À MIDI
Version
française – À MIDI – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson
italienne – A
mezzogiorno – Giorgio
Gaber – 1971
Texte :
Giorgio Gaber et Sandro Luporini
Dans le spectacle « Storie vecchie e nuove del signor G. » (Vieilles et nouvelles histoires de Monsieur G) et le disque « I borghesi » (Les Bourgeois)
Dans le spectacle « Storie vecchie e nuove del signor G. » (Vieilles et nouvelles histoires de Monsieur G) et le disque « I borghesi » (Les Bourgeois)
Dialogue
Maïeutique
Dis-moi,
Marco Valdo M.I. mon ami, qu’est-ce que c’est que ce titre pour
le moins lapidaire ?
Oh,
Lucien l’âne mon ami, cette fois, ce n’est pas moi qui l’ai
choisi, car il est la transposition – tout aussi lapidaire, j’en
conviens – du titre original en italien : « A
mezzogiorno », dont je n’ai pas cru devoir m’écarter.
Soit,
dit Lucien l’âne, mais ça ne m’explique rien. Que veut-elle,
cette chanson ? Que peut-elle raconter avec ce À midi ?
Personne ne le sait et tout le monde voudrait savoir et on
m’interroge et moi, je nage, car ce pourrait n’importe quel midi,
n’importe où, où n’importe qui ferait n’importe quoi. Il me
faut des précisions, vois-tu.
On
veut des précisions, Lucien l’âne mon ami, eh bien, je vais en
donner. Ce midi, tout simplement, c’est en quelque sorte un
déjeuner sur l’herbe.
Ça
me rappelle quelque chose, dit Lucien l’âne mon ami, cette
histoire de déjeuner sur l’herbe. J’ai un vague souvenir de
peinture.
Au
fait, oui, c’est bien de ça qu’il s’agit, reprend Marco Valdo
M.I. ; enfin, à peu près. Il y a eu un fameux tableau
d’Édouard Manet, finalement nommé ainsi. Cependant, le tableau
comme c’est souvent le cas, a connu diverses dénominations et
elles sont plutôt signifiantes. Écoute voir : « Le
Bain » ou ensuite, encore plus précise : « La
Partie carrée ». Et tan qu’on y est, je ne voudrais pas
passer sous silence le tableau du Titien, peint en 1508, qui a sans
doute inspiré Edouard Manet pour le « Déjeuner » et qui
se nomme pudiquement « Le Concert champêtre » – sans
doute, y jouait-on de la viole et du pipeau ; on y trouve à
l’avant-plan deux dames nues et deux messieurs habillés. L’ignorer
serait faire l’impasse sur toute une tradition picturale.
Oh,
dit Lucien l’âne, finalement, ce « Déjeuner sur l’herbe »
est un excellent titre ; il est d’une certaine manière plus
objectif.
Si
on veut, reprend Marco Valdo M.I., mais
pour
en revenir à ma comparaison entre la chanson et le tableau de Manet,
le fond est
le même : une
sorte de piquenique
– un repas champêtre, dit Wkipedia qui donne comme illustration,
le Déjeuner, mais
sociologiquement, l’histoire est
un peu différente. Le tableau de Manet représentait au
premier plan, le contenu d’un pique-nique avec un pain et un panier
de fruits renversé sur un habit bleu à pois. Une femme nue assise
entre deux hommes habillés tandis qu’au
fond du tableau, une
autre femme, en
chemise,
se baigne. » Et voici ce qu’en disait, le journaliste
français, par ailleurs romancier, Émile Édouard Charles Antoine
Zola, qui
écrivait à propos de ce tableau, c’était en 1867, des choses
tellement intéressantes, que je t’en reproduis le commentaire (que
j’ai trouvé dans la
notice Wikipedia consacrée à ce tableau)
:
« Le
Déjeuner sur l’herbe est la plus grande toile d’Édouard Manet,
celle où il a réalisé le rêve que font tous les peintres :
mettre des figures de grandeur nature dans un paysage. On sait avec
quelle puissance il a vaincu cette difficulté. Il y a là quelques
feuillages, quelques troncs d’arbres, et, au fond, une rivière
dans laquelle se baigne une femme en chemise ; sur le premier
plan, deux jeunes gens sont assis en face d’une seconde femme qui
vient de sortir de l’eau et qui sèche sa peau nue au grand air.
Cette femme nue a scandalisé le public, qui n’a vu qu’elle dans
la toile. Bon Dieu ! quelle indécence : une femme sans le
moindre voile entre deux hommes habillés, mais quelle peste se
dirent les gens à cette époque ! Le peuple se fit une image
d’Édouard Manet comme voyeur. Cela ne s’était jamais vu. Et
cette croyance était une grossière erreur, car il y a au musée du
Louvre plus de cinquante tableaux dans lesquels se trouvent mêlés
des personnages habillés et des personnages nus. Mais personne ne va
chercher à se scandaliser au musée du Louvre. La foule s’est bien
gardée d’ailleurs de juger Le Déjeuner sur l’herbe comme doit
être jugée une véritable œuvre d’art ; elle y a vu
seulement des gens qui mangeaient sur l’herbe, au sortir du bain,
et elle a cru que l’artiste avait mis une intention obscène et
tapageuse dans la disposition du sujet, lorsque l’artiste avait
simplement cherché à obtenir des oppositions vives et des masses
franches. Les peintres, surtout Édouard Manet, qui est un peintre
analyste, n’ont pas cette préoccupation du sujet qui tourmente la
foule avant tout ; le sujet pour eux est un prétexte à peindre
tandis que pour la foule le sujet seul existe. Ainsi, assurément, la
femme nue du Déjeuner sur l’herbe n’est là que pour fournir à
l’artiste l’occasion de peindre un peu de chair. Ce qu’il faut
voir dans le tableau, ce n’est pas un déjeuner sur l’herbe,
c’est le paysage entier, avec ses vigueurs et ses finesses, avec
ses premiers plans si larges, si solides, et ses fonds d’une
délicatesse si légère ; c’est cette chair ferme modelée à
grands pans de lumière, ces étoffes souples et fortes, et surtout
cette délicieuse silhouette de femme en chemise qui fait dans le
fond, une adorable tache blanche au milieu des feuilles vertes, c’est
enfin cet ensemble vaste, plein d’air, ce coin de la nature rendu
avec une simplicité si juste, toute cette page admirable dans
laquelle un artiste a mis tous les éléments particuliers et rares
qui étaient en lui. »
Oui,
certes, évidemment, dit Lucien l’âne un peu interloqué, mais il
faudra que tu m’expliques tes explications. Car à ce qu’il me
semble, il devrait y avoir comme un écart entre une chanson
italienne de 1971 et un tableau français de 1863. Je suppose qu’il
ne s’agit pour Giorgio Gaber de raconter la peinture de Manet.
Et
sans doute même, Lucien l’âne mon ami, n’y a-t-il jamais pensé,
mais ne sois pas si pressé. Maintenant, je te prie d’examiner sur
quel disque cette chanson a été publiée ; il s’intitule
globalement : « Les Bourgeois » et la chanson
raconte une histoire ouvrière – une femme qui vient à l’heure
de la pause porter son briquet à son homme, qui travaille dans une
usine. La scène se déroule sur un pré au bord d’une route, sans
doute à l’avant de l’usine. Une pause de trois-quart d’heure
et hop, on reprend le boulot. Si on prend en compte les trois
déjeuners (Titien, Manet, Gaber), on obtient une sorte de synthèse
historique de la pause de midi, selon les époques et selon l’origine
sociale des participants.
En
fait, dit Lucien l’âne, si on examine bien ces trois déjeuners,
la version « ouvrière » est plus pudique.
Du
moins en apparence, dit Marco Valdo M.I., car je te ferai remarquer
que c’est seulement, car ils n’ont pas le temps – une
pause de trois-quarts d’heure ; sinon pour ce qui est de
l’intention, elle est bien là et avec une certaine insistance ;
la réalisation est simplement renvoyée à la maison. Après le
boulot, la libido. Primo, boulot, dopo, libido, dodo, car demain
matin, cinq heures, debout et au boulot de nouveau. Quand on sait ce
qu’en pensait Wilhelm Reich, c’est tout un dévoilement d’un
pan de la
Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres afin
d’assurer leurs privilèges, d’affirmer leur domination,
d’exploiter le temps et la vie des autres.
Halte,
dit Lucien l’âne, halte, car il faut bien nous limiter. Pour
conclure à partir de ce qui vient de se dire, je te propose une
petite réflexion : dans tous les âges, le piquenique est fort
apprécié. Alors, tissons le linceul de ce vieux monde laborieux,
minuté, corseté et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
À
midi, le hurlement de la sirène s’élance
Et
chaque jour, elle est là qui l’attend lui.
Dans
un instant, tous seront sortis,
Trois
quarts d’heure et on recommence.
Une
radio tonitrue pas loin,
Quelqu’un
appelle un gamin ;
Il
y a un peu de soleil, la rue est vide.
Pour
un moment, tout s’arrête.
« Tu
es là depuis longtemps ? »
« Non,
je suis à peine arrivée. »
« Tu
es si belle. »
« Arrête !
Je suis juste bronzée ! »
« Qu’as-tu
apporté ? »
« On
ne sait ce que j’ai apporté !
« Tu
as faim, installons-nous plus loin. »
Chaque
jour, à midi, la sirène retentit
Et
elle s’assied à côté de lui.
Il
l’attire et la serre dans ses bras.,
Il
ouvre le sac et regarde ce qu’il y a.
Ils
mangent assis sur le pré
Ce
qu’elle lui a préparé.
Dans
le ciel, un avion par-dessus les toits
Laisse
une trace et s’en va.
« Comme
tu me plais, tu sais ce qui me vient à l’esprit ? »
« Mais
reste tranquille, il y a des gens, ne le vois-tu pas ? »
« Mais
ils s’en foutent de nous, tu n’as pas compris ? »
« Je
t’attends à la maison, reviens dès que tu pourras. »
Encore
un instant, un baiser de plus et il s’en ira.
Et
la sirène encore sonnera.
Certains
jouent au football
En
avalant la dernière bouchée.
Sur
le pré, brimbale une page de journal
Que
le vent a emportée.