mercredi 4 décembre 2019

Sous la Pluie


Sous la Pluie


Chanson française – Sous la Pluie – Marco Valdo M.I. – 2019

ARLEQUIN AMOUREUX – 27

Opéra-récit historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola « Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J. Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de l’édition française de « LES JAMBES C’EST FAIT POUR CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez Flammarion à Paris en 1979.



Dialogue Maïeutique

Tu te souviens, j’espère, Lucien l’âne mon ami, que l’épisode précédent que racontait la chanson « Les Fontaines jumelles » s’était achevé par un laconique « Tôt le matin, il nous faudra partir. »

Certes, répond Lucien l’âne, et même, je me souviens de l’intervention musclée de Matthias, qui finit par casser le nez de son frère Lukas, afin de sauver Barbora des assauts lubriques de son violeur ; un terrible affrontement fratricide.

Nous voici, reprend Marco Valdo M.I., au matin et comme prévu, Matthias s’éveille fort tôt et se prépare à partir. Il rassemble des affaires et fait son paquetage ; il y joint évidemment son coffret secret et roulé dans un étui, le portrait d’Arlecchina qu’il emmène partout tout au long de ses pérégrinations. Puis, il s’en va réveiller Barbora pour le grand départ ; car, véritablement, c’est le grand départ ; on n’y reviendra pas de si tôt dans cette ferme. Barbora encore à moitié endormie le suit sans rechigner et sans dire un mot, comme une somnambule.

Oh, dit Lucien l’âne, il ne faut pas s’attendre à autre chose d’une personne qui se trouve au fin fond de sa dépression profonde et qui la veille encore, a subi une violente attaque de son prédateur. Elle doit être entièrement réfugiée en elle-même, comme on se replie dans un trou ou une cave pour se mettre à l’abri du danger et aussi, pouvoir un peu s’y ressourcer.

Parfaitement, Lucien l’âne mon ami ; donc, Barbora et Matthias se mettent en route et s’éloignent au plus vite du village. Cependant, le ciel ne leur facilite pas la tâche, car les nuages se déversent à grandes eaux sans interruption. Il pleut tellement que Matthias revient sur ses pas chercher une bâche pour les couvrir.

Les voilà en chemin, dit Lucien l’âne ; les amarres sont rompues. Mais au fait, où vont-ils comme ça ?

En vérité, répond Marco Valdo M.I., on ne le sait pas. Vu les circonstances, cette excursion n’a pas été préparée ; sans doute est-ce : « On ne sait pas où on va, mais on y va et vite. »

Si tu veux mon avis, Marco Valdo mon ami, pour la destination, c’est : « Partout, sauf d’où on vient. » Et plus l’écart sera grand, mieux ça vaudra.

C’est bien ça, reprend Marco Valdo M.I. ; maintenant, je dois te dire que la situation se complique encore, car il y a une troisième personne qui se retrouve, malgré elle, dans cette équipée. C’est Arlecchina, qui reparaît puisque Arlequin a repris son errance. Et l’Arlequine, un peu coquine, lui fait une scène de jalousie à propos de Barbora et essaye de se débarrasser de cette importune. Pourtant, Arlequin tient bon et impose à ces deux compagnes, complices d’un déserteur, la coexistence pacifique.

Voilà qui est bien qui finit bien, conclut Lucien l’âne. Alors, tissons le linceul de ce vieux monde pluvieux, humide, glacial, grisouillard et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Matěj avant l’aube s’habille,
Met ses souliers, emballe son fourbi
Et roulée dans son étui, sa sainte qui sourit.
Il réveille la fille et l’emmène sous la pluie.

Nulle protestation, pas de question, Barbora
Se lève et sans hésiter lui emboîte le pas.
Sur le sol, il reste quelques taches noires ;
La nuit, le sang sèche vite dans le noir.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

Avec sur la tête, une bâche à fourrage,
Courbés, ils s’éloignent vite du village.
Sous la toile, le nouveau monde s’avançait ;
Personne, ni eux, ne savait où ils allaient.

« Où vas-tu, Pollo ? Dis-moi, pulcino,
Que vas-tu faire, mon beau, de ce ballot ?
Elle a les jambes vilaines,
C’est un poids que tu traînes.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

« Oh, Madonna !, Arlecchino, que fais-tu ? »
« Tu es jalouse de Barbora ? Que veux-tu,
C’est un peu ma fille, je ne peux la laisser.
Allons Arlecchina, viens sous la toile t’abriter.

« Oh, mon bon, nous avons tant vieilli ! »
Arlequin essuie le visage de la belle Arlecchina.
« À trois de front, il nous faut aller au pas
Venez, je suis déserteur et d’ailleurs, vous aussi. »

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

AUSCHWITZ


AUSCHWITZ

Version française – AUSCHWITZ – Marco Valdo M.I. – 2019
d’après la traduction italienne de Riccardo Venturi
d’une chanson grecque – Άουσβιτς – Auschwitz de Ménélas Lountemis/Menélaos LoudémisMENELAS LOUNTEMIS
1ʳᵉ version : 1947
2ᵉ version : 1973 (?)




Comme le savent tous ceux qui ont contribué à la section hellénique de ce site, ou qui l’ont simplement un peu « parcourue » ou l’ont utilisée, la Grèce est, avec la France, le pays qui met le plus ses poètes en musique. Ainsi, si Στίχοι, la « Bible » de la chanson en grec et le seul site au monde qui, avec près de 64 000 textes, peut faire pâlir ce site des Chansons contre la Guerre, présente ce poème de Ménélas Lountemis comme αμηλοποίητη « pas mis en musique », on peut jurer deux choses. La première, c’est qu’il n’a vraiment jamais été mis en musique par quiconque, un des rares faut-il le dire ; et la seconde, c’est que cela semble être une sorte d’invitation, un rappel à le faire. Qui sait, alors, si nous ne pouvons pas nous aussi aider à trouver quelqu’un qui se décide à le mettre en musique.


On ne sait pas exactement quand et où il est né. Il s’appelait Dimitris Valassoglou et, selon certaines sources, il serait né en 1906 à Constantinople dans une famille grecque ; mais, plus probablement, il serait né à Agia Kyriaki (« dimanche saint »), une petite ville en Asie mineure, le 14 janvier 1912. Dix ans plus tard, en 1922, avec la malheureuse aventure nationaliste de Μεγάλη Ιδέα (la Grande Idée) qui se conclut par la ruine et le déracinement des Grecs d’Asie Mineure, la famille Valassoglou se retrouve parmi les dizaines de milliers de réfugiés qui ont dû être réinstallés en Grèce. Et même à changer son nom de famille. « Valassoglou » présentait ce « -oglou » d’origine turque (« fils de » ) ; il devint ainsi « Valassiadis ». La famille Valassiadis s’installe d’abord à Égine, puis à Edessa et enfin dans le village d’Exaplatanos, près de Pella. Le très jeune Dimitris, connu sous le nom de « Takis », a connu une adolescence de chien, trimant comme une mule : dès son enfance, il fut marmiton, cireur de chaussures et autres métiers de ce genre, gagnant même un peu d’argent comme enfant de chœur et alphabétiseur dans le village d’Almopia. Il a également passé du temps sur un chantier de construction en tant qu’ouvrier. En attendant, et nous ne savons pas comment, il a continué à aller à l’école. À l’âge de 15 ans, il s’était affilié au Parti communiste grec, ce qui lui avait coûté son expulsion immédiate pas seulement de l’école qu’il fréquentait, mais de l’ensemble du système scolaire grec. Il a quitté sa famille (qui, entre-temps, avait fait faillite) et a commencé à errer dans le pays, d’abord à Edessa, puis à Volos, dans un orphelinat public. Puis, encore une fois, à Kozani, à Volos avec une bande de vagabonds et, enfin, à Athènes. Il publia ses premiers poèmes à l’âge de 15 ans en 1927, dans la revue « Agrotiki Idea » d’Edessa. Tout au long de cette période terrifiante, il continua à écrire des poèmes et des essais littéraires ; à Athènes, il rencontra Kostas Varnalis, Angelos Sikelianos et Miltiadis Malakassis, qui avaient reconnu son talent. En 1938, Varnalis et Sikelianos l’aidèrent à publier un recueil de nouvelles, Τα πλοία δεν άραξαν (Les navires ne sont pas amarrés), qui remportèrent immédiatement un grand succès et reçurent même un important prix littéraire d’État ; en même temps, Malakassis lui avait trouvé une place comme bibliothécaire dans un important cercle littéraire athénien, le Αθηνάικη Λέσχη (Club athénien). Avec le montant du prix et son nouvel emploi, Valassiadis a pu se refaire un peu financièrement. Depuis 1934, il avait commencé à publier des poèmes et des histoires sous le pseudonyme de Ménélas Lountemis ou Loudemis : « Loudemis » vient du nom de Loudias, la rivière qui coulait dans le village d’Agia Kyriaki où il était (peut-être) né. Avant la guerre nazi-fasciste et l’occupation de la Grèce, Valassiadis/Loudemis est également devenu membre de l’Union des écrivains grecs, alors présidée par Nikos Kazantzakis.
« Né » et resté communiste, Menelaos Loudemis (comme nous l’appellerons désormais exclusivement) s’est immédiatement engagé dans la Résistance ; il a notamment été secrétaire général de la section intellectuelle de l’EAM, le Front hellénique de libération. Comme on le sait, la « Libération » du nazifascisme, en Grèce, a été immédiatement transformée, à partir des Événements de Décembre (Δεκεμβριανά, dekemvrianá) 1944, en guerre civile. En 1946, Menelaos Loudemis fut arrêté, jugé et condamné à mort pour « haute trahison », mais la peine fut commuée en déportation. Comme des milliers de communistes et d’opposants, Loudemis a appris à connaître les îles arides, en particulier à Makronissos, puis à Ai-Strati (Agios Efstratios), où il était détenu avec Yannis Ritsos et Mikis Theodorakis. Il a été libéré en 1955, mais ce n’est pas pour ça qu’il put recommencer à écrire et à publier librement. En 1958, son mémoire de prison intitulé « Βουρκωμένες μέρες – Des Jours pleins de larmes » a été séquestré dès sa publication et interdit par la loi.
En 1967, après le coup d’état des Colonels du 21 avril, Menelaos Loudemis réussit à s’échapper ; il trouva l’hospitalité, oui, dans la Roumanie de Nicolae Ceauşescu. Dès ce temps, il a été privé de la nationalité grecque et a obtenu la nationalité roumaine. Ayant appris la langue roumaine à la perfection, il a traduit en grec plusieurs livres d’auteurs de ce pays ; en même temps, il a fait des voyages en Chine et au Vietnam. Il séjourna un certain temps en Roumanie, même après la fin de la dictature en Grèce. La nationalité grecque lui a été officiellement restituée en 1976 et Menelaos Loudemis est rentré en Grèce. Il n’avait plus beaucoup de temps à vivre : le matin du 22 janvier 1977, il a été frappé par une crise cardiaque foudroyante.
Le poème « Auschwitz », est présenté ici pour la première fois en italien (et dans ces deux versions, probablement aussi en français ; ici même), a été écrit en août 1947 par Menelaos Loudemis pendant sa déportation et son internement à Makronissos. Il a été publié pour la première fois le 8 septembre 1947 dans la revue Ρίζος της Δευτέρας, c’est-à-dire le « Rizopastis du Lundi »– le Rizospastis était et est le quotidien du Parti Communiste grec. Un poème qui, en Grèce à l’époque, commença une sorte de « long voyage » qui aura duré trente ans, à travers les événements tragiques de toute la seconde moitié du XXe siècle.


Il convient de rappeler qu’en 1947, Auschwitz n’avait été libéré que depuis deux ans (lorsque, le 27 janvier 1945, les troupes de l’Armée rouge sont entrées dans le camp et y ont trouvé ses quelque sept mille survivants). La première ébauche du poème contenait déjà son idée maîtresse : Auschwitz n’existait plus. Il n’était plus là où il était autrefois : il avait disparu. Il était parti. Il avait émigré. En Grèce, exactement. Le poème « Auschwitz », bien qu’il contienne dans sa première partie une des plus belles et touchantes descriptions poétiques de la tragédie du camp de concentration nazi, n’est pas en réalité un poème sur Auschwitz lui-même, mais sur le nouvel Auschwitz des camps de concentration des terribles îles grecques, que Menelaos Loudemis a vécu en direct avec des milliers d’autres prisonniers de la guerre civile. Auschwitz, à cette époque, n’était plus dans les plaines du sud de la Pologne, mais à Makronissos, Ikaria, Psyttalia, Gyaros (Gioura). Une nuit, il (Auschwitz) avait été réveillé dans les baraquements et avait été transféré en Méditerranée. Les gardiens anglais (parce que dans la guerre civile grecque, il sera toujours bon de se rappeler, la principale « collaboratrice » des forces de droite était Sa Majesté britannique ; la guerre froide qui vient de commencer était immédiatement très chaude, en Grèce) étaient bien formés à l’école des tortionnaires nazis.


C’est, comme je l’ai dit, la première version. En Grèce, elle a une valeur historique, mais ce n’est pas celle qui est la plus connue aujourd’hui. L’histoire, en Grèce (et pas seulement), a eu le destin singulier d’avancer tout en restant où elle était : dans ces îles désolées. Il était nécessaire d’actualiser radicalement la poésie à la lumière des événements ; c’est ce que Menelaos Loudemis a fait au tournant des années 60 et 70, alors que la Grèce était sous la dictature militaire fasciste et qu’il était exilé dans le « rempart de la liberté » qu’était la Roumanie. C’était le « XXe siècle ». The Short Century – Le Siècle court, comme on l’appellera toujours d’après Eric Hobsbawm (qui, soit dit en passant, était juif et communiste – il lui manquait seulement d’être un nègre). La version mise à jour d’« Auschwitz » ; ici, la seconde version) a été publiée par les magazines « Doriko » et « Nea Grammata » (« Nouvelles Lettres ») après la fin de la dictature en Grèce ; elle a certainement conservé l’approche de base de la version originale désormais lointaine, mais Auschwitz ne s’était pas encore installé en Grèce. Bien sûr, également en Grèce : les îlots, avec toutes leurs lagers, avaient été dûment réactivés en 1967, et il y avait ceux – comme Yannis Ritsos et Mikis Theodorakis – qui s’y étaient à nouveau retrouvés (« Pierres, Répétitions, Barres » est le titre d’un recueil poétique de Ritsos composé à partir de 1968 dans les camps de concentration des îles). Mais « Auschwitz », dans la nouvelle version de l’exilé Menelaos Loudemis, avait aussi et surtout déménagé en Asie et en Afrique. Il s’était agrandi. Les nouveaux tortionnaires (qui ne sont d’ailleurs jamais « nouveaux » ) étaient les Américains, compte tenu du fait que le coup d’État grec de 1967 était leur propre œuvre et que nous n’en étions pas loin, même nous-autres, en Italie. C’est un Auschwitz qui, en Grèce, se répète, et qui s’étend au Vietnam, au Congo, au Chili – même si dans le poème, il n’est pas mentionné (peut-être parce qu’il a été écrit avant 1973). C’est un Auschwitz qui – et cela, c’est nous qui le disons – était aussi de l’autre côté, intact ; il était au Goulag, dans d’autres îles arides comme Goli Otok, dans le génocide du Cambodge et dans les lagers chinois. Ensuite en Bosnie, et qui sait combien d’autres parties du monde en sont encore à ce stade. Dans sa deuxième version, l’Auschwitz de Menelaos Loudemis se retrouve également en Alabama un certain temps.
Ayant fait cette longue, très longue introduction, et en attendant que quelqu’un mette en musique l’Auschwitz de ce grand poète grec qui n’a jamais connu la gloire internationale (en Grèce, il est au contraire encore considéré comme l’un des plus grands poètes et essayistes du XXe siècle), il me semblait opportun de présenter les deux versions : l’originale de 1947 et celle qui est actualisée. D’un matin de décembre, pluvieux comme il se doit, au XXIe siècle qui va droit à une reproposition – technologiquement mise à jour et stupide ad nauseam, jusqu’à la nausée – du XXe. [RV]






Auschwitz – Version 1. – 1947


On l’appelait ainsi, un temps.
C’est un magma de cendres, maintenant
Et une terre qui s’est effondrée
Entraînant ses vies en enfer.
Maintenant, chue, la vie s’est liquéfiée
Parmi les épineux, les cendres et la poussière.


Maintenant, on appelle « Auschwitz » des torses
Par les bras des mères abandonnés,
Des baraques remplies de saleté
Et des yeux vides et sans écorce.


Auschwitz ! Ainsi, ils l’appelaient un temps.
Maintenant, c’est une nécropole infinie
Qui a pris ses mots et s’en est allée. Elle est partie,
Laissant derrière soi un spasme glaçant.
Le soir, le vent souffle,
Joue de la flûte dans les crânes
Et les étoiles tristes brillent aux cieux
Des orbites vides des yeux.
Les chauves-souris tôt éveillées,
Dans les ténèbres, rament effrayées


« Auschwitz », ils l’appelaient un temps.
Comme ça, pendant trois ans.
Maintenant, c’est un terrain
Une immense pâture pour vautours
Qui graillent affamés nuit et jour.
Bric-à-brac, pacotille inutile,
Qui se détache, blanche sur l’herbe, des décombres.
Cheveux libres se poursuivant dans les buissons,
Cheveux arrachés pleurant sur leurs cadavres.


Là, se trouvent encore de petites mains squelettiques d’enfants,
Marguerites à cinq pétales, tout ajourées.
Et des chaussures… un déluge de chaussures endeuillées
De petits pieds, petits incroyablement,
Qui cherchent à retrouver l’autre chaussure égarée.


Oui. C’est comme ça qu’on l’appelait autrefois.
Les hommes ont disparu dans les frimas.
Mais cette année, est arrivé le printemps
Il a semé là ses graines sur le camp.
Des dizaines de milliers de coquelicots
Et des fleurs sauvages par monceaux,
Ont richement décoré cette zone –
Dans leurs racines gisent les éclats de rires
Et les frissons de joie des enfants…
Alors, cette année, s’est réveillé le printemps.
Pour cette raison, les papillons, de désespoir
Se sont peint les ailes en noir.
Car là, noir sur le sol noir,
Gît, triste infiniment,
Le regard d’un enfant.


Auschwitz ! Ainsi, ils l’appelaient un temps.
C’est comme ça qu’ils l’appelaient. Maintenant, elle est partie.
Une nuit, elle a pris ses squelettes
Et est descendue, là-bas en Méditerranée.
C’est ici, dans notre péninsule, que pleure maintenant
Son sol, auquel ils ne donnaient plus de nourriture carnée.
Une nuit, elle s’est enfuie sous les yeux de gardes indifférents.
Qui jurent en anglais en jouant au cricket.
Ils jurent et ils s’instruisent
Dans l’art raffiné de Kramer et d’Irma Grese.
Et avant-hier, leur diplôme ils ont obtenu
Et dans leurs avions, ici, ils sont venus .
Avec un vol de corbeaux transhumants.
(Car à Auschwitz depuis longtemps, il pleuvait du sang…)


Ainsi, on l’appelait, en ce temps-là.
Présentement, la Lorelei y plante des pommes de terre,
Car Auschwitz n’existe plus. Là-bas, n’est plus là.
Auschwitz, ils l’ont réveillée comme dans les baraques du lager,
Par une nuit tiède et ils l’ont envoyée en Grèce.
Auschwitz ! Pauvre Majesté déchue ! Pleure à présent.
Ta gloire a été éclipsée définitivement,
Par les grands feux qui s’élèvent de Grèce !
Gyaros, Makronissos, Psyttalia, Ikaria – gloire !
Et toi, Reich, et comment ! Nous t’avons vaincu !


2. Auschwitz : seconde version – 1973 (?)


C’est comme ça qu’on l’appelait. Et c’était
Une usine de production de cendres
Avec l’homme comme matière première.
Maintenant, c’est un immense creuset.
Une surface enfoncée dans la terre
Traînant ses croix en enfer.


Là-bas, la vie s’atrophie
Transformée en herbe !
De tout cela, il n’est resté mie.
À part un souvenir qui erre
Et se perche sur des thorax vides
Et sur les crânes des morts, rêvant de terre.


Auschwitz ! Ainsi, ils l’appelaient un temps.
Maintenant, c’est une nécropole infinie
Qui a pris ses mots et s’en est allée. Elle est partie,
Laissant derrière soi un spasme glaçant.
Et quand le soir chute,
Pan joue de sa flûte
Dans les os venteux
Et les étoiles tristes brillent aux cieux
Des orbites vides des yeux.
Les chauves-souris tôt éveillées,
Dans les ténèbres, rament effrayées.


Ainsi, on l’appelait un temps.
Comme ça, ils l’ont appelée pendant trois ans.
Ce n’est plus à présent
Qu’un terrifié terrain
Où les vautours attardés ont faim.
Là où aux buissons, des cheveux arrachés s’accrochent
Pleurant sur eux-mêmes,
Où de petites mains d’enfants
Blanchissent comme des marguerites. Et des chaussures,
– D’incroyables et fantasmatiques petites chaussures –
Cherchent leurs pieds tremblants.


Ainsi, on l’appelait un temps.
Mais les hommes, poussés par l’oubliance,
Ont appelé le printemps,
Pour qu’il y dépose ses semences,
Qu’il ramène ses oisillons,
Qu’il déploie ses papillons
Et les éclats joyeux des rires des enfants.
Mais cette année, le printemps,
Est venu vêtu d’un désespoir
Et les papillons ont peint leurs ailes en noir.
Car là, noir sur le sol noir,
Gît, triste infiniment,
Le regard d’un enfant.


Ainsi, on l’appelait un temps. Maintenant, elle a fait la belle.
Une nuit, elle a pris ses squelettes
Et s’est enfuie sous les yeux des sentinelles
Qui juraient en anglais en jouant au cricket
Et avec eux…
A fui aussi un vol de freux
Qui se plaignaient d’être à jeun depuis un si long temps
Car à Auschwitz, depuis longtemps, il n’y avait plus de sang.
Auschwitz ! Ainsi, on l’appelait un temps.
La Lorelei ne pleure plus
Dans ce terrain, elle plante des patates au printemps,
Car Auschwitz n’existe plus.


Par une nuit tiède, Auschwitz fut réveillée,
Dans de gros avions, ils l’ont chargée.
Et l’ont portée en Asie et en Afrique.
(Et un peu aussi en Alabama). C’est là que
Maintenant, à l’air, brûlent à nouveau les flammes.
(Mixtes d’animaux, de maisons, de femmes).
Un mélange de tout et de personnes,
Sans la science perfectionnée des « Vons ».
Car, à présent, les « Macs » commandent
Et dans le vieux Sud, des gros lourdauds en bande
Brûlent et massacrent en lançant des hurlements.
Ils ne savent même pas rôtir un enseignant
Avec un peu de Beethoven en arrière-plan.


Et là, maintenant, c’est tout un bazar :
Tuer comme ça, juste pour tuer,
(L’Art pour l’Art…).
Et ma pauvre Auschwitz, ils ont étendu,
L’éventail des meurtres. Ils l’ont augmenté,
Quantité, quantité, quantité !
Ma pauvre Auschwitz, en vérité,
Voilà pourquoi nous avons vaincu.