vendredi 13 septembre 2013

L'HOMME, LA FEMME ET LA FLEUR

L'HOMME, LA FEMME ET LA FLEUR

Version française – L'HOMME, LA FEMME ET LA FLEUR – Marco Valdo M.I. – 2013
Chanson italienne – L'uomo, la donna e il fiore – Quartetto Cetra – 1968

Texte et musique d' Anton Virgilio Savona et "Tata" Giacobetti
Récit : Anton Virgilio Savona
Du spectacle: "Non cantare, spara!"
Transcrite à l'oreille (merci à Giorgio pour ses opportunes corrections)







L'importance du Quartetto Cetra. Ils faisaient, à quatre, des chansons d'« amusement » ; mais ils le faisaient avec un style inimitable, humoristique et souvent plein d'humour noir. Entre les lignes, ensuite, ils étaient capables de dire beaucoup de choses. Ainsi dans cette « chansonnette », inspirée explicitement d'une « parabole » de l'écrivain et du journaliste américain James Thurber (1894-1961). Nous avons cherché un peu, et nous avons découvert que la « parabole » est en réalité un récit intitulé The Last Flower ; il l'écrivit en 1939. Exactement l'année où éclata la II guerre mondiale dont ... et nous ne croyons pas que ce soit un hasard. Une « canzoncina » dans laquelle est décrite, avec des mots très simples, la tendance éternelle de l'humanité à s'étriper ; et nous craignons que, tôt ou tard, ne resteront même pas cet homme, cette femme et cette fleur pour recommencer. Dans la chanson, avec les chiens et avec les lapins, ils semblent presque s'avertir des échos même d'un chef-d'oeuvre de la science-fiction, City de Clifford D. Simak (traduit en français sous le titre « Demain les chiens »).




Voilà donc un commentaire très informé et diablement utile. Je l'ai traduit pour ces raisons et aussi, pour en corriger un peu la perspective. Cependant, une petite remarque d'ordre littéraire... Il me semble que le roman de Simak reprend assez bien un roman français peu connu (du moins maintenant) d'Ernest Pérochon, publié en 1925 et intitulé « Les Hommes Frénétiques ». Il y était question de l'auto-massacre de l'humaine nation et d'un recommencement par deux jeunes gens avec l'aide des chiens. Et tout à trac, Lucien l'âne mon ami, toi qui as mille fois plus d'expérience que je ne pourrai jamais en avoir et un avis nettement plus fondé que le mien, penses-tu qu'on puisse ranger cette chanson dans les « chansonnettes », dans les « canzoncine »...


Ah, dit Lucien l'âne en ouvrant des yeux galactiques, laisse-moi le temps de l'entendre et je te dirai...


Et alors, tu l'as entendue, tu l'as même lue, qu'en penses-tu ?


D'abord, dit Lucien l'âne en s'ébrouant comme Modestine au sortir d'un gué profond des Cévennes, j’insiste pour que l'on ne me prenne pas pour un vieux barbon, ni pour une autorité en quelque matière que ce soit. Certes, j'affirme cependant que mon avis est mon avis, que j'y tiens et que je le partage... De plus, très volontiers avec toi. Bref, je ne suis pas, non, certes non... un âne normand qui dodeline de la tête (et au demeurant, de quoi d’autre pourrait-il dodeliner ?) pour dire un coup oui, un coup non et te regarder d'un air effaré pour signifier ni oui, ni non.

Oui, mais la chanson ? Car Lucien l'âne mon ami, tu t'égares, tu vas là vaguant on ne sait où, dodelinant, si, si, dodelinant tel un âne normand de ton crâne si large et si noir et balançant les oreilles dans la perplexité du monde. Tu t'égares, tu t'égares et je ne te suis plus. Reviens si tu le peux à ton sentiment à propos de cette chansonnette, de cet homme, de cette femme et de cette fleur.


Et bien, ça tombe bien que tu me pousses dans ce sens ; il y a longtemps que je voulais dire certaine chose et je vais la dire ; d'autant qu'elle répond à ta question. Mais dès lors, garde à l’esprit que ce qui sera dit ici a valeur exemplative et somme toute, générale. Si l'on veut avoir un avis à propos d'une chanson, on peut l'écouter, mais l'écoute est trompeuse. Dans le cas qui nous occupe, si l'on s'en tient à une écoute superficielle, qui est celle qu'on a « en passant », elle a bien l'air d'une « canzoncina », telle qu'on la faisait à son époque – avant 1970. Mais ensuite, il faut se demander qui chante... Par exemple. Et là, s'agissant du Quartetto Cetra, il convient de se demander si cette apparente « canzoncina » ne serait pas dotée d'un accompagnement musical à l'acide parodique. En fait, elle l'est. Elle ressemble à s'y méprendre à la production de chansons légères de l'époque, à ce qui dégoulinait de toutes les radios, à la purée et au brouet que servaient les télévisions, aux prestations lamentables qui s'affrontaient dans les concours. Et si de plus, on lit le texte – et c'est là l'essentiel, on découvre qu'il s'agit là d'une grande chanson camouflée en « canzoncina ».


C'était bien mon idée et la raison pour laquelle je t'avais posé la question. Pour le reste, je veux dire sur le fond, on était au temps de la confrontation atomique et la disparition de l'humaine nation paraissait plausible et devoir résulter d'une explosion ou d'une série d'icelles. Il n'en a rien été, car dans la Guerre de Cent Mille Ans, il n'est nullement question de détruire l'humanité entière, il faut juste s'en assurer le contrôle et l'exploitation. Dès lors, la guerre est plus rusée et plus complexe qu'il n'y paraît et elle n'est pas pressée d'atteindre la fin de ses Cent Mille Ans. Prenons les conflits en cours, ceux qui font la une des journaux, ceux où on s'étripe, on s'empoisonne, on s'incendie, on se bombarde... Ce sont des événements périphériques qui détournent l'attention de la vraie dimension du massacre. Certes, ils sont épouvantables et désolants, mais ils font tous comptes faits peu de victimes. Leurs ravages sont limités si on les compare à la faim, à la soif, par exemple ou à la maladie ou à la misère ou aux guerres locales et occultes ou en tous cas, occultées. Là, peu de matamores, peu de roulements de tambours médiatiques... Juste la mort ou l'horreur au quotidien. Dans le silence des nations et même, ces ravages sont couverts par le voile pudique de la paix. Dans ce que j'ai appelé les « conflits en cours » se pose la question « faut-il combattre la guerre par la guerre ? ».... Oh, je vois ton regard... Ce n'est pas moi qui pose cette question... Elle est dans tous les journaux, dans tous les discours... Question rhétorique, s'il en est. Mais, la vraie question paradoxale seulement en apparence, c'est « Peut-on combattre la paix ? ». Dans la Guerre de Cent Mille Ans, la paix et la guerre sont des états d'un même processus et de surcroît des états intermédiaires, secondaires, anecdotiques par rapport à cette Guerre que les riches font aux pauvres afin d'asseoir leur domination, d'étendre leur dominium, de renforcer leur pouvoir, de multiplier leurs profits, de... Regarde ce qu'ils font aux Grecs... Ils sont en train de les détruire, de les réduire en esclavage par la paix. Orwell avait bien vu : « La Guerre, c'est la Paix »


Et inversement, dit Lucien l'âne avec une gravité de circonstance. Et puis, quand tu dis « regardez ce qu'ils font aux Grecs », il faut évidemment comprendre aussitôt : « Ils vous le feront bientôt ». On annonce des dizaines de millions de miséreux en Europe – en plus des existants et dans le même temps, on se félicite de l'accroissement des richesses des riches et on répète à l'infini que l'Europe est en paix. Quant à la disparition de l'espèce humaine, de l'humaine nation... Elle est probable ou disons que la probabilité qu'elle se perpétue éternellement est faible, ne fût-ce que parce que le système solaire et donc, la Terre, sont périssables.


Sauf peut-être, et on retrouve ici la morale de la chansonnette,

« La destruction fut ainsi complète et dans ce malheur
De flammes et de ruines, se sauvèrent par bonheur :
Un homme, une femme et une fleur. »

sauf peut-être donc si un petit groupe arrive à sortir de notre espace clos et à recommencer l'aventure quelque part dans un lointain lontanissime.


Admettons, dit l'âne Lucien en rejetant d'un joli mouvement du menton son oreille gauche vers le soleil, mais que deviendront les ânes ? Et puis, il ne faudrait pas que ce soit là le début de l'éternel retour...


On divague, on divague..., Lucien l'âne mon ami.


Moi, ça me plaît assez de divaguer ainsi, mais en attendant la fin de l'espèce, de la planète, du système et de la galaxie, quand ce ne serait pas de l’univers entier... Que sais-je ? Et puis, la guerre, la guerre, on n'a pas que ça à faire... Abrégeons, coupons court et reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde guerrier, belliqueux, pacifique, mortel, avide, assassin, autodestructeur et cacochyme.



Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Récité :

En promenant le regard sur les étagères d'une bibliothèque,
Nous avons trouvé un livre de James Thurber ;
Et parmi tant de paraboles de cet écrivain américain,
Nous avons voulu en mettre une en musique.
Pour mieux la comprendre, vous devez supposer
Qu'elle n'a pas été composée aujourd'hui, mais dans un
Futur fort lointain, c'est-à-dire environ, en l'an 5000.


L'histoire conte qu'en Cinq mille toute la civilisation
Fut détruite par une grande guerre : pauvre humaine nation !
Chaque ville disparut de la Terre, tout s'effaça,
Bois et villages furent incendiés, les cendres seules il resta.

Hommes et femmes, jeunes et vieux, êtres de toutes conditions
Étaient diminués, débiles : pauvre humaine nation !
Les chiens voulurent se débarrasser de leurs maîtres,
Et les lapins, devenus audacieux, commandèrent.

De la peinture, il ne resta rien ; de la poésie, rien ne resta
On ne put rien sauver, et l'homme s'ennuya.
Les adolescents et les jeunettes ne se regardaient plus,
L'amour sur la Terre n'existait plus !



Récité :

Et ensuite qu'advint-il ? Il advint qu'une fillette trouva
Une chose qu'elle n'avait jamais vue : une fleur.
La dernière fleur. Et s'aperçut qu'elle était en train de mourir.
Elle le dit à tout le monde, mais l'unique qui l'écouta
Fut un jeune homme qu'elle rencontra par hasard.


Les deux jeunes, instinctivement, ranimèrent la fleur
De cette fleur naquit une autre fleur, naquirent milles fleurs !
Abeilles et papillons sur les corolles recommencèrent à voler,
Les campagnes de chaque continent se mirent à bourgeonner.

Vint la pluie, et la fillette dans l'eau se mira
Elle se vit très belle, il la regarda, et doucement l'embrassa…
Naquit l'amour, dans le monde entier, tout se réveilla,
Et les enfants coururent heureux, riant insouciants ici et là



Récité :


Et les chiens retournèrent chez leurs maîtres,
Le jeune mit une pierre sur l'autre.
Et tous mirent une pierre sur l'autre !
Naquirent des maisons ; naquirent des villages ; naquirent des villes !

Musiques et chants, mille jongleurs, chimistes et inventeurs
Couturiers et drapeaux, médecins et avocats prirent place encore !
Gardes, soldats, caporaux, majors et grades supérieurs
Grands généraux, grands maréchaux et le grand Libérator

Ils choisirent la place où habiter, sur la colline, sur le bord de la mer
Chaque région se peupla, et on dressa les bannières...



Sur un rythme de marche militaire :

Ceux qui vivaient sur les collines 
Descendirent vers la mer
[bruits de guerre et de bataille]

Ceux de la mer, pour changer d'air,
S'en allèrent occuper les collines …

Ainsi après tant de temps, tant de paix sereine,
Ils reprirent le jeu de la guerre entre les collines et les plaines !
La destruction fut ainsi complète et dans ce malheur
De flammes et de ruines, se sauvèrent par bonheur :


Un homme, une femme et une fleur.