lundi 8 décembre 2014

LES LARMES DU PAYS / ANNO 1636

LES LARMES DU PAYS / ANNO 1636

Version française – LES LARMES DU PAYS / ANNO 1636 – Marco Valdo M.I. – 2014
Chanson allemande – Tränen des Vaterlandes / Anno 1636 – Andreas Gryphius1636

Texte d'Andreas Gryphius (1616-1664), poète et dramaturge allemand , Glogau, en Basse Silésie (aujourd'hui Głogów, Pologne).
Musique de Jacques-Louis Monod (1927-), pianiste, compositeur et de directeur d'orchestre
franco-américain, dans son « Cantus contro Cantum IV » pour choeur mixte, sackbuts (du français « saqueboute », un ancien trombone à coulisse) et des trombones.




Comme disait leur commandant en chef, le très honorable Comte t'Serclaes de Tilly, excellent élève des Jésuites  : « Il faut bien que le soldat s'amuse... »




Un très beau et terrible sonnet qui en trois coups de pinceau décrit toute la mort et la destruction, extérieure et intérieure, causée par la terrible Guerre de Trente Ans qui déchiqueta l'Europe dans la première moitié du XVIIième siècle (de 1618 à 1648) et qui accompagna l'auteur de la plus tendre enfance jusqu'à l'âge adulte.
À la fin du conflit, dans le seul Empire germanique la population s'était réduite de 3
à 4 millions, avec une baisse démographique de 15 à 20 pour cent…




En quelque sorte, le sonnet décrit une « magdebourisation », terme rappelant le « sac de Magdebourg » par une armée catholique de 24000 hommes lesquels incendièrent, volèrent, violèrent, assassinèrent et massacrèrent 25000 des 30000 habitants de la ville. Comme disait leur commandant en chef, le très honorable Comte t'Serclaes de Tilly, excellent élève des Jésuites  : « Il faut bien que le soldat s'amuse... »


Il ferait très bien comme Reichsführer-SS, ce t'Serclaes…, dit Lucien l'âne en frémissant du bout des oreilles au bout de la queue.


Sans aucun doute. Donc, pour en revenir à ce que je voulais te dire, en établissant cette version des Larmes du pays, je me grattais le crâne en me disant que tout cela me disait bien quelque chose et que j'avais rencontré Gryphius en pleine conversation avec d'autres écrivains et artistes dans une auberge quelque part au milieu des troubles. Je tournais et je retournais la chose dans ma tête et cela m'est revenu. J'avais croisé Andreas Gryphius et d'autres écrivains et poètes de langue allemande de son époque dans un excellent roman de Günter Grass : Das Treffen in Telgte (1979), littéralement La Rencontre à Telgte, publié en français sous le titre : Une rencontre en Wesphalie (1981). Il fallait que ma mémoire arrive à mettre ces réminiscences en place… Et elle y est arrivée.


Décidément, Marco Valdo M.I. mon ami, tu as une mémoire presque aussi bonne qu'une mémoire d'âne. Car moi, de mon côté, je me souviens de Gryphius et d'autres de ce temps dont j'ai porté le corps et les livres sur mes petites pattes noires que tu vois ici. Par bonheur, j'avais pu quitter Magdebourg à temps… Je voyais les flammes d'assez loin pour ne pas m'y brûler le poil et y rôtir entier comme tant de gens. Je pense, mémoire d'âne, que cet épisode épouvantable de Magdebourg vaut bien la prise de Jérusalem par les Croisés ( le chroniqueur dit : « «A peine les nôtres eurent-ils occupé les murs et les tours de la ville, alors ils purent voir des choses terribles : certains, et c'était une chance pour eux, étaient décapités, d'autres tombaient des murs criblés de flèches ; beaucoup d'autres enfin brûlaient dans les flammes. A travers les rues et les places, on voyait des têtes amoncelées, des mains et des pieds coupés ; hommes et chevaux couraient parmi les cadavres. Mais cela n'était rien encore : parlons du Temple de Salomon, où les Sarrasins avaient l'habitude de célébrer leurs cérémonies religieuses. Que s'y était-il passé ? Si nous disions la vérité, nous ne serions pas crus : disons seulement que dans le Temple et dans le portique de Salomon, on avançait avec du sang jusqu'à la hauteur des genoux et des mors des chevaux. »), les massacres obstinés de la croisade contre les Albigeois (dont une part étaient des disciples de Valdo), et compte tenu des armes et de la taille des villes de ce temps, ce sac de Magdebourg vaut bien le bombardement de Dresde, ville ouverte et désarmée, qui fit environ 135.000 morts.


De cela aussi, j'ai un souvenir de lecture de Kurt Vonnegut où dans Abattoir 5, il en parle en témoin direct… et un des rares survivants. Donc cette chanson est tirée d'un sonnet de 1636 d'Andreas Gryphius qui devait en avoir, comme toute la population, vraiment marre de ces armées vagabondes. Cependant, Lucien l'âne mon ami, on ne saurait passer sous silence que cette Guerre de Trente Ans à peine finie, on en commença d'autres et d'autres encore. Comment expliquer cela ? On ne peut imputer cette frénésie assassine à Dieu, lequel selon le point de vue : soit n'existe pas ou s'il existe, s'en fout complètement des humains et de leurs querelles – ce sont les deux meilleures solutions pour les dieux ; soit un dieu est le premier moteur de ces tueries et c'est un sadique de première grandeur… Je pense qu'il vaut mieux finalement s'en tenir à la Guerre de Cent Mille Ans [[7951]] que les riches et les puissants font aux pauvres afin de maintenir, d'asseoir et de développer leurs pouvoir, domination, privilèges…


Alors, reprenons notre tâche qui ne prendra fin qu'avec cette foutue guerre et tissons le suaire de ce vieux monde saccageur, massacreur, incendiaire, assassin et cacochyme.



Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Nous sommes finalement dévastés complètement, entièrement !
Le peuple en foule déchaînée, les sacquebutes en délire
Les épées gluantes de sang, les couleuvrines tonnant
Ont dévoré toute la sueur, le travail et les réserves.

Les tours se dressent dans les lueurs, l'église est anéantie.
Le Rahthaus gît en capilotade, les forts sont détruits.
Les filles sont violées, et par tout le pays,
Le feu, la peste et la mort transpercent le cœur et l'esprit.

Ici, des fortifs et de la ville, le sang frais sans arrêt s'écoule.
Cela fait déjà trois fois six ans que le flux de notre fleuve,
Presque bouché par les cadavres, lentement se pousse.


Et je ne dis rien de ce qui est pis que la mort,
Plus terrible que la peste, le feu et la faim, encore,
Qu'à nombre de nous, même de l'âme fut dérobé le trésor