RATHENAU
Version
française – RATHENAU – Marco Valdo M.I. – 2014
Chanson
allemande – Rathenau – Kurt Tucholky – 1922
Kurt
Tucholsky alias Theobald Tiger
Die Weltbühne, 29.06.1922, Nr. 26, S. 653.
Die Weltbühne, 29.06.1922, Nr. 26, S. 653.
Walther Rathenau Peinture d'Edvard Munch - 1907 |
Ah,
Lucien l'âne mon ami, voici une canzone à propos de laquelle je me
suis posé bien des questions.
Des
questions ?, dit Lucien l'âne un peu interloqué. Et quel
genre de questions ?
De
plusieurs genres, en effet. D'abord, en ce qui concerne la traduction
elle-même. Tucholsky, comme Kästner, n'est vraiment pas facile à
comprendre… Du moins, par moi. Et langue mise à part, il me faut
aussi décrypter les événements. Il faut également y ajouter les
personnages qui y sont nommés ou évoqués et resituer l'ensemble.
Et
cela t'ennuie ?, dit Lucien l'âne en souriant.
Pas
du tout. Bien au contraire, je trouve que le fait de devoir
décortiquer le texte en quelque sorte ajoute au plaisir et étend
considérablement l'intérêt de la chanson. Du moins, si l'on admet
la canzone ou l'art poétique comme mode d'expression de la pensée.
Ce qui est bien le cas dans les Chansons contre la Guerre. Tout ceci
pour indiquer qu'une telle version prend plus de temps qu'on pourrait
l'imaginer. Il y faut pas mal de recherches et pas seulement,
linguistiques. Pour le curieux – que je suis et que tu es, ce n’est
évidemment pas un inconvénient.
Certainement.
Mais, cela dit, où veux-tu en venir ?
Où
je veux en venir ? Tout simplement à te donner une ou deux
explications concernant des personnages de la canzone. En premier
lieu, Rathenau, qui donne son titre à la canzone. Il y a là un
premier mystère : le texte de la canzone est publié le 24 juin
1922 et comme tu le verras, c'est une mise en garde contre des
assassins, adressée à la République juste après l'assassinat de
Walther Rathenau… et on sait que Rathenau est assassiné par deux
officiers nationalistes le 22 juin 1922. Au moment de son
assassinat, il est ministre et sans doute, le meilleur support de la
République de Weimar. C'était en effet l'homme à abattre. D'autant
que dans cette Allemagne trouble et troublée, il était fort
apprécié ; un million de personnes suivront des funérailles.
Cet assassinat – celui du « deuxième homme », fait
suite à celui de Matthias Erzberger, l'année précédente, lui
aussi, ministre de la République de Weimar. Et puis, la multitude
d'autres meurtres qui se développe depuis le début de cette
République. En fait, en évoquant Rathenau, Tucholsky appelle cette
République (Jeune femme !) à mettre fin aux « associations
secrètes » ; elles sont nombreuses, ces associations et
la plupart finiront par confluer dans le parti nazi. Comme on le
voit, Tucholsky n'hésite à pas à désigner l'adversaire -
Helfferich et les nationalistes.
Cette
manière de prendre à partie la République, de l'interpeller
directement, me rappelle une chanson de Léo Ferré dont tu m'avais
parlé et que tu avais promis de mettre dans les Chansons contre la
Guerre…
Oui,
je vois laquelle, celle qui s'intitule La Gueuse et je le ferai
prochainement… Mais les jours passent trop vite, les heures et les
minutes aussi et ici, il y a tant de choses à faire. Pour l'instant,
j'en reviens à Tucholsky et à cette chanson si prémonitoire. On
dirait qu'il lui arrive ce qui est arrivé à Cassandre.
Tu
ne saurais mieux dire… Mais quand donc se décidera-t-on à écouter
les Cassandres ? Quand donc se décidera-t-on à en finir avec
cette Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres ?
En attendant, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce
vieux monde inconscient, complice de sa propre destruction, assassin
de lui-même et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Tu y es quand même déjà habituée !
Tu sais bien, ce qu'il en est, de tes jeunes
Allemands-nationaux quand une chose ainsi arrive.
Ils tirent. Karlchen Helfferich toujours à te moquer.
C'est depuis des années ta politique –
Ta république !
Tu as quand même de la pratique, jeune femme !
Les célébrations mortuaires te vont comme un gant.
Les protestations retentissent. Les nécrologues déclament.
Et après, tu es la même maline, absolument.
Combien de temps vas-tu encore te fier à Helfferich ?
Lui qui de Moscou, quand on a fait un putsch,
Les poches pleines dans la patrie est rentré,
A maudit, dénoncé, précipité,
Dans la tombe le deuxième homme.
Et tandis qu'une mère âgée tremble,
Il siège au Parlement.
Et il vit.
Ce
n'était quand même pas la première fois !
Tu as entendu les bonzes du Parti
Au Reichstag et au Landtag pousser des cris :
« Un scandale ! Ça ne peut plus continuer ainsi !»
Sera-ce la dernière fois ?
Tu as entendu les bonzes du Parti
Au Reichstag et au Landtag pousser des cris :
« Un scandale ! Ça ne peut plus continuer ainsi !»
Sera-ce la dernière fois ?
Lève-toi donc ! Frappe, cogne !
N'attends pas quatorze jours encore !
Finis-en avec ces juges monarchistes,
Ces officiers – et avec cette vermine,
Qui vit de toi, et qui te sabote,
Qui, sur ta maison, peint des croix gammées.
Mets
les associations secrètes en pièces !
Lie les mains des Ludendorff et des Escherich !
Ne te laisse pas berner par l'armée !
Elle doit s'adapter à la République.
Frappe ! Frappe ! Tiens-la solidement serrée !
Ils se dégonflent tous. Car il n'y a là aucun homme.
Lie les mains des Ludendorff et des Escherich !
Ne te laisse pas berner par l'armée !
Elle doit s'adapter à la République.
Frappe ! Frappe ! Tiens-la solidement serrée !
Ils se dégonflent tous. Car il n'y a là aucun homme.
Seulement
il y a des tireurs embusqués. Protège-toi bien –
Ta maison brûlera, si tu laisses le feu s'entretenir.
Rompre le filet qui te tient.
Ne tombe pas. Il faut réussir !
– Dieu sait, si c'est assez ces quatre ans de meurtre
Tu es face à ton dernier choix.
Montre ce que tu es. Cesse de peser le pour et le contre.
Mourir ou combattre !
Il n'y a pas de troisième voie.
Ta maison brûlera, si tu laisses le feu s'entretenir.
Rompre le filet qui te tient.
Ne tombe pas. Il faut réussir !
– Dieu sait, si c'est assez ces quatre ans de meurtre
Tu es face à ton dernier choix.
Montre ce que tu es. Cesse de peser le pour et le contre.
Mourir ou combattre !
Il n'y a pas de troisième voie.