LA PESTE NOIRE
Version française – LA PESTE NOIRE – Marco Valdo M.I. – 2020
Chanson italienne – Pesta nera – DSA Commando – 2012
Dialogue
Maïeutique
La
Peste, la Peste noire, telle est la chanson. Tel est le récit de la
chanson ; mais, dis-moi, Lucien l’âne mon ami, as-tu toi-même
connu la peste ?
Personnellement,
franchement, Marco Valdo M.I. mon ami, je ne l’ai pas subie et pour
cause, je suis un âne et les ânes sont connus, comme court la
légende, pour être des animaux fort résistants. Cela dit, je l’ai
vue, j’en ai vu les ravages et pas qu’une fois. J’ai vu tomber
Constantinople, souviens-toi. Je dis ça pour rappeler que la peste
n’est pas pour rien dans l’effondrement de cet Empire
millénaire ; la grande peste avait tué la moitié de la
population européenne. Le bon La fontaine avait raison dans sa façon
de la caractériser : « Ils n’en mourraient pas tous,
mais tous étaient frappés. » L’épouvantable fut qu’un
âne, précisément, un lointain parent – non, ce n’était pas
moi, sinon je ne serais pas là pour t’en parler – a dû subir le
contrecoup. Écoute donc – en partie – cette fable des « animaux
malades de la peste ». L’histoire commence ainsi :
« Un
mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre
La Peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom)
Capable d’enrichir en un jour l’Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés »
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre
La Peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom)
Capable d’enrichir en un jour l’Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés »
et
elle finit ainsi que le bouc émissaire s’était mué en âne
expiatoire.
Et
de cela, demande Marco Valdo M.I., quelle leçon l’âne expérimenté
que tu es peut tirer, hors les banalités qu’on nous a enseignées ?
La
plus importante, Marco Valdo M.I., est pour les gens d’aujourd’hui :
c’est qu’il ne sert à rien d’accuser l’âne, car à la
vérité, le pauvre baudet n’y est pour rien. Ce serait même,
comme on dit couramment à présent, dans cette langue technicole,
contreproductif. Pour le reste, je ne suis ni médecin, ni virologue,
ni en charge des maux des humains. Comme je t’ai de cette manière
répondu, parle-moi quand même de la chanson qui me semble fort
intéressante.
Eh
bien, allons-y, Lucien l’âne mon ami. Il est d’abord à noter
que ce n’est pas une chanson d’aujourd’hui, elle date de 2012.
Le fait a son importance tant elle paraît anticiper les événements
actuels. Comme tu le sais, j’aime beaucoup cette aptitude de la
chanson, que j’appelle son profil de Cassandre. Elle anticipe. Pour
les détails, j’ai définitivement pris le pli de renvoyer au texte
lui-même, sans trop le paraphraser – chose inutile et
superfétatoire, ni même, comme c’était coutume de le faire chez
mes professeurs, d’en expliquer tous les mystères, qui dès lors
n’auraient plus rien d’énigmatique et ce serait malheureux.
Donc,
Dit Lucien l’âne, si je résume ton sentiment : ni
commentaires directs, ni explication de texte. Soit, on n’est pas à
l’école et tu ne te vois pas en professeur, ni les lecteurs, en
élèves ignorants. C’est fort bien ainsi. Mais alors, quoi ?
Oh,
juste un petit bout e phrase ou d’idée, de temps en temps, ça
suffit, dit Marco Valdo M.I. Par exemple, celle-ci est un choral à
quatre voix, qui sont notées dans le texte en tête de leur
intervention : [Heskarioth] – [Macmyc] –
[Hellpacso] – [Krin
183]. C’est une
chanson complexe qui nécessiterait à elle
seule une encyclopédie, ce que je ne peux faire. J’insisterais
cependant sur deux points : le premier, c’est sa prescience,
sa clairvoyance, son discours quasi-incantatoire, sa voix de
Cassandre ; le second, c’est la luxuriance baroque de cette
incantation. Même si elle est pure imagination, même si elle puise
toute sa force dans la poésie, même si de quelque façon, elle est
intemporelle, elle me paraît jeter ses sombres lueurs sur le monde
du temps présent. Elle arrive à donner toue sa voix à la grande
peur séculaire, à la simuler assez exactement. Ainsi, elle met en
garde contre ce délire paranoïaque qui accompagna pendant des
décennies et des décennies, des siècles pour tout dire, les vagues
successives de la peste ancienne, laquelle pourrait se relancer de
nos jours.
Parfait,
dit Lucien l’âne assez causé, voyons ça et puis, tissons le
linceul de ce vieux monde malade de la peur, paniqué, irrationnel et
cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Ecoutez
l’écho du râle de la mort dans les couloirs de l’hôpital.
Crevant
en pose fœtale, étranglé par un vomissement fécal,
Dysenterie,
vertiges, fébrile infirmité mentale,
Dieu
vous a abandonné ou vous déteste de façon viscérale.
Une
horde de rats noirs montent de l’égout,
Mordent
dans la chair, répandent la maladie, provoquent la panique,
Attirés
par des piles de carcasses de corps corrompus où
Des
vols de corbeaux arrachent les yeux, extatiques.
La
putrescence dégorge des visages maculés
Némésis,
divine, répand la ruine sous un ciel rosé.
Vous
pensez aux jours passés pendant qu’enflent vos abcès,
La
peste est une chanson, elle scande le tempo des décès.
Escariot,
ver, oncteur, pestiféré, bouc expiatoire,
Je
ris les yeux à l’envers sous les fers lors de l’interrogatoire.
Je
me fous de crever, mon chemin est pavé d’os,
Jetez
de la chaux et crachez sur moi dans la fosse.
[Macmyc]
Épidémie,
mortalité, paralysie, cancer dans le vent
En
train de métastaser, moissonnent les vivants.
Les
fosses communes créent des collines de corps violets,
Le
mot, un seul, terrifiant, violent, et c’est l’isolement complet.
En
quarantaine, la maladie est bave dans la bouche des rats,
Le
tunnel des horreurs vous sucera et vous tue, tue, tuera.
Les
gens dépouillés de leur vie suent sous un linceul,
Puis
font le dîner pour les vautours qui
tournoient dans
le ciel.
Agonie,
magie, Mac Léod, Crowley le démon
À
l’ange de l’Avent arrache les ailes.
Pour
pleurer, je ne ressens pas assez d’émotion,
L’espoir
vaut mieux qu’une vie éternelle.
Des
croix peintes sur les portes, des barreaux de fenêtres cassés,
Dans
les grottes, des campements de pestiférés.
J’ai
vomi et j’ai vu dehors le feu, pas de soupape de sécurité.
Liez-moi
avec les autres et brûlez-moi sur le bûcher !
[Hellpacso]
Déchets
organiques entre les bouteilles et les rongeurs noirs,
Isolés
dans de vieux quartiers conçus comme de nouveaux mouroirs,
Ici,
on vit ou on meurt, on fait des expériences hors norme :
Des
corps repoussant de pourriture prennent forme.
On
crée l’épidémie de phobies, sans anesthésique.
Un
membre à amputer nécrose sous un ciel en entonnoir,
Une
autre maladie mortelle promène les têtes sur des piques,
Randonnant
par les rues comme un chien noir,
Prêt
à propager la gale, il mord.
Il
n’y a pas de honte, brûlez doucement parmi les essences,
Sel
vain et saveur d’égout pour couvrir toutes les apparences
Affligé,
j’assiste, je résiste jusqu’à ma mort.
Le
salut n’a pas de visage ; avec des gants de cuir, il caresse.
J’avale
des blattes, je recule, je régresse ;
Je
continue, je m’en vais vers l’extinction à tête basse.
Vers
la fuite, je retourne dans le souterrain
Corrosif
comme des larves sous la peau des mains.
[Krin
183]
Les
rivières accompagnent les dépouilles
Dans
un estuaire désormais saturé de charognes ;
Le
mal inflige une peine immonde, un carnage social égal.
Dans
les maisons, les pères se taillent la jugulaire,
Les
fils oublient leur mère,
La
ville sombre spectrale.
Pas
de descendance, onanisme furieux sur des membres décharnés,
Lichen
simplex, squames, corps pulvérisés
Nés
sans zodiaque, de la même façon marqués de la croix
Sur
les épaules, une voix atroce indique les renégats.
Les
docteurs cherchent la cause obscure :
Poudres
diaboliques, onguents, agents contre nature.
Les
ventouses sucent le poison et cicatrisent
Tandis
qu’à l’épuisement, les plaies conduisent.
Hors
des murs, même vie, le feu guérit
Qui
a fait vœu l’allume et le nourrit,
L’enfer
est la seule sortie,
L’enfer
sera le début d’une vie,
La
fin de la contagion de la mort subite,
La
mort du parasite.