dimanche 4 novembre 2018

La Maumariée

La Maumariée

Chanson française – La Maumariée – Anne Sylvestre – 1968

Paroles et musique : Anne Sylvestre – 1968
Écrite pour Serge Reggiani en 1968 et interprétée pour la première fois à Bobino (Paris) – 1968


Anne Sylvestre : https://www.youtube.com/watch?v=0p8SzaULmg8
Serge Reggiani : https://www.youtube.com/watch?v=u5-u3JjE7eA








Dialogue Maïeutique

Vois-tu, Lucien l’âne mon ami, j’ai toujours du mal à commenter certaines chansons d’Anne Sylvestre ou de Barbara.

Qu’est-ce que tu me chantes là, Marco Valdo M.I. mon ami ? Du mal et pourquoi donc ?

Du mal, mon ami Lucien l’âne, car leurs chansons, leur voix, leur ton, que sais-je, tout ça à la fois, ça me fait mal. Une douleur profonde, insinuante et pénétrante, rien que d’y penser et dont je n’arrive pas à me dépêtrer et si j’ai le malheur de les écouter, c’est pire encore. Oh, ce n’est pas que je ne les aime pas ; à vrai dire, je les aime trop et l’émotion, telle une cascade sauvage et gigantesque se déverse en moi et m’emporte sans que j’y puisse rien faire.

Et alors, Marco Valdo M.I., qui t’oblige à les écouter ou même, à t’en souvenir ?

Personne, ni rien, Lucien l’âne mon ami, elles s’invitent toutes seules. Soudain, elles sont là. D’aucuns disent que ce sont des chansons sorcières et je le croirais volontiers, mais malgré tout, ce sont de bonnes sorcières. Ah, si je commence à les écouter, il me faut me faire violence à moi-même pour m’en échapper. Ce ne sont pas les seules, évidemment ; c’est comme ça avec tant de chansons. Celles de Brassens, Ferré, Brel, Lapointe et d’autres me prennent aussi la mémoire et me poursuivent des heures, des jours durant, mais elles ne font pas ce mal-là. Elles ne me noient pas dans cette mélancolie qui m’enveloppe comme une brume de novembre. Tiens, c’est comme le dimanche soir, ça me fout le bourdon.

Voilà qui est déroutant, dit Lucien l’âne ; Cependant, qu’en est-il de la chanson elle-même ?


Pour ce que j’en sais, elle serait une réminiscence de chansons anciennes, d’histoires qui se sont transmises de femme en femme dans les provinces lointaines du Québec ou de n’importe quel village de n’importe quelle province. C’est l’histoire finalement banale d’une femme mal mariée, mariée contre son gré, mariée de force… Comme ça s’est toujours fait et ça se fait encore dans les sociétés patriarcales où la coutume, quand ce n’est pas la loi, ou un Dieu ou un prophète ramène la femme à moins qu’un homme et lui impose la soumission aux mots de la tribu. Certaines femmes sont patientes, certaines s’en accommodent – ce sont les plus résistantes ; d’autres mettent fin au supplice en se suicidant – ce sont les plus douces. La maumariée de la chanson est de celles-là.

Oh, dit Lucien l’âne, quelle triste histoire ! Elle a dû se demander comme Caussimon et Ferré après lui :

« …si c’est utile et surtout,
Si ça vaut le coup,
Si ça vaut le coup,
De vivre sa vie. »

Cela dit, il me semble qu’il existe déjà une « autre maumariée[[41577]] » au destin guère meilleur. Pour le reste, même si elle doit t’écorcher vif, écoutons cette chanson et puis, pour te consoler, tissons le linceul de ce vieux monde mélancolique, triste, sinistre et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Maumariée, oh maumariée !
Quand ils t’ont trouvée,
Si blanche et dorée,
Blonde, blonde, blonde.
Maumariée, oh maumariée !
Quand ils t’ont trouvée noyée
Dans le courant,
Entre tes draps de mousse,
Dans le courant,
Les yeux fermés, si douce,
Comme un jardin de fleurs,
Comme un jardin
Saccagé par l’orage,
Comme un jardin,
Comme une fleur sauvage,
Tu fuyais ton malheur
Entre deux eaux,
Entre deux eaux.

Et j’étais là, moi,
J’étais là,
Inutile et vain,
Avec mes deux mains.
Imbécile et froid,
Avec mes deux bras,
Avec tout mon corps
Qui regrette encore,
Maumariée,
Je t’aurais consolée.
Moi, maumariée,
Que j’aurais su t’aimer.

Et tous les hommes qui sont là
T’auraient ouvert portes et bras,
Tous auraient voulu empêcher
Cet irrémédiable péché.
Toi si blonde, maumariée,
Toi si blonde, mal aimée.

Maumariée, oh maumariée !
Quand tu t’es sauvée,
Si blanche et dorée,
Blonde, blonde, blonde,
Maumariée, oh maumariée,
Quand tu as désespéré,

Ne pouvais–tu,
Ne pouvais–tu m’attendre,
Ne pouvais–tu,
À cet instant comprendre
Que je courais vers toi,
Que je courais
Comme vers une source,
Ignorant que ma course
Me conduisait là–bas
Au bord de l’eau,
Au bord de l’eau

Et je suis là, moi,
Je suis là,
Avec mes deux mains
Qui ne tiennent rien.
Ton image en moi
Qui ne s’en va pas,
Avec tout mon corps
Qui regrette encore,
Maumariée.
Jamais je n’oublierai,
Moi, maumariée
Que j’aurais pu t’aimer.

Maumariée, oh maumariée,
Quand ils t’ont trouvée,
Si blanche et dorée,
Blonde, blonde, blonde, blonde, blonde…

Le Pont de Mons



Le Pont de Mons


Chanson française – Le Pont de Mons – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux –
104
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel –
IV, IX)






Dialogue Maïeutique

Sache, Lucien l’âne mon ami, si tu ne le sais déjà, qu’après le mariage, la vie continue, pour Nelle et Till comme pour tous ceux qui sont unis par cette vénérable coutume.

Qu’y faire, dit Lucien l’âne en riant. Nul ne peut échapper à cette dérive du temps, nul ne peut l’arrêter, même le plus heureux des événements.

Si je te dis ça, enchaîne Marco Valdo M.I., ce n’est pas que j’aie la moindre intention de philosopher à propos de cette curieuse habitude de se marier, mais simplement pour faire le raccord avec le moment où la dernière chanson avait laissés Nelle et Till. Donc, les aventures continuent et avec les Gueux des Mers, Nelle, Till et Lame poursuivent la lutte contre la présence espagnole et ses alliés ecclésiastiques. Je ne dis pas catholiques, car il faut – comme le fait Till lui-même et comme le fait le Prince de liberté – ici faire la distinction entre d’un côté, les gens qui vivent dans les Pays, qui peuvent être de telle ou telle confession ou sans confession du tout, et donc en ce compris les « catholiques » (généralement par tradition ou par habitude, mais gens de mœurs pacifiques et peu soumis aux idées et aux pratiques de l’Inquisition et peu désireux de nuire à leurs voisins fussent-ils d’une autre confession ou simplement, indifférents ou sans appartenance religieuse ou athées) et de l’autre côté, l’écrasante machine de domination qu’est l’Église catholique.

Permets-moi, Marco Valdo M.I. mon ami, avant d’en venir à la suite, juste une petite remarque personnelle « à propos de cette curieuse habitude de se marier ». Ne l’as-tu pas pratiquée toi aussi ? À ce qu’il me semble, ce fut bien le cas. Cela dit…

Lucien l’âne mon ami, là, je t’arrête à mon tour un instant pour te faire remarquer que le fait de l’avoir pratiquée moi aussi fait tout simplement que je peux parler d’expérience. En somme, je te donne un avis d’expert.

Pour cette matière, dit Lucien l’âne, je pense que les experts ne manquent pas. Mais revenons à ta nouvelle chanson et à ce curieux « pont de Mons ». De quoi s’agit-il ?

Tu fais bien, Lucien l’âne mon ami, de recentrer l’attention sur le pont de Mons, dont je m’empresse de te dire deux mots. Pour ce qui est du pont lui-même, il s’agit d’un pont-levis, qui placé par-dessus les douves, devant une des portes de la ville, permet lorsqu’il est baissé l’accès à la cité et relevé, empêche le passage. Donc, tu en déduiras facilement que Mons, ville principale et chef-lieu du Hainaut, est à cette époque une ville fortifiée, entourée de remparts et de douves, dont on trouve traces encore aujourd’hui dans les boulevards circulaires qui l’entourent. Il reste encore dans le vocabulaire « mémoriel » des cités contemporaines cette expression « intra muros » qui désigne le « centre ville ».
Dans cette guerre de libération, comme on a pu le lire ici, il y eut pour les Gueux sur terre tant de victoires et tant de défaites ; il y eut un moment où s’accumulaient les victoires et puis, faut de moyens, la révolte fut écrasée par les troupes espagnoles. C’est alors que le mouvement des Gueux prit la mer.
La victoire des Gueux de terre, si je peux les nommer ainsi, à Mons était une prise capitale, qui fut rapidement contrariée par la suite. C’était dans les débuts de cette longue guerre en l’an 1572. Elle montre toute l’étendue de cette guerre des Gueux qui s’étendait sur un territoire qu’on pourrait appeler aujourd’hui le cœur de l’Europe. J’avais déjà fait remarquer également qu’il s’agit d’une épopée fluviale où apparaissent l’Yser, la Lys, l’Escaut, la Sambre, l’Oise, la Meuse, le Rhin, l’Ems… Et puisqu’il s’agit de Mons, laquelle est située au confluent de la Haine et de la Trouille, on les ajoutera.

Oui, tout ça est bien intéressant, dit Lucien l’âne, mais quand même, la chanson…

Eh bien, Lucien l’âne mon ami, elle raconte l’exploit cavalier par lequel les Gueux, conduits par Louis de Nassau, frère du prince de Liberté, ont enlevé la ville aux Espagnols. C’est un bond superbe d’un genêt sur le pont qui se relevait et qui le rabattit et ouvrit ainsi la porte de la ville aux Gueux. Le reste est chanté par Till (accompagné au tambour par Lamme et au fifre, par Nelle) à la demande des Gueux de mer, à la fin d’un repas de fête. Enfin, tu remarqueras qu’elle est plus longue et n’a pas la même structure que les autres chansons de la Légende, car j’ai repris intégralement la chanson de Till.

Voyons voir et tissons les linceul de ce vieux monde inquiet, inquiétant, intolérant, fanatique et cacochyme.

Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Till, Lamme et Nelle, le joyeux escadron,
Aux couvents reprennent le bien du pays
Que par romaines momeries et processions,
Les gens de l’Église au peuple avaient pris.

L’argent ainsi récupéré
Donne des armes à la liberté
Et c’est droit de guerre
Pour ceux qui n’en ont guère.

Lamme ramène saucissons et jambons,
Volailles, oies, dindes, poules, poulets et chapons
Et après lui, au bout d’une corde ecclésiastique
Il traîne les veaux et les porcs monastiques.

La jubilation s’empare des Gueux de mer.
Et dans la joie, ils requièrent au dessert
La chanson du pont de Mons, la victoire ;
Till chante ; Lamme et Nelle rythment l’histoire.


Le Pont de Mons


« Où sont tes piétons ou les cavaliers ?
Ils sont au bois, égarés, foulant tout :
Railles sèches, muguets en fleurs.
Monsieur du Soleil fait reluire
Leurs faces rouges et guerrières,
Les croupes luisantes de leurs coursiers ;
Le comte Ludwig sonne du cor :
Ils l’entendent. Doucement battez le tambour.

Au grand trotton, bride avalée !
Course d’éclair, course de nue ;
Trombe de fer cliquetant ;
Ils volent, les lourds cavaliers !
En hâte ! En hâte ! À la rescousse !
Le pont se lève… De l’éperon
Au flanc saignant des destriers !
Le pont se lève : ville perdue !

Ils sont devant. Est-ce trop tard ?
Ventre à terre ! bride avalée !
Guitoy de Chaumont, sur son genêt,
Saute sur le pont qui retombe.
Ville gagnée. Entendez-vous
Sur le pavé de Mons
Course d’éclair, course de nue,
Trombe de fer cliquetant ?

Vive Chaumont et le genêt !
Sonnez le clairon de joie, battez le tambour.
C’est le mois du fin, les prés embaument ;
L’alouette mont chantant dans le ciel.
Vive l’oiseau libre !
Battez le tambour de gloire.
Vive Chaumont et le genêt ! Or ça, à boire ça.
Ville gagnée !… Vive le Gueux ! »