vendredi 8 janvier 2016

BALLADE POUR UN CHEMINOT

BALLADE POUR UN CHEMINOT
Version française – BALLADE POUR UN CHEMINOT – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson italienne – Ballata per un ferroviereGruppo sei Genova – 1970



« I funerali dell’anarchico Pinelli » 



La "Ballata per un ferroviere"est une chanson écrite et enregistrée sur un disque 45 tours du poète et parolier génois Riccardo Mannerini, ami de Fabrizio De André.
Composée en 1970, elle fut enregistrée par Mannerini avec le Gruppo 6 de Gênes.

Le morceau raconte l’aventure humaine – jusqu’à sa mort dramatique suite à une chute par la fenêtre de questure de Milan, où il était retenu pour des vérifications – du cheminot anarchiste Giuseppe Pinelli, qui était soupçonné d’avoir participé à l’attentat à la Banca Nazionale dell’Agricoltura en décembre 1969.
Quoique en désaccord avec les thèses officielles, Mannerini rapporte le fait que Giuseppe Pinelli n’est pas mort de façon accidentelle, ni ne s’est suicidé. Ce disque racontant l’assassinat de Pinelli lors de son interrogatoire suscita un grand intérêt au niveau national et eut un grand écho dans la presse.
Cette chanson fut longtemps censurée et ne pouvait être transmise à la radio ou la télévision.


Ah, Marco Valdo M.I. mon ami, une chanson sur un cheminot, une ballade même, la chose n’est pas courante. Voilà qui m’intrigue fort. Sans doute, y a-t-il là un mystère, une raison particulière pour qu’on ait écrit une chanson à ce sujet.

En effet, Lucien l’âne mon ami, cette chanson été écrite à propos d’un cheminot, sans doute; mais surtout, à propos de son assassinat par les policiers qui l’interrogeaient à la questure de Milan à la Noël 1969. Ce cheminot s’appelait, retiens bien son nom, Giuseppe Pinelli, c’était un homme tranquille, qui avait des idées libertaires et de ce fait, était très mal considéré par les « autorités ».

Jusque-là, rien que d’ordinaire ; les libertaires sont toujours très mal considérés par les « autorités ».

Et précisément, selon ces mêmes « autorités », il se serait envolé par la fenêtre du bureau où un aimable commissaire lui faisait la conversation. Mais l’affaire ne s’arrête pas là, puisque le-dit commissaire, un certain Calabresi, finira lui aussi assassiné (le 17 mai 1972), le jour (coïncidence encore) du vernissage de l’exposition où Enrico Baj (https://fr.wikipedia.org/wiki/Enrico_Baj) présentait son tableau « Les funérailles de l’anarchiste Pinelli », un tableau monumental de 12 mètres de long sur trois mètres de haut pour lequel était prévue une salle spéciale au Palazzo Reale de Milan. Tout comme on (les « autorités ») avait censuré la chanson « Ballata per un ferroviere », on ferma l’exposition et il faudra attendre 40 ans pour qu’en 2012, le tableau soit présenté au public dans ce lieu conçu pour lui. Entretemps, il avait connu d’autres salles dans d’autres villes dans le monde. Je t’en dirai quelques mots de plus si tu le désires, car l’histoire de ce tableau est plus complexe qu’il n’y paraît.

Évidemment que je le souhaite d’autant plus que j’aime assez ce que fait le peintre Enrico Baj, qui était – comme toi, très proche de la revue Phantômas, de ton ami Théodore Koenig.

Dès lors, allons-y. Et pour satisfaire ton penchant à me demander des explications à partir du titre, je vais commencer par t’indiquer le titre exact de ce tableau de Baj, lui-même anarchiste et milanais, à savoir : « I funerali dell’anarchico Pinelli » (« Les funérailles de l’anarchiste Pinelli ») et ce titre n’est plus que certainement pas fortuit. C’est sans aucun doute une référence directe à un autre tableau du peintre futuriste italien Carlo Carrà, dont le titre était très exactement : « I funerali dell’anarchico Galli » (« Les funérailles de l’anarchiste Galli »), peint en 1911. Si le tableau de Baj renvoie à celui de Carrà, c’est parce qu’il s’agit, dans les deux cas, de l’hommage à un anarchiste assassiné par des gens du pouvoir. Dans le cas de Carrà, l’assassinat de Galli eut lieu lors d’une grève générale, déclenchée suite à un premier massacre perpétré par la Garde Royale qui avait tiré dans la foule le 6 mai 1906. Angelo Galli, anarchiste, participait à cette grève et organisait un piquet devant une usine quand il fut poignardé par un sbire. Le 13 mai, lors de ses funérailles, les carabiniers à cheval vont charger le cortège en frappant tout sur leur passage, y compris les femmes et les enfants. Voici ce qu’en dit Carrà  : « Io che mi trovavo senza volerlo al centro della mischia, vedevo innanzi a me la bara tutta coperta di garofani rossi ondeggiare minacciosamente sulle spalle dei portatori; vedevo i cavalli imbizzarrirsi, i bastoni e le lance urtarsi, sì che a me parve che la salma cadesse da un momento all’altro e che i cavalli la calpestassero. Fortemente impressionato, appena tornato a casa feci un disegno di ciò a cui ero stato spettatore. Da questo disegno presi più tardi spunto per il quadro Il funerale dell’anarchico Galli ... » (Carlo Carrà, La mia vita. Feltrinelli, 1978.). Je te traduis : « Moi qui me trouvais sans le vouloir au centre de la mêlée, je voyais devant moi le cercueil couvert d’œillets rouges tanguer dangereusement sur les épaules des porteurs ; je voyais les chevaux s’emballer, les bâtons et les lances se heurter, de sorte qu’il me parut que la dépouille allait tomber d’un instant à l’autre et que les chevaux la piétineraient. Fort impressionné, à peine rentré chez moi, je fis un dessin de ce dont j’avais été spectateur. De ce dessin, je pris plus tard modèle pour le tableau « L’enterrement de l’ anarchiste Galli... »

Maintenant, dis-moi, la chanson, que raconte-t-elle ? Il faudra bien que tu m’en dises un peu avant de conclure.

La chanson, comme son titre l’indique, est l’histoire d’un cheminot, un anarchiste, de Milan qui travaillait aux chemins de fer. La police l’avait arrêté pour l’interroger à propos d’événements auxquels elle croyait qu’il aurait être mêlé. C’est au cours de cet interrogatoire, sans doute quelque peu musclé (mais on n’a pas le rapport d’autopsie), que Giuseppe Pinelli finit par passer par la fenêtre du bureau, qui était situé au quatrième étage. Il finit ainsi dans la cour de la Questure.

Habituellement, on ne saute pas par la fenêtre d’un bureau situé au quatrième étage, dit Lucien l’âne en fronçant les paupières.

En effet, c’est rare ; c’est même assez curieux. Et il faut écarter le suicide, qui n’était ni dans le tempérament de cet homme tranquille, ni une nécessité, car en vérité, du point de vue strictement pénal, il ne risquait pas grand-chose, pur ne pas dire rien du tout.

Alors quoi ? Dit Lucien l’âne en secouant vigoureusement la tête.

Alors ? La seule conclusion possible, c’est qu’on l’a suicidé. Qui ? Ceux qui étaient dans le bureau. Il y avait là le commissaire et un inspecteur.

C’est bien ce qu’il me semblait. Il nous reste à faire remarquer que c’est là un épisode classique de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches et les puissants font aux pauvres pour assurer leur pouvoir, renforcer leur domination, accroître leurs richesses, multiplier leurs profits… Reprenons dès lors avec plus d’obstination encore notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde policier, menteur, tricheur, assassin et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


Un cheminot était ce martyr
Qui choisit Noël pour mourir.
Il entra dans l’histoire par la fenêtre,
Une histoire de faim, pas de gloire

Il avait deux filles, une idée, un métier ;
Il croyait à la parole, pas au silence
Et pour garder nette sa conscience
Il risquait sa vie entre les voies ferrées.

Il accrochait des voitures, des wagons,
Rêvant à des temps meilleurs,
Mais quand le destin n’est pas bon,
La mort vient avant l’heure.

Elle lui offrit, un bel équipage,
Un vol nocturne du quatrième étage
Et le réduisit en un rien de temps
En un tas de haillons et d’ossements.
Pino Pinelli était ce martyr
Qui choisit Noël pour mourir.
Il entra dans l’histoire par la fenêtre,
Une histoire de faim, pas de gloire.

À l’aube, la nuit n’est pas seule à mourir,
Meurt aussi l’homme et son devenir,
Et le sang chaud qui baigne le pavé
Est un discours à peine commencé.

Passées stupeurs et consternations,
Naissent des bruits, des supputations,
On cherche en somme d’étranges excuses
Comme un poète aidé par des Muses.
Mais le mort reste, le sang entre les dents ;
Ils ne l’ont pas tué en le poussant.
Un peu de chagrin, la presse accourt,
Et fait du cheminot la vedette du jour.
Au chemin de fer, on écrit :
Le manœuvre est parti.
Pour créer un vide dans le monde ouvrier,
Il n’est pas nécessaire de tuer un millier :
Il suffit d’un seul drame, du mystère, de l’enquête,
Et suit qui pleure, qui hurle, qui proteste.

Pino Pinelli était ce martyr
Qui choisit Noël pour mourir.
Il entra dans l’histoire par la fenêtre,
Une histoire de faim, pas de gloire.

On cherche le TNT, la drogue, les femmes,
Et quand on fouille, cherche, enquête,
On découvre la feuille de paie,
Qui montre de manière évidente
Que celui qui travaille rien ne gagne.

À l’aube, la nuit n’est pas seule à mourir,
Meurt aussi l’homme et son devenir,
Et le sang chaud qui baigne le pavé
Est un discours à peine commencé.