La Ville en feu
Chanson française – La Ville en feu (chant 3) – Marco Valdo M.I. – 2020
Petit journal d’exploration, souvenir du Voyage en Laponie de Carl von Linné, du monde créé par Terry Pratchett à partir du travail fabuleux de son traducteur en français Patrick Couton.
Dialogue Maïeutique
Pour débuter une exploration d’un monde, que dès lors par définition, on ne connaît pas, dit Marco Valdo M.I., rien de tel que de se rendre dans sa capitale ou ce qui en tient lieu. En l’occurrence, Ankh-Morpork. Évidemment, je suis sûr que tu en conviendras et même que tout le monde en conviendrait, voir flamber la mégapole dès qu’on l’approche n’est pas ce qu’il y a de plus réjouissant.
En effet, dit Lucien l’âne, je me souviens ainsi de mon arrivée par-dessus les collines du Latium et d’avoir vu Rome habillée de flammes. C’était un spectacle étonnant. Je pense d’ailleurs que c’était ce côté spectaculaire qui était la raison pour laquelle l’Empereur Néron, un peu fêlé de la cafetière, avait ordonné cette réjouissance pyrotechnique. Ce n’était pourtant pas le premier incendie que je voyais. Il y en a eu tant tout au travers des temps. C’est d’ailleurs une pratique fort répandue et des plus générales d’incendier les villes pour punir les habitants d’avoir voulu se défendre.
Tout cela est exact, Lucien l’âne mon ami, mais en l’occurrence, il ne s’agit pas ici d’une action militaire ou répressive, mais comme on le verra d’un accident fortuit. Pour en revenir à la chanson, je ne pensais pas la faire aussi vite, mais on sait comment ça va avec l’inspiration. Il peut se passer des mois avant qu’elle paraisse et parfois, elle est là pressante qui frappe à la porte. Ici, elle succède aux deux précédentes : L’exploration du Disque-Monde et La Ville-Mère ; elle raconte l’énorme cataclysme de cette ville brûlée ; l’incendie d’une ville de près ou de plus d’un million d’habitants, ce n’est pas rien et ça ne passe pas inaperçu. Maintenant, je crois avoir trouvé l’événement et le tableau qui en est la représentation qui ont inspiré ce récit de l’incendie d’Ankh-Morpork. Selon moi, ce serait l’incendie de Londres de 1666 et le tableau serait celui qu’en fit le peintre hollandais Lieve Pietersz Verschuier (Rotterdam – 1627-1686), lequel vivait à ce moment-là à Londres. L’incendie qui s’étendit durant trois jours détruisit les quartiers populaires, où il avait pris naissance ; il entraîna une fuite massive des populations.
D’après ce que tu m’en dis, Marco Valdo M.I. mon ami, et à voir le tableau du Grand incendie de Londres, il me semble en effet que ce serait bien ce grand feu-là qui aurait servi de modèle pour décrire celui d’Ankh-Morpork. Cela dit, je confirme ce que tu notes dans la chanson, à savoir que lors de telles catastrophes, les gens – enfin, une très grande partie d’entre eux – perdent la tête et la raison et se mettent (à mon sens un peu tard) à invoquer les secours de la religion et du Dieu, des Dieux ou de n’importe quelle entité tout aussi imaginaire.
Une dernière anecdote, Lucien l’âne mon ami, avant de te laisser conclure. Elle concerne celui par qui cet accident tragique est arrivé, car on connaît l’origine involontaire de ce brasier londonien et son auteur, un certain Thomas Farynor, qui était le boulanger du roi Charles II, revenu de France. Thomas s’était endormi en laissant en laissant son four allumé et dans la nuit, le feu s’est activé et répandu aux environs et de proche en proche à une grande partie de la ville. Il a fallu faire sauter des quartiers entiers pour parer à cette extension incoercible.
Eh bien, dit Lucien l’âne, il ne reste qu’à lire la chanson et ensuite, tisser encore et toujours le linceul de ce vieux monde chaud, trop chaud, brûlant, torride, enfumé, toxique et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Un embrasement sauvage ravage
La plus ancienne cité du monde.
Dans une infernale ronde,
Le feu s’enrage.
La pauvre Morpork brûle,
L’incendie gronde.
De l’autre côté du fleuve,
Ankh la riche se calfeutre.
L’incendie peint d’octarine, la huitième couleur,
Le ciel, le fleuve, la ville, toutes les maisons.
Les gens perdent la tête, égarent leur raison :
Ils implorent un Dieu sauveur.
Au port tout entier flambant,
Tout le monde se barre
Et largue les amarres.
Les bateaux s’en vont fumant.
Dans la ville-mère,
Insoucieuse des calamités,
C’est soudain la guerre
Et la fin de la tranquillité.
L’effroi naît de la flamme,
Tous fuient : hommes, femmes, rats.
Personne ne comprend le drame,
Chacun espère qu’il s’en sortira.
Dans l’exubérante fumée du feu de joie,
L’air, courageusement, flamboie.
Et s’élève alors très très haut
En une colonne noir corbeau.
Une marée sombre et rougeoyante
Vomit une vapeur brûlante.
Des collines lointaines, il semble
Que l’horizon tout entier tremble.