lundi 28 août 2017

Martin Néfertiti

Martin Néfertiti


Chanson française – Martin Néfertiti – Marco Valdo M.I. – 2017



Néfertiti en Reine,

Hiératique, proche, contemporaine





À l’origine de cette chanson, dit Marco Valdo M.I., il y a une histoire racontée par Carlo Levi dans son livre « La doppia notte degli tigli » – « La double Nuit des Tilleuls » ; un titre qui, pour celui qui sait l’interpréter, est de la plus grande clarté. Cependant, il faut le décoder.

Oh, dit Lucien l’âne en souriant, comme je connais Carlo Levi et ce qu’il a écrit, je sais de quoi il s’agit et je m’en vais te le décoder en deux temps, trois mouvements. Commençons par les tilleuls. Comme le récit de Carlo Levi est celui de son voyage en Allemagne en 1959 et que la rue la plus célèbre de Berlin et sans doute, d’Allemagne s’appelle « Unter den Linden » – « Sous les Tilleuls », j’imagine a priori qu’il s’agit de ces tilleuls berlinois, qui furent plantés pour border une allée cavalière. Quant à cette « doppia notte », cette « double nuit », il s’agit de celle qui s’abattait chaque soir sur Berlin, ville qui était divisée en deux parties respectivement dénommées Berlin Ouest et Berlin Est. Je laisse de côté le sens symbolique de cette « double nuit ».

Tu laisses de côté l’aspect symbolique, dis-tu mon ami Lucien l’âne, mais je te signale qu’en disant que tu le laisses, tu le fais ressortir encore plus. De toute façon, tu l’avais déjà évoqué dans ta réflexion. Le symbole est exactement ce que tu as rappelé de Berlin, cette double ville à la double vie, nantie d’un Est et d’un Ouest, comme l’Allemagne, double pays elle aussi en ce temps-là.De cet Est et cet Ouest, il en sera question dans la chanson, laquelle y ajoutera un Nord et un Sud. Ce qui permet de raconter l’histoire de Martin et de Néfertiti en quatre parties : Est, Ouest, Sud et Nord. Pour en revenir un instant à la partie symbolique – et comment l’ignorer s’agissant d’une histoire qui mêle le monde contemporain et la plus haute Antiquité, une histoire qui, sans le dire expressément, évoque la division du monde encore en actes aujourd’hui ; une division qui à l’époque – sur fond de potentiel nucléaire, de fusées intercontinentales et e guerre atomique potentielle se cristallisait autour de Berlin au double foyer.

J’imagine tout ça, dit Lucien l’âne. D’ailleurs, les fusées et les rumeurs de guerre atomique courent à nouveau autour de la Terre. Quant à la guerre et aux affrontements, ils n’ont jamais cessé. La folie humaine est endémique.

Soit, Lucien l’âne mon ami, prenons en note et passons outre. Ainsi, notre chanson est une histoire d’amour impossible entre la belle impératrice d’Égypte Néfertiti (morte en 1333 avant Zéro) et son soupirant éperdu (qui vit peut-être encore) dénommé Martin, tombé amoureux lors de la visite qu’il lui fit au Muséum de Berlin-Est. C’est une ballade onirique qui se balance dans la tête de Martin. Dans la tête de Martin, il y a une pensée qui sinue, s’insinue, se contorsionne, se tourne et se retourne autour de l’idée de Néfertiti, entrevue seulement sous la forme d’une sculpture et d’une tête colorée. Tout le reste est l’imaginaire de Martin en pleine révolution. Martin est hypnotisé, « stregato », ensorcelé par cette tête femme, d’il y a plus de 3000 ans.

« Néfertiti en Reine,
En déesse souveraine :
Hiératique, proche, contemporaine,
Du Nil ancienne,
Sans voile, vient
Rappeler le monde ancien »

Et toi, Marco Valdo M.I., toi qui t’entretiens avec un âne dont on ne sait quel âge il a, mais certainement plusieurs milliers d’années et quasiment chaque jour sans que cela ait l’air de te chagriner ou de te tournebouler le ciboulot, de te tourniller la comprenette. Bien plus, on dirait que tu y trouves tes aises à nos dialogues et puis, moi, je le trouve fort beau ce rêve perpétuel de Martin, on dirait qu’il joue le boléro de Néfertiti. Alors, nous, notre tâche, qu’on pourrait imaginée développée à la manière du boléro de Monsieur Ravel, composé pour une superbe danseuse russe, est de tisser sans fin, en revenant toujours sur elle-même et en s’amplifiant de son propre mouvement, telle la navette du canut, le linceul de ce vieux monde gris, ennuyeux, racrapoté, ridé et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



À l’Est, Néfertiti en petite statue,
Impératrice entièrement nue :
Seins de fille, mains sur le giron
Cuisses pleines, ventre rond,
Néfertiti, petite et nue,
Debout en petite statue.

Martin rêve d’amour
Toutes les nuits.
Jour après jour,
Au cœur de la nuit,
Toujours,
Martin songe à Néfertiti.


À l’Ouest, Néfertiti, la pharaonne
Enfant de Thoutmosis étonne :
Joconde ou Madone ?
Suave idole universelle,
Au sourire de miel,
Se pose en mystère éternel.

Martin rêve d’amour
Toutes les nuits.
Jour après jour,
Au cœur de la nuit,
Toujours,
Martin songe à Néfertiti.


Au Sud, Aménophis, Akhénaton :
Long visage, long menton,
Innovateur dissident,
Raffiné, purifié, élégant.
Néfertiti Akhénaton
Enfants incestués,
Enfants d’Aton.

Martin rêve d’amour
Toutes les nuits.
Jour après jour,
Au cœur de la nuit,
Toujours,
Martin songe à Néfertiti.


Au Nord, Néfertiti en Reine,
En déesse souveraine :
Hiératique, proche, contemporaine,
Du Nil ancienne,
Sans voile, vient
Rappeler le monde ancien.

Martin rêve d’amour
Toutes les nuits.
Jour après jour,
Au cœur de la nuit,
Toujours,
Martin songe à Néfertiti.

JE TE REMETS EN LIBERTÉ

JE TE REMETS EN LIBERTÉ

Version française– JE TE REMETS EN LIBERTÉ – Marco Valdo M.I. – 2017
d’après la version italienne (en italien courant) de Riccardo Venturi – In libertà ti lascio – 2017
de la chanson populaire milanaise du XIXe – Lombardo Milanese – « In libertà ti lascio »anonyme
Interprètes : Nanni Svampa, Enzo Jannacci



Piazza della Vetra vers 1900
(n'est-ce pas la Rina en manteau rouge ?)


Et
dit Nanni Svampa lui-même (in La mia morosa cara, Canti popolari milanesi e lombardi, Nuova Editrice, Lampi di Stampa, Milano 2007, 1a edizione 1981, p 148) : « Chanson parmi les plus belles et plus intenses concernant la « mala ». Le protagoniste, enfermé à San Vittore [grande et ancienne prison milanaise], revoit en rêve la scène au tribunal quand il a été condamné à vie. La protestation d’innocence revient souvent dans les chansons de prison des différentes régions d’Italie. Ici, il est intéressant remarquer le passage du dialecte à la langue dès qu’entre en scène le juge. Mais la conclusion tragique, le condamné la revit encore dans son dialecte : « mènell à San Vittór » (Emmenez-le à San Vittore). In libertà ti lascio est peut-être la chanson de « mala » la moins chantée et la moins trouvable dans les recueils. Même Frescura-Re [auteurs d’un recueil de chants milanais, ndr], qui ont compilé un recueil spécifiquement milanais, en citent seulement deux strophes dans l’introduction. Il faut cependant dire à propos de ce livre né en plein fascisme (1939) que toutes les chansons comportant l’un ou l’autre vers brûlants sont omises (comme celles de protestation sur les conditions de travail, par exemple). Imaginez celles sur la mala ! Certaines sont à peine citées, autres ignorées, puisqu’à ce moment, en Italie, il n’y avait ni délits ni délinquants, ni ghettos du milieu ! (La seule inoffensive « E con la cicca in bocca »« Et avec le mégot à la bouche » a eu l’honneur d’être insérée en totalité). » Le soussigné ajoute enfin ceci : malgré l’interprétation d’Enzo Jannacci et d’autres, cette chanson doit absolument tout à Nanni Svampa. [RV]


Dans le texte de la chanson, il est question de la Vetra. Riccardo Venturi y consacre une longue note que je repositionne en avant de la chanson et j’y ajoute un commentaire :
[1] Vetra : place historique de Milan (Piazza Vetra, ou Piazza Vetra de’Citadine), dans le quartier des Ticinese (Tessinois) et à brève distance, entre autres, de San Vittore. C’est la zone de la basilique de San Lorenzo et des Colonnes. Place Vetra était connue pour être une des places de la « ligera », le petit milieu milanais. Jusqu’au XIXe siècle, sur la Piazza Vetra, on exécutait même les condamnations à mort. À très peu à de distance de Piazza Vetra, en Giangiacomo Mora, s’élève même la célèbre Colonna Infame (Colonne Infâme – en fait, le pilori) ; à tout ceci, on ajoutera la proximité du Bottonuto, le quartier médiéval milanais (pratiquement collé à la place du Dôme) qui fut démoli à la fin du XIXe siècle. Nous sommes, en somme, dans un lieu hautement évocateur pour la ville de Milan et de son histoire populaire. La Place Vetra était connue même pour la présence de prostituées (voir, naturellement, La povera Rosetta) : si la femme du protagoniste de la chanson « specia sur la Vedra », la chose peut faire allusion à tout un certain monde. Le nom de la place Vetra peut être dérivé de Platea Vetera (« vieille place », mais la place est nommée pour la première fois dans un document du 1579), mais plus probablement des « vetraschi »,c’est-à-dire des tanneurs de peau, ainsi appelés parce qu’ils raclaient les peaux avec des morceaux de verres, ou bien d’un ancien cours d’eau de la zone, dit « Vepra ».

Petite note complémentaire : Si on retient, « vepra », il serait bien d’examiner l’hypothèse d’une place de la vêprée ou vesprée, où les gens se retrouvent le soir à la « vêprée » – la « passeggiata » de fin d’après-midi ou du soir. Cette vesprée de Ronsard :

Mignonne, allons voir si la rose
Qui se matin avoit déclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil. »

(Pierre de Ronsard, À ma maîtresse, dans Odes, 1550-1552)

Et « si non è vero, è ben trovato », comme on dit dans nos régions où circule un curieux bilinguisme.

Mot pour mot, on lira les divers sens de poireauter dans le Trésor de la Langue française. Certains sont assez appropriés ; notamment quand notre condamné rêve à Rina avant de s’endormir. Comprends qui peut.

Ainsi Parlait Marco Valdo M.I.


Enfermé dans ce nid à rats en compagnie des puces
Et des punaises qui ne me laissent pas dormir,
Qui ne me laissent pas dormir,

Je pense à ma femme qui poireaute à la Vetra [1].
Je rêve à elle le soir [et] je me plonge dans le sommeil,
Je me plonge dans le sommeil.

Et au tribunal, le président dit :
Jeune homme, il ne faut pas mentir mentir en vérité,
Mentir en vérité.

En vérité, la vérité, je l’ai dite : moi, je ne sais rien.
Je vous prie président de me remettre en liberté,
Me remettre en liberté.

En liberté, je te remets, les mains menottées,
Les portes bien fermées, emmenez-le à San Vittore,
Emmenez-le à San Vittore.

Et si la Rina sait que je suis condamné,
Elle donnerait sa vie pour me donner ma liberté,
Pour me donner ma liberté.


Je suis condamné à vie enfermé à San Vittore.
Je compterai les heures et les jours passeront
Et les jours passeront.