vendredi 31 mai 2019

Je suis un Artiste


Je suis un Artiste


Lettre de prison 29
10 juin 1935





Dialogue Maïeutique


Si tu le veux bien, Lucien l’âne mon ami, je propose de faire une pause dans notre histoire tout comme le fait le Dr. Levi afin de récapituler ce qui s’est passé depuis sa première incarcération en mars 1934. D’abord, il faut distinguer au moins trois périodes. La première incarcération qui est celle qui va de mars à mai 1934, aux Nuove, la prison de Turin. Durant cette période, il est interrogé très ponctuellement par la police politique et par les juges d’instruction turinois. C’est à ce moment que Carlo Levi fait la remarque qu’une partie de la prison est réservée aux prisonniers politiques et prend soudain les allures d’une synagogue. Dans la presse, le gouvernement fasciste dénonce un complot juif, anticipant et probablement, annonçant ainsi les lois raciales de 1938.

Oui, dit Lucien l’âne, je me souviens de cette réflexion d’une ironie amère qu’avait faite alors Carlo Levi. À mon avis, il devait sentir venir l’horreur.
Sans doute, dit Marco Valdo M.I., ces arrestations de groupe étaient-elles des prémices d’autres. Dès cette période aussi, Carlo Levi a mis en place une communication à clé dans ses lettres adressées à sa mère, qui auréolée de l’image italienne de la « mamma » était exclue par définition de la sphère politique et protégée par l’imaginaire « machiste » qui faisait oublier aux policiers qu’Anneta Treves était aussi une militante socialiste et la sœur d’un des dirigeants de Parti socialiste en exil. Donc, dès le départ aussi, Carlo Levi organise sa défense, qui sera reprise et systématisée dans cette canzone sur deux points essentiels : primo : « Je suis peintre, je suis artiste » et corollaire : « Je ne m’intéresse pas à la politique, je n’y connais rien, je suis innocent de ce dont on m’accuse et d’ailleurs, de quoi m’accuse-t-on ? »

Au fait, c’est vrai, dit Lucien l’âne. Moi, j’aurais dit : « Je suis un âne. Je ne sais rien de la politique et de quoi, m’accuse-t-on ? »


Quoique, répond Marco Valdo M.I., je te rappelle aussi la fable de La Fontaine où l’âne tout innocent qu’il est, finit par être qualifié de galeux :

« Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
Qu’il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d’où venait tout leur mal. »

La seconde période, qui va de mai 1934 à mai 1935 est une période de fausse liberté, où le peintre Levi est frappé d’admonition, autrement dit en résidence surveillée, espionné comme toutes ses relations. L’admonition, fausse mesure de clémence, avait vraisemblablement le but de mettre en confiance le suspect et de l’amener à commettre certaines imprudences, qui auraient permis de le confondre et d’établir l’existence du complot. Il n’en a rien été et comme tout ça ne donnait rien, ils auraient eu plus de chances à essayer le spiritisme ancien. Dans les hautes sphères, on s’impatiente, du coup, on arrête à nouveau Carlo Levi.

C’est là, je présume, dit Lucien l’âne, que commence la troisième période.

Tu présumes bien, Lucien l’âne mon mai. Quand on vient le chercher dans son atelier de peintre où il est confiné, Carlo Levi n’est pas véritablement surpris et arrivé à la prison, il retrouve ses vieilles habitudes. Cette fois encore, en dépit des fastidieux interrogatoires, il ne lâche rien. Il argumente avec rigueur. Certes je vivais à Paris, mais c’était là que devait être un peintre, car c’est la capitale artistique du monde. Certes, dit-il, j’ai assisté en juin 1933 à Paris aux funérailles du dirigeant socialiste exilé Claudio Treves, mais c’est mon oncle, le frère de ma mère. Tout doucement, il arrive à convaincre de son innocence les enquêteurs turinois et de ses entretiens avec les commissaires et les fonctionnaires, il retire l’impression qu’il va être libéré.

Et il ne l’est pas, dit Lucien l’âne, mais pourquoi ?

On lui avait annoncé qu’on le libèrerait en fin de journée et quand on vient le chercher. Un coup de théâtre !, répond Marco Valdo M.I., et tout bascule. Rome réclame le suspect Carlo Levi pour le mener devant le Tribunal Spécial où sont condamnés les ennemis du régime fasciste. Ainsi commence la quatrième période par un voyage en cage comme s’il était un animal sauvage qui allait dévorer ses gardes et qui sait, les autres voyageurs à destination de la capitale de l’Impero. Et là, dans un coin pourri de l’ancien couvent, recommence l’isolement. Reprennent les allées et venues dans les locaux de l’Ovra pour les sempiternels et monotones interrogatoires, dont on a retrouvé les procès-verbaux : toujours des soupçons et jamais de preuves.

On en est donc là, dit Lucien l’âne. C’était quand même utile de faire le point. Je m’y retrouve un peu mieux dans cette étrange aventure. En attendant la suite, tissons le linceul de ce vieux monde rancunier, soupçonneux, hargneux, teigneux et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


Qui sait pourquoi
On veut faire de moi
Un être politique,
Moi, que les affaires publiques
N’intéressent pas.

Questions le matin,
Questions l’après-midi,
On ne s’ennuie pas ici.
Que sais-je enfin
De ces lointains cousins ?

L’admonition m’avait cloîtré.
Je voulais même me retirer
À la campagne, chez les termites
Pour vivre en ermite,
Ma vie d’artiste.

De ma retraite volontaire
Pour peindre et méditer,
Me voilà bien récompensé.
C’est le même fonctionnaire
Qui veut encore m’interroger.

On se salue sans défiance
Comme de vieilles connaissances.
Il m’attribue une intelligence
Contraire à l’innocence.
C’est le règne de la confiance.

Moi, je ne veux rien
Savoir du monde politique.
Je ne sais rien, je peins.
Je dis, je redis, je répète :
Je suis un artiste.

jeudi 30 mai 2019

LES INQUISITEURS


 LES INQUISITEURS



Version française – LES INQUISITEURS – Marco Valdo M.I. – 2019
d’après la version italienne de Riccardo Venturi
d’une
Chanson portugaise – Os inquiridores – José Saramago – 1966







Comme on sait, José Saramago a également écrit les Poèmes possibles (Poemas possíveis). Ils ont été publiés en 1966 par Portugália Editora, deux ans avant l’accident domestique (il semble que ce soit une chute dans la baignoire) qui a entraîné la mort du dictateur Salazar. Certains des Poèmes Possibles de Saramago (voir notamment Paula Oliveira : https://www.youtube.com/watch?v=QmfzTswF60s) ont été mis en musique et chantés par Manuel Freire ; voir Ouvindo Beethoven, le célèbre Beethoven du Jour des Surprises (qui serait arrivé quelques années plus tard, exactement huit, le 25 avril 1974 ; et ce fut une assez bonne surprise). Le présent Poème Possible , par contre, je ne sais pas s’il a jamais été mis en musique par qui que ce soit ; mais comme j’ai tant de fois été démenti , qui sait si celle-ci ne l’a pas été. Il parle d’Inquisiteurs. On croit maintenant que les Inquisiteurs appartiennent à un passé très lointain, on pense à Torquemada ou Bernardo Gui du « Nom de la Rose », on imagine des tortures horribles et imaginatives, pourtant les Inquisiteurs ne sont jamais partis. Église ou État, souvent des deux, ils sont toujours là pour nous scruter, nous espionner, nous dicter, nous réprimer et, bien sûr, nous torturer ; maintenant nous leur avons volontiers fourni des outils technologiques impensables, devenant nous-mêmes, dans la pratique, les inquisiteurs et les bourreaux de nous-mêmes. Et oui, il y a des inquisiteurs, des poux de toutes les couleurs. Mais faites attention. J’ai mis ce poème dans la catégorie « anticléricale ».Mais, en portugais, « inquiridores » ne signifie pas seulement « inquisiteurs » ; cela signifie aussi « enquêteurs ». C’est un terme juridique normal et actuel. En portugais, inquisiteurs et enquêteurs sont la même chose ; de quoi réfléchir. [R.V.]






Les poux infestent le monde :
Il n’y a pas une peau qu’ils ne sucent,
Il n’y a pas de secret d’âme qu’ils n’épient,
Un rêve qu’ils ne mordent et ne pervertissent.


Sur nos reins poilus, ils s’amusent
De toutes couleurs, ils nous menacent :
Il y en a des bruns, des verts et des jaunes,
Il y en a des noirs, des gris et des rouges.


Et tous se bagarrent, tous mangent,
De concert, voraces, ils n’entendent
Laisser comme restes de leur dîner,
Sur le désert terrien que des os décharnés.

mardi 28 mai 2019

CHANT D’ÉMIGRATION (LES CHAMPS SE VIDENT ET LES ATELIERS SE REMPLISSENT)

CHANT D’ÉMIGRATION (LES CHAMPS SE VIDENT ET LES ATELIERS SE REMPLISSENT)

Version française – CHANT D’ÉMIGRATION (LES CHAMPS SE VIDENT ET LES ATELIERS SE REMPLISSENT) – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson italienne – Canto d'emigrazione (I campi si svuotano si riempiono le officine) – Dario Fo – 1971



Dialogue Maïeutique


« Les champs se vident et les ateliers se remplissent », dit Lucien l’âne, voilà qui me fait penser aux célèbres vases communicants qui se déversent l’un dans l’autre.


Sans doute, Lucien l’âne mon ami, mais cette comparaison est trompeuse, car si tu t’en souviens, dans les mouvements de liquide entre les vases communicants, le système tend à l’équilibre ; il tend à mettre le liquide au même niveau et au niveau le plus élevé possible. Évidemment, tout va dépendre de la capacité des vases, de leurs tailles respectives, de la manière dont ils sont placés l’un par rapport à l’autre.


Oh, dit Lucien l’âne, mais s’il y a trop de liquide ou si le liquide continue à remplir les vases… Ça finit par déborder, mais pour les vases débordants, tant que le liquide continue à arriver, le débordement continue. Il faut donc intervenir à la source pour arrêter le flux, car un simple barrage ne fait que déplacer le problème en créant un vase de plus. A contrario, dans le cas d’un lac de montagne et l’océan dans lequel, au bout du cours, il se déverse, sauf bouleversement majeur, le liquide - en l’occurrence de l’eau et pour autant qu’il en reste dans le lac et qu’il pleuve ou que des glaciers situés plus haut encore fondent et alimentent le lac – continue de couler et jamais l’océan ne déborde.


Je me demande, Marco Valdo M.I. mon mai, dans quoi l’océan pourrait-il déborder ?


Un autre océan, répond Marco Valdo M.I. en riant. Cependant, peu importe ce qu’il advient de ce liquide et de ces vases, on s’égare finalement, car dans le cas des champs et des ateliers, ce sont des humains qu’on déplace, qui se déplacent, ça dépend. De plus, leurs déplacements dépendant de mille critères. Le fait est que dans la chanson, ils se déplacent en grand nombre dans un mouvement qui paraît collectif et plus ou moins, ordonné des champs vers les ateliers.


Mais, dit Lucien l’âne, aussi grands que soient les ateliers, ils ne sont jamais aussi grands que les champs.


Certes, répond Marco Valdo M.I., mais ça n’est pas la raison du vide ; la raison en est que non seulement, les champs se vident, mais également, que les zones rurales ne se repeuplent plus ; et même quand elles ont rempli les ateliers, elles continuent à se vider au profit des villes et particulièrement, des mégapoles. Pour en venir à la canzone, elle raconte cette gigantesque migration des campagnes vers les villes et au-delà vers des villes et des pays lointains. C’est une fuite de populations entières de la misère rurale locale vers la misère des faubourgs industriels qu’on ne découvre qu’à l’usage, quand le mirage s’est évanoui. C’est ce qui est arrivé à Marcovaldo, mon ancêtre littéraire, c’est son histoire que raconta Italo Calvino.


Une amusante et terrifiante histoire, dit Lucien l’âne, et en même temps aussi amusante et terrifiante que la vie elle-même. Pense donc, un émigré du Sud (à l’époque, vu des villes industrielles du Nord, le Sud se limitait encore à l’Italie), marié, six enfants, vivant tous dans un sous-sol ; un manœuvre sans aucune qualification, véritablement perdu dans cette ville (Turin ?) et qui – il faut bien le dire – un peu idiot, probablement analphabète et qui malgré tout, fait face à ce destin absurde. Et encore, il avait un sort pas trop effroyable par rapport à ce qui se passe dans les faubourgs des mégapoles, dont la plupart, malgré leurs millions d’habitants, nous sont inconnues, de l’Inde, de la Chine, du Pakistan, du Nigéria, d’Afrique du Sud, du Brésil, d’Argentine ou du Mexique ou que sais-je ou que dis-je, je m’arrête, la liste serait infinie. Combien de miséreux là, maintenant, dans ce monde : sept milliards ? Demain, dix milliards ? Et s’il est vrai que quand on est dans la misère, on tire le diable par la queue, alors, je me demande quelle longueur doit avoir la queue du diable et quelle douleur, le pauvre diable doit ressentir. Rien que d’y penser, j’en ai mal au bout de mon échine. Alors, tissons le linceul de ce vieux monde effroyable, terrible, mortifère, misérable, miséreux et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane






Les champs se vident,
Les ateliers se remplissent.
De Sicile, des Pouilles et de Calabre,
Mille trains de désespérés partent.


Adieu, adieu amour !
Dans les bagnes lointains
De Lombardie et de Turin,
Adieu, adieu amour,
Nous allons mourir au turbin
Pour pouvoir vivre jour après jour.


Avec les fiches de paie, ils nous étranglent ;
Avec le logement, ils nous étranglent ;
Avec tout ce que nous devons payer, ils nous étranglent.


Adieu, adieu amour !
Dans les bagnes lointains
De Lombardie et de Turin,
Adieu, adieu amour,
Nous allons mourir au turbin
Pour pouvoir vivre jour après jour.


Avec les fiches de paie, ils nous étranglent ;
Avec le logement, ils nous étranglent ;
Avec tout ce que nous devons payer, ils nous étranglent.


Adieu, adieu amour !
Dans les bagnes lointains
De Lombardie et de Turin,
Adieu, adieu amour,
Nous allons mourir au turbin
Pour pouvoir vivre jour après jour.

lundi 27 mai 2019

Les Pins du Janicule


Les Pins du Janicule


Lettre de prison 28
7 juin 1935





Dialogue Maïeutique

On était au début juin 1935. Crois-moi, Lucien l’âne mon ami, c’était un bon moment pour voir les pins du Janicule.

Bien sûr, répond Lucien l’âne, c’est le temps où la colline rutile sous le soleil et un vent tiède venu d’Ostie arrive par vagues ondulantes pour agiter les cimes des pins du bois sacré, où on célèbre ainsi Janus, le bifront, mais également, Fontanus, son fils et Isis, la déesse égyptienne.

Mais encore, Lucien l’âne mon ami, c’est un lieu préhistorique qui vit l’installation des Étrusques sur les bords du Tibre et qui pur sa version historique ne manque relativement pas d’importance pour notre récit, car il fut le lieu même où la République de Rome soutint un long combat contre les armées de Napoléon III, venues pour rétablir le pouvoir du Pape et de ses essaims de noirs corbeaux. Cependant, en juin 1935, malgré la splendeur de la colline sacrée et de toute la ville qui l’environne, le prisonnier politique Carlo Levi, enfermé à Regina Cœli, n’en verra rien. Il aurait aimé voir la cité millénaire, il aurait espéré un regard panoramique et sans doute aussi, une flânerie rêveuse d’un parc à l’autre, d’une fontaine à l’un ou l’autre édicule. Mais voilà, il ne verra rien de tout ça : après le voyage en cage, il est à nouveau plongé dans un trou sans lumière, un de ces lieux minuscules dont un fonctionnaire zélé a fait occulter la fenêtre monacale. De sa cellule ridicule, c’est à peine si le prisonnier peut voir le ciel.

« Pour ce que je peux en apercevoir,
Rome est un trou noir,
Une oubliette, une cellule. »

Je ne comprends pas, soupire Lucien l’âne, pourquoi un tel isolement ; déjà qu’ils sont enfermés dans des réduits et en plus, on leur ôte jusqu’au regard et à la lumière.

Ah, Lucien l’âne mon ami, on dirait que tu ne connais pas les humains, même si je sais que tu n’as dit les choses ainsi que pour me permettre d’y répondre. Donc, ceux-là, ces humains à force d’enfermer leurs contemporains s’étaient rendu compte qu’il était plus efficacement répressif de couper tout contact avec l’extérieur ; c’est une question d’efficience, de rendement de l’enfermement. De façon générale, c’est déjà l’objet de la garde à vue, qui est heureusement de courte durée. Singulièrement, il faut te ressouvenir qu’à l’époque, sous le régime fasciste, Regina Cœli était une prison très spécialisée ; elle accueillait les prisonniers politiques qu’il fallait tenir au secret et préparer pour les interrogatoires. Couper le regard, dissimuler le monde extérieur, réduire la lumière étaient des armes psychologiques, tout comme les interrogatoires à répétition. Il s’agit de faire « craquer » les résistances. Pour ce qui est du Dr. Levi, toutes ces manœuvres seront peines perdues. Il songe à ses tableaux, clame son innocence et réclame sa libération.

Merci de toutes ces explications, Marco Valdo M.I. mon ami, même si j’imagine qu’il y aurait encore beaucoup de choses à dire. Maintenant, il nous faut reprendre notre tâche et tisser le linceul de ce vieux monde carcéral, monacal, sombre et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Ici, que faire d’autre
Que d’attendre ?
Il me vient d’écrire :
« Le monde n’est pas le monde,
Rome n’est pas Rome ! »

Moi, qui voulais voir
Les pins du Janicule.
Pour ce que je peux en apercevoir,
Rome est un trou noir,
Une oubliette, une cellule.

Par-delà ce mur et ces barreaux,
Il y a la Villa Borghese, la piazza di Spagna,
Le Triton, la piazza Navona,
À la Quadriennale, mes tableaux
Et moi, je peux juste imaginer tout ça.

Mes tableaux, ah, mes tableaux !
Exposés à l’Exposition italienne de Paris
Et à Turin où j’ai un prix.
Je rêve de faire à nouveau
De œuvres utiles à mon pays.

On m’interroge le matin ;
On me laisse à midi
Le temps de combler mon appétit
Et on me repose l’après-midi,
Les mêmes questions qu’à Turin.

De lui-même, le grand château
De leurs soupçons va s’effondrer.
Tout y est faux.
Quand vont-ils se décider
À me libérer ?

dimanche 26 mai 2019

L’AMOUR À LA NÉANDERTAL


L’AMOUR À LA NÉANDERTAL


Version française – L’AMOUR À LA NÉANDERTAL – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson anglaise – Make Neanderthal love, not Neanderthal war !HOTLEGS – 1970



Dialogue Maïeutique

Tu sais, Lucien l’âne mon ami, moi, personnellement, ik persoonlijk – je dis comme ça à cause du jeu de mot laid : « geen ander taal » (« pas d’autre langue »), qui est la revendication linguistique de nos amis flamands, et qui a fait découvrir au monde l’homme de « geen ander taal » – je suis un descendant direct de mes aïeux, des Mosans, sans doute originaires des Pays de la Basse Meuse ou des Bouches de Meuse et du Rhin, qui eux-mêmes par belles personnes interposées, descendaient de la femme de Néandertal, Ainsi, nous sommes des Néandertaliens par les femmes et plus que vraisemblablement aussi, nous sommes des geenandertaliens anciens, mais des « geenandertaliens » de fait – depuis comme on le voit nous avons accepté d’autres langues.

Oh, dit Lucien l’âne, quand on remonte par les femmes, c’est une ascendance plus sûre, comme depuis fort longtemps, certains l’ont compris.

Lucien l’âne mon ami, quelques milliers d’années, – finalement, c’est très peu de temps, à l’échelle de la vie, un instant et même moins. Sauf que nous autres, les « humains », on a peut-être éliminé les autres sortes d’hominidés. Et si ce n’est pas le cas, car il y a d’autres hypothèses à la disparition des Néandertaliens, nos aptitudes aux génocides ne sont pas des supputations et ce n’est pas qu’une question de couleur de peau. On s’entremassacre pour bien d’autres motifs. Alors, Néandertalien, Français, Italien ou Roumain, quelle importance, tant qu’on jouit de l’existence.

Oh, dit Lucien l’âne, tu as tout à fait raison. Pourquoi ne dirait-on pas tant qu’on est Américain, Indien, Africain ou Mélanésien, tant qu’on vit (c’est le cas de le dire !), quelle importance ?

Certes, Lucien l’âne mon ami, tant qu’on n’est pas populiste, qu’on n’est pas nationaliste, qu’on n’est pas fasciste, tant qu’on vit, quelle importance !

Oh, dit Lucien l’âne, Jacques Brel, si tu te souviens, chantait aux temps du « Make love, not war », « Tant qu’on a que l’amour… », si, si, « Tant qu’on a que l’amour… », autant dire rien dans les mains, rien dans les poches, il y a quelque chose qui cloche. Ah, l’amour, toujours l’amour et puis, quoi ? Monte là-dessus et tu verras mon… Ach, so ! Assez flirté, baissez culotte !, disait le reître en rut. Le même Jacques Brel chantait aussi un peu plus tard : « Madame promène son cul sur les remparts de Varsovie… », une variante de « Faites l’amour, pas la guerre ou faites les deux : mariez-vous ! ». Vian conseillait aux filles « Ne vous mariez pas, les filles ![[48856]] » ; on conseillera la même chose aux gars. Mais au fait, pourquoi tu parles de tout ça ? Pourquoi tout ce délire ? On peut se le demander, avec juste raison, Marco Valdo M.I. mon ami. Que vient faire ici dans ce Pays Traduisan des Chansons contre la Guerre, un « geenandertaalien » comme toi ?

Eh bien, Lucien l’âne mon ami, car j’ai établi une version française de cette immortelle chanson de langue anglaise que notre ami L’Anonimo Neanderthaliano del XXXVI Secolo a.Cr. A a ramenée de sa lointaine époque. Je l’ai fait par souci paléontologique et pour que ce chef-d’œuvre ne reste pas ignoré des locuteurs de langue française et aussi, car c’est un des premiers balbutiements de la culture spectaculaire et des chansons contre la guerre, car son titre originel est : « Make Neanderthal Love, not Neanderthal War ! », ce qui se traduit évidemment par « Faites l’amour néandertal, pas la guerre néandertal ! » – ou quelque chose d’approchant et annonce furieusement ce « Make love, not war ! » des années soixante du siècle dernier – sentence qui eut raison de la Guerre du Vietnam . Je te laisse la découvrir, mais n’empêcha pas celles d’Irak, par exemple.

C’est bien possible, dit Lucien l’âne, mais moi, je la connaissais déjà depuis longtemps cette chanson et même, depuis sa création dans les cavernes de nos régions et même lors de sa diffusion par les aèdes sur les routes du Péloponnèse. À ce sujet, peut-être que notre ami Riccardo pourrait en retrouver une version grecque. Cela dit, il nous faut reprendre notre tâche et tisser le linceul de ce vieux monde oublieux, amnésique, humain, trop humain et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Je suis un homme de Néandertal,
Tu es une femme de Néandertal,
Faisons l’amour à la Néandertal
Dans ce monde de Néandertals.

Je suis un mec de Néandertal,
Tu es une meuf de Néandertal,
Faisons l’amour à la Néandertal
Dans ce monde de Néandertals.

Je suis un pey de Néandertal,
Tu es une mey de Néandertal,
Faisons l’amour à la Néandertal
Dans ce monde de Néandertals.

Je suis un papy de Néandertal,
Tu es une mamie de Néandertal,
Faisons l’amour à la Néandertal
Dans ce monde de Néandertals.

Je suis un pépé de Néandertal,
Tu es une mémé de Néandertal,
Faisons l’amour à la Néandertal
Dans ce monde de Néandertals.

ad libitum / ad libidinem !

lundi 20 mai 2019

LA FEMME LUNAIRE

LA FEMME LUNAIRE


Version française – LA FEMME LUNAIRE – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson guatémaltèque (de langue espagnole) – Mujer lunar Rebeca Lane – 2014






Le Guatemala est un des pays où les violences sexuelles contre les femmes sont les plus nombreuses. Rebeca Lane, sociologue et rappeuse, met en musique une nouvelle image de la femme : ni Dieu, ni Patrie, ni mari, ni parti.

Dialogue Maïeutique


Oh, Marco Valdo M.I., dis-moi, j’aimerais savoir ce qu’est une femme lunaire. Je suppose qu’elle n’a rien à voir avec le Pierrot lunaire.


Tu vois, Lucien l’âne mon ami, je m’en vas te donner une réponse ambiguë, à la manière des Normands. Peut-être bien que non, mais peut-être bien que oui. D’abord, ce Pierrot Lunaire date de plus d’un siècle (Albert Giraud le publia en 1884) et a tous les airs d’un clown triste, un personnage pâle, tout chez lui manque de couleur, comme la pleine lune laiteuse.

« O Lune, nocturne phtisique,
Sur le noir oreiller des cieux !
Mais dans sa volupté physique
L'amant qui passe insoucieux
Prend pour des rayons gracieux
Ton sang blanc et mélancolique,
O Lune, nocturne phtisique ! »

Vu ainsi, la réponse est nettement non. Mais si l’on prend au pied de la lettre l’affirmation de Rebeca Lane (ne serait-ce pas ta cousine ?) : « Je suis un être lunaire », là, c’est incontestablement oui.


« Je suis une femme, je suis un être lunaire.
Je passe comme la lune de l’obscur au blanc. »


Et tout cela renvoie à la façon dont la Lune elle-même est considérée dans la tradition. Au travers des siècles, cet astre changeant a toujours eu la réputation d’engendrer certaines humeurs chez les femmes, de les rendre parfois mélancoliques – comme le Pierrot, mais aussi souvent, combattives et ardentes comme l’est la « mujer lunar ». Je pense que c’est ce deuxième sens qui est celui qu’il faut entendre dans la chanson. Une femme de caractère, libre, peut-être fantasque, mais sûrement revendicative et digne.


Oh, je vois, une femme de caractère, dit Lucien l’âne. Au fait, j’aimerais bien que ce soit ma cousine ; elle m’a l’air de ne pas vouloir se laisser faire et d’avoir les pieds sur terre.


C’est ainsi que je le ressens aussi, reprend Marco Valdo M.I., mais il ne faudrait pas réduire le propos et oublier qu’il y a derrière tout ça, un puissant ressort qu’est le combat féministe, la lutte pour la dignité des femmes, la revendication majuscule qui ouvre la chanson :


« Ni dieu, ni patrie, ni mari, ni parti.
C’est comme ça que je suis née, c’est comme ça que je vis. »


Elle me plaît bien cette ouverture, dit Lucien l’âne. Elle m’a tout l’air d’une manière féministe d’agrémenter le « Ni Dieu, ni Maître ». Quant à nous, tissons le linceul de ce vieux monde sexiste, inégalitaire, indigne, oppresseur et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane






Ni dieu, ni patrie, ni mari, ni parti.
C’est comme ça que je suis née, c’est comme ça que je vis.
Depuis que maman me mit au monde.
On a teint de rose le chemin de ma vie.
Mais maman, moi, j’aime le mauve.
J’aime la poésie et la mélancolie
Je ne crois ni aux contes de fées, ni aux fantômes.
Je veux être à moi, je ne serai à personne
Tous les matins, Je me raconte une histoire
J’ouvre mes ailes, je fuis le paradis avec Lilith et les mauvaises filles.
Je ne crois pas qu’en haut quelqu’un nous juge.
Je vais improviser, je suis souveraine de mes actes.


Je suis une femme, je suis un être lunaire.
Je passe comme la lune de l’obscur au blanc.
Je porte la semence dans mon ventre,
De mon utérus sont nés tous les gens.
De mon sang menstruel chaque mois
Naît la vie, car de ta côte, elle ne sort pas.
Je ne suis pas venue au monde pour ton bonheur,
Ni pour que tes coups m’abreuvent de douleur.


Ils voudraient que je sois chaste et pure,
Sans désirs et sans doutes,
Que mon bonheur soit dans la cuisine
À faire des ragoûts qui méprisent ma dignité
Vouloir être à une maison enchaînée,
Être mariée, tomber enceinte,
Donner des enfants au système et si le ventre se serre,
Apprendre à vivre la pauvreté en silence.
Pour chaque coup que tu me donnes, l’univers est ébranlé.
Pour ça je me défends et je ne peux accepter
Les princes qui viennent me sauver
Avec des compliments et de l’argent, viennent m’insulter.


Je suis une femme, je suis un être lunaire.
Je passe comme la lune de l’obscur au blanc.
Je porte la semence dans mon ventre,
De mon utérus sont nés tous les gens.
De mon sang menstruel chaque mois
Naît la vie, car de ta côte, elle ne sort pas.
Je ne suis pas venue au monde pour ton bonheur,
Ni pour que tes coups m’abreuvent de douleur.


Comme j’ai un corps de femme, ils veulent que je sois tendre.
Mais ils me traitent de salope, si je montre mes jambes en rue.
Plus qu’une femme, les gens cherchent une bonne.
Mieux encore silencieuse et les jambes ouvertes.
Je suis un fruit complet, je ne suis pas une demi-orange.
Je suis ce que je veux. Je ne suis pas une pute et je ne suis pas un saint.
J’entends être traitée au minimum comme un humain .
Face à ce délire collectif, je m’émancipe, j’abdique.
Je n’accepte pas les rôles imposés.
Je ne t’aime pas pour ton sexe, mais pour ce qu’on partage.
La liberté, c’est quand on n’est plus catalogué ;
C’est le poing levé pour célébrer les guerrières.


Comme à la montagne sont les guérilleros,
Sont aujourd’hui les rappeuses au micro :
Survivantes de la violence, mères célibataires,
Sœurs féministes de la planète Terre.