lundi 3 novembre 2014

RATHENAU


RATHENAU

Version française – RATHENAU – Marco Valdo M.I. – 2014
Chanson allemande – Rathenau – Kurt Tucholky – 1922
Kurt Tucholsky alias Theobald Tiger
Die Weltbühne, 29.06.1922, Nr. 26, S. 653.

Walther Rathenau
Peinture d'Edvard Munch  - 1907


Ah, Lucien l'âne mon ami, voici une canzone à propos de laquelle je me suis posé bien des questions.

Des questions ?, dit Lucien l'âne un peu interloqué. Et quel genre de questions ?

De plusieurs genres, en effet. D'abord, en ce qui concerne la traduction elle-même. Tucholsky, comme Kästner, n'est vraiment pas facile à comprendre… Du moins, par moi. Et langue mise à part, il me faut aussi décrypter les événements. Il faut également y ajouter les personnages qui y sont nommés ou évoqués et resituer l'ensemble.


Et cela t'ennuie ?, dit Lucien l'âne en souriant.


Pas du tout. Bien au contraire, je trouve que le fait de devoir décortiquer le texte en quelque sorte ajoute au plaisir et étend considérablement l'intérêt de la chanson. Du moins, si l'on admet la canzone ou l'art poétique comme mode d'expression de la pensée. Ce qui est bien le cas dans les Chansons contre la Guerre. Tout ceci pour indiquer qu'une telle version prend plus de temps qu'on pourrait l'imaginer. Il y faut pas mal de recherches et pas seulement, linguistiques. Pour le curieux – que je suis et que tu es, ce n’est évidemment pas un inconvénient.


Certainement. Mais, cela dit, où veux-tu en venir ?


Où je veux en venir ? Tout simplement à te donner une ou deux explications concernant des personnages de la canzone. En premier lieu, Rathenau, qui donne son titre à la canzone. Il y a là un premier mystère : le texte de la canzone est publié le 24 juin 1922 et comme tu le verras, c'est une mise en garde contre des assassins, adressée à la République juste après l'assassinat de Walther Rathenau… et on sait que Rathenau est assassiné par deux officiers nationalistes le 22 juin 1922. Au moment de son assassinat, il est ministre et sans doute, le meilleur support de la République de Weimar. C'était en effet l'homme à abattre. D'autant que dans cette Allemagne trouble et troublée, il était fort apprécié ; un million de personnes suivront des funérailles. Cet assassinat – celui du « deuxième homme », fait suite à celui de Matthias Erzberger, l'année précédente, lui aussi, ministre de la République de Weimar. Et puis, la multitude d'autres meurtres qui se développe depuis le début de cette République. En fait, en évoquant Rathenau, Tucholsky appelle cette République (Jeune femme !) à mettre fin aux « associations secrètes » ; elles sont nombreuses, ces associations et la plupart finiront par confluer dans le parti nazi. Comme on le voit, Tucholsky n'hésite à pas à désigner l'adversaire - Helfferich et les nationalistes.


Cette manière de prendre à partie la République, de l'interpeller directement, me rappelle une chanson de Léo Ferré dont tu m'avais parlé et que tu avais promis de mettre dans les Chansons contre la Guerre…


Oui, je vois laquelle, celle qui s'intitule La Gueuse et je le ferai prochainement… Mais les jours passent trop vite, les heures et les minutes aussi et ici, il y a tant de choses à faire. Pour l'instant, j'en reviens à Tucholsky et à cette chanson si prémonitoire. On dirait qu'il lui arrive ce qui est arrivé à Cassandre.


Tu ne saurais mieux dire… Mais quand donc se décidera-t-on à écouter les Cassandres ? Quand donc se décidera-t-on à en finir avec cette Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres ? En attendant, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde inconscient, complice de sa propre destruction, assassin de lui-même et cacochyme.



Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.




Tu y es quand même déjà habituée !
Tu sais bien, ce qu'il en est, de tes jeunes
Allemands-nationaux quand une chose ainsi arrive.
Ils tirent. Karlchen Helfferich toujours à te moquer.
C'est depuis des années ta politique –
Ta république !

Tu as quand même de la pratique, jeune femme !
Les célébrations mortuaires te vont comme un gant.
Les protestations retentissent. Les nécrologues déclament.
Et après, tu es la même maline, absolument.

Combien de temps vas-tu encore te fier à Helfferich ?
Lui qui de Moscou, quand on a fait un putsch,
Les poches pleines dans la patrie est rentré,
A maudit, dénoncé, précipité,
Dans la tombe le deuxième homme.
Et tandis qu'une mère âgée tremble,
Il siège au Parlement.
Et il vit.

Ce n'était quand même pas la première fois !
Tu as entendu les bonzes du Parti
Au Reichstag et au Landtag pousser des cris :
«  Un scandale ! Ça ne peut plus continuer ainsi !»
Sera-ce la dernière fois ?

Lève-toi donc ! Frappe, cogne !
N'attends pas quatorze jours encore !
Finis-en avec ces juges monarchistes,
Ces officiers – et avec cette vermine,
Qui vit de toi, et qui te sabote,
Qui, sur ta maison, peint des croix gammées.

Mets les associations secrètes en pièces !
Lie les mains des Ludendorff et des Escherich !
Ne te laisse pas berner par l'armée !
Elle doit s'adapter à la République.
Frappe ! Frappe ! Tiens-la solidement serrée !
Ils se dégonflent tous. Car il n'y a là aucun homme.


Seulement il y a des tireurs embusqués. Protège-toi bien –
Ta maison brûlera, si tu laisses le feu s'entretenir.
Rompre le filet qui te tient.
Ne tombe pas. Il faut réussir !
– Dieu sait, si c'est assez ces quatre ans de meurtre
Tu es face à ton dernier choix.
Montre ce que tu es. Cesse de peser le pour et le contre.
Mourir ou combattre !
Il n'y a pas de troisième voie.