preveza et
alla à la plage de Monolithi où il tenta inutilement, pendant
dix heures d’affilée,
de se noyer en mer. N’ayant
pas réussi, avec une
scène que j’imagine surréelle
et comique (quelqu’un
qui essaye
pendant
dix heures de
se noyer, vous l’imaginez ?
Ça
ferait rire même Jorge de Burgos, le
bibliothécaire aveugle du Nom de la Rose !),
réécrivit sa « dernière lettre » où il expliquait
qu’il était
un nageur chevronné et qu’au lieu de mourir, il venait de faire
brasses sur brasses. Le lendemain
matin, il
sortit à
nouveau de sa maison,
alla s’acheter un revolver et se
rendit ensuite dans un
petit café, où pendant
trois heures, il fuma des cigarettes l’une
derrière l’autre. Ensuite, il alla à sur
autre plage, Agios Spyridon (Saint
Spiridon),
et il se tira une balle
dans le cœur
sous un eucalyptus. [RV]
Ils
tournent la clé dans la porte, prennent
Les vieilles lettres qu’ils avaient laissées ;
Ils lisent calmes, pour traîner ensuite
Leurs pas pour une dernière fois.
Les vieilles lettres qu’ils avaient laissées ;
Ils lisent calmes, pour traîner ensuite
Leurs pas pour une dernière fois.
Leur
vie, disent-ils, fut une tragédie,
Mon Dieu, les rires horripilants des gens,
Les larmes, la sueur, la nostalgie
Des ciels, les lieux abandonnés.
Mon Dieu, les rires horripilants des gens,
Les larmes, la sueur, la nostalgie
Des ciels, les lieux abandonnés.
Ils
se mettent à la fenêtre, ils regardent
Les arbres, les enfants et, au-delà de, la nature ;
Ils regardent les marbriers qui martèlent
Et le soleil qui va se coucher pour toujours.
Les arbres, les enfants et, au-delà de, la nature ;
Ils regardent les marbriers qui martèlent
Et le soleil qui va se coucher pour toujours.
Tout
est fini. Voici la dernière lettre,
Brève,
mince, profonde, ainsi c’est bien.
Plein
d’indifférence et de pardon
Pour
celui qui, la lisant, certainement pleurera.