mercredi 28 juillet 2021

UNE CHANSON POUR MA FILLE

 

UNE CHANSON POUR MA FILLE

 

Version française – UNE CHANSON POUR MA FILLE – Marco Valdo M.I. – 2021

d’après la version anglaise
de la

Chanson polonaise – Piosenka dla córkiMaciej Pietrzyk – 1980




LA FILLE EN ROBE ROUGE

Józef Pankiewicz - 1897



« Piosenka dla córki » est une chanson écrite par Krzysztof Kasprzyk sur une musique de Maciej Pietrzyk pendant la grève du chantier naval de Gdansk en août 1980. C’était l’hymne non officiel du mouvement Solidarité naissant. M. Pietrzyk l’a interprété contre les objections de la censure officielle de l’État lors du Festival national de la chanson polonaise à Opole en 1981. Il l’a également chantée dans le film d’Andrzej Wajda « L’homme de fer ».




Je n’ai pas de temps pour toi maintenant.

Ta mère ne t’a pas vue depuis longtemps.

Attends, grandis encore un petit moment.

Nous te parlerons de ces événements.


De ces jours pleins d’espoir,

Pleins de querelles passionnées et de bavardages,

De nuits d’insomnie dans le noir.

Nos cœurs parlent du courage


De ces gens, qui ont senti

Qu’ils étaient seuls et qui

Ensemble se battent aujourd’hui

Et demain, pour toi aussi.


Alors, patiente et ne te désole pas,

Nous te tiendrons dans nos bras,

Dans notre maison, qui n’existait pas

Car le vrai bonheur n’y était pas.

lundi 26 juillet 2021

La Victoire morale

 

La Victoire morale


Chanson française – La Victoire morale Marco Valdo M.I. – 2021


Épopée en chansons, tirée de L’Histoire du Parti pour un Progrès modéré dans les Limites de la Loi (Dějiny Strany mírného pokroku v mezích zákona) de Jaroslav Hašek – traduction française de Michel Chasteau, publiée à Paris chez Fayard en 2008, 342 p.


Épisode 1 – Le Parti ; Épisode 2 – Le Programme du Parti ; Épisode 3 – Le Fils du Pasteur et le Voïvode ; Épisode 4 – La Guerre de Klim ; Épisode 5 – La Prise de Monastir ; Épisode 6 – La Vérité sur La Prise de Monastir ; Épisode 7 – Le Parti et les Paysans ; Épisode 8 – Le Premier Chrétien ; Épisode 9 – Le Provocateur



Épisode 10






IM MÜNCHNER HOFBRÄUHAUS,

DANS LA BRASSERIE DE MÜNICH

Philip Alexius de Laszlo – 1892





Dialogue maïeutique


Je dois t’avouer, Lucien l’âne mon ami, que lorsque je me suis lancé dans cette série de chansons – qui sont faites au fur et à mesure de leur apparition et qui se doivent de narrer L’Histoire du Parti pour un Progrès modéré dans les Limites de la Loi, j’étais un peu incertain de mener cette épopée bien loin et surtout, de pouvoir lui donner une pertinence et une profondeur suffisantes pour intéresser le lecteur curieux. Quand je dis suffisantes, c’est par rapport à ce que j’en attendais, à ce que j’imaginais qu’elle pourrait découvrir.


Ah, dit Lucien l’âne, je pense qu’Homère a essuyé les mêmes doutes quand il s’est lan à son tour dans l’élaboration de ses épopées ; je veux dire L’Iliade et L’Odyssée. Je précise tout de suite que tu n’es pas tenu d’atteindre pareils sommets. C’est finalement juste question de s’y mettre et de s’y tenir suffisamment longtemps ; d’autant que tu l’as déjà fait. Je songe à l’Arlequin amoureux, aux Chansons lévianes, aux Histoires d’Allemagne, à Dachau Express, à La Geste de Liberté. Et puis, ce qui ne paraît nulle part qu’entre nous et qui est ta version française de Shakespeare, celle que tu fais pour t’amuser, pour – comme on dit – ton édification personnelle ; jusqu’à présent, seulement, on a parcouru ensemble : Le Songe d’une Nuit d’Été, Roméo et Juliette, Hamlet, Macbeth, Le Roi Lear et Les Joyeuses Commères de Windsor. Oh, je te suis, même là. Si, si, j’ai vu passer les sorcières, les fées, le fantôme, Hamlet, Lear, Cordélia, Kent, Roméo, Juliette, Falstaff et je suppose que tu n’as pas envie d’arrêter. Quand on y songe, Shakespeare, c’est quand même beaucoup.


Ho !, Lucien l’âne mon ami, la cour est pleine, n’en jette plus. Pour en revenir à la chanson du jour, il y a énormément à en dire et je ne t’en dirai qu’une partie, à charge pour toi d’en trouver le reste dans ton cerveau d’âne et dans ce magma qui le remplit et que généralement, on appelle culture ou pensée ; c’est selon. Venons-y. D’abord, son titre La Victoire morale, pour en donner le sens et la portée, on attendra la fin de la chanson. Primo, le Parti. Oui, le Parti comme tous les partis est à la recherche de la popularité, sinon, il ne serait pas en lice politique. Donc, d’un côté, il y a l’opinion générale, celle qui pense bien, mais pas nécessairement politique et de l’autre, les nécessités du genre électoral. Comme dans les affaires, il y a ce qui correct, moral et il y a les affaires qu’il faut faire quand on est en affaires. Le Parti affirme hautement son attachement aux volontés de la population et d’autre part, il cherche des partisans et des électeurs. Ainsi à l’encontre de sa profonde moralité, il s’astreint à tenir ses réunions dans des débits de boissons : bistros, auberges, tavernes, caves à bières et bien entendu, autre hofbrauhauss, retiens bien ce mot.


« Sans boisson, un nouveau parti reste rachitique,

Car l’alcool est le lait de la politique. »


Oh, dit Lucien l’âne, la chose n’est pas nouvelle, on se soûlait déjà dans la plus haute Antiquité.


Ensuite, avec le deuxième dizain, comme d’habitude ici, il y en a quatre, dit Marco Valdo M.I. ; pour celui-là, il te faudra faire un effort de danseuse étoile, une sorte de grand écart entre l’homme des tavernes et l’homme des cavernes. Comme tu le sais, l’homme des cavernes, c’est en quelque sorte, façon de parler, ce bon vieil ami qu’était (pour toi qui l’as porté sur ton dos) l’homme de Cro-Magnon. Ensuite vient le passage où on découvre que le Parti d’Hašek (Parti pour un Progrès modéré dans les Limites de la Loi) n’a rien, rien de rien de commun avec certain parti national social, né dans une brasserie pragoise ou avec celui qui naîtra également dans une brasserie munichoise des années et une guerre mondiale plus tard. Comme on le voit dans la chanson, les relations et les idées de ces partis sont plutôt antagonistes.


« Au meeting du Parti social national,

On nous chassa à coups de horions. »


Évidemment, dit Lucien l’âne, comment un être pensant peut être en accord avec ces gens-là et leur façon de


« pratiquer la liberté fondamentale

De parole et de réunion. »


Et c’est ainsi, Lucien l’âne mon ami, que le Parti parvint à la victoire morale. Un concept assez proche de la défaite honorable. C’est une grande leçon de politique électorale destinée aux nouveaux arrivants sur la scène et la conclusion est péremptoire : il faut du temps pour s’installer sur l’éventail politique, pour jouer un rôle significatif dans la pièce du monde ; il y faut aussi la volonté d’y arriver envers et contre tous. Bref, il faut le temps et c’est un temps long, qui se compte en dizaines d’années, qui met à l’épreuve la constance de générations entières.


Et souvent même, interrompt Lucien l’âne, la chose se révèle inutile ; pour preuve, La fille de Madame Angot le disait elle-même :


« Ce n’était pas la peine,

Ce n’était pas la peine,
Non pas la peine, assurément
De changer de gouvernement ! »


de façon aussi incongrue que de dire dans les Chansons contre la Guerre que la Grande Duchesse du Gerolstein aimait les militaires (J’aime les militaires). Elle vaut la peine celle-là d’être reprise dans un répertoire contre la guerre. En fait, toute la duchesse et il vaudrait la peine aussi de parcourir l’opéra de l’avant-dernier siècle. Soit, il faut en avoir le temps, mais quand même.


Laisse-moi cependant te dire, Lucien l’âne mon ami, comment on parvient à la victoire morale et quel en est le prix. En fait, on y arrive toujours par la défaite, la défection, la fuite, car la chanson a raison :


« les idées nouvelles entrent mal dans la tête des gens ».


Certes, dit Lucien l’âne, on en restera là, mais crois-moi, tu as encore fait une chanson, dont je ne sais si elle est bonne ou mauvaise, mais une chose est sûre, elle est. D’ici que la Guerre de Cent Mille Ans cesse, nous avons le temps ; alors tissons le linceul de ce vieux rhumatisant, guerrier, belliqueux (de cheval), ennuyeux, féroce, injuste, inique et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient, Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Sans boisson, un nouveau parti reste rachitique,

Car l’alcool est le lait de la politique.

À l’époque où le Parti est né, il régnait

Dans le peuple, une solide aversion pour les abstinents.

Par principe, à l’encontre de l’opinion, le Parti n’allait jamais ;

Ainsi, contre ses principes, le Parti dut suivre le courant

Et tenir les réunions plénières, ordinaires et extraordinaires

Dans un lieu où on sert de l’excellente bière.

Le Parti établit alors ses permanences

Au Litre d’Or, une auberge de toute confiance.


En politique prospère l’homme des tavernes,

À ne pas confondre avec celui des cavernes :

En ces lointains temps préhistoriques,

On ne faisait pas encore de politique.

Le Parti est convaincu en conscience et en âme

De la nécessité d’avoir un programme

D’affirmer et de pratiquer la liberté fondamentale

De parole et de réunion.

Au meeting du Parti social national,

On nous chassa à coups de horions.


Naturellement, le Parti vit

Pour l’emporter sur ses ennemis.

Ainsi, la victoire, la victoire,

La victoire est son plus grand espoir.

La raison d’être du Parti est la victoire,

Mais il y a victoire et victoire.

Pour la majorité, la victoire est facile :

C’est la victoire globale.

Pour la minorité, la victoire est difficile :

C’est la victoire morale.


Un parti neuf est minoritaire et inconscient

De l’âpreté de la lutte, du combat, de la confrontation.

Il a des idées, des volitions, des sentiments ;

Il est pour la paix, il est plein de bonnes intentions ;

Un bel enthousiasme soutient le nouveau concurrent,

Une ambition civilisatrice nourrit ses slogans,

Mais les idées nouvelles entrent mal dans la tête des gens :

La promotion intellectuelle est dure physiquement.

Aux partisans, il faut souvent des soins urgents.

Sauf accident, un parti débutant vaincra moralement.


lundi 19 juillet 2021

LE GRAND POÈTE SOVIÉTIQUE MAÏAKOVSKI ET LA DÉCOUVERTE DE L’AMÉRIQUE

 

LE GRAND POÈTE SOVIÉTIQUE MAÏAKOVSKI

ET LA DÉCOUVERTE DE L’AMÉRIQUE



Version française – LE GRAND POÈTE SOVIÉTIQUE MAÏAKOVSKI ET LA DÉCOUVERTE DE L’AMÉRIQUE – Marco Valdo M.I. – 2021

Chanson italienne – (Il grande poeta russo) Majakovskij e la scoperta dell'AmericaClaudio Lolli – 2006


Texte et musique de Claudio Lolli

Paroles et musique de Claudio Lolli

Sax soprano : Nicola Alesini

Album : La découverte de l’Amérique

 

 

 



Les Hooliganistes communistes


Vsevolod MEYERHOLD,


Vladimir MAÏAKOVSKI,


Kasimir MALÉVITCH



Dialogue maïeutique


Voici, Lucien l’âne mon ami, une chanson dont le titre est en soi toute une histoire. Écoute-moi bien ça : « LE GRAND POÈTE SOVIÉTIQUE MAÏAKOVSKI ET LA DÉCOUVERTE DE L’AMÉRIQUE » ; du moins, c’est celui que j’ai donné à la version française. Je te dirai tout à l’heure pourquoi. Mais avançons : un des pôles de cette histoire est la découverte de l’Amérique et la belle légende des Amérindiens paradisiaques, qui tranquillement installés sur leur terre d’origine et immaculée sont un jour – censément de l’année 1492, découverts.

Oui, dit Lucien l’âne, on raconte aussi, par ailleurs, que ces mêmes Indiens – qui d’ailleurs n’en étaient pas – en voyant arriver les caravelles espagnoles s’écrièrent en voyant venir les étrangers : « Ciel ! Nous sommes découverts ! »


De fait, reprend Marco Valdo M.I., comme le dit la chanson, ils étaient nus. La civilisation chrétienne arrivait ; on allait s’empresser de leur mettre une culotte et de procéder à leur éradication. L’autre pôle est celui de poètes russes qui au temps des Soviets révèrent d’absolu et de paradis, eux aussi. Comme on sait, ni le rêve américain, ni le rêve soviétique n’ont tenté véritablement d’aller vers l’idéal que leurs admirateurs leur prêtaient, ni n’ont empêché ces poètes de se suicider.


En fait, dit Lucien l’âne, c’est l’idéal qui est l’impasse ; il n’y a pas de téléologie. Certes, le monde change, mais de lui-même et le sens de la manœuvre ne peut être défini qu’a posteriori. Pour en revenir un instant aux Indiens, qui n’en étaient pas, ils avaient eux-mêmes envahi le continent quelque temps auparavant et on ne sait trop rien des guerres coloniales qu’ils menèrent les uns contre les autres. Ce n’était évidemment pas une raison de les massacrer ; mais là aussi, n’est-ce pas « la civilisation » en tant que telle avec son mode de vie et tout son bagage qui a amené leur disparition ?


En somme, dit Marco Valdo M.I., on peut très exactement dire où le monde va aller quand il y est allé. D’où l’importance du récit historique. Maïakovski est allé en Amérique (il n’est d’ailleurs pas le seul, comme on sait) et il en est revenu. Ce n’est pas le cas de tous les écrivains russes ; par exemple, Asimov est allé en Amérique et il y est resté et de façon générale, il s’y sentait chez lui. Par contre, on a vu des écrivains allemands ou de langue allemande faire l’aller (exil obligatoire – mettons Bertolt Brecht, Thomas Mann) et revenir ; d’autres, y sont allés et y sont restés – suicidés : Stefan Zweig, Ernst Toller. Klaus Mann qui n’a pas bien supporté ce déracinement forcé, se suicidera au retour en Europe. C’est ce que fera Maïakovski, d’une balle dans le cœur. Le poète futuriste avait cru en la révolution soviétique ; puis, il était allé voir ailleurs – le pays des gens contents, pour voir à tout hasard si. Il avait connu :


« Au-delà des nuages rouges de couleur

D’immenses plaines de la douleur

Qui vit sur vous, comme un toit,

Où survivant vous marchez

Au milieu d’éclairs toujours plus obscurs »


et il s’en était allé voir :


L’économie du capital,

Ce vertige amoral

Entre le bien et le mal.

Et ainsi, on a découvert l’Amérique,

Le paradis des divertissements,

Une terre lointaine et lunatique,

Le pays des gens contents. »


Partout, le désenchantement.


Oh, dit Lucien l’âne, c’est le sort de tous les mystiques, de tous les croyants qui vivent pour l’inaccessible étoile – inaccessible, car inexistante ; au bout du compte, la vie est passée et ils héritent de la mort. Tu parles d’un héritage ! Finalement, les barbeaux de Gilles, dans une chanson que tu avais parodiée en l’intitulant la chanson des chômeurs, d’une certaine manière, avaient raison :


« Nous, on aime mieux un peu de dérive
Et alors, quoi ? Faut bien qu’on vive
Faut bien qu’on vive ! »


C’est simple pourtant, Ferré le disait aussi bien :


« On vit on mange et puis on meurt ;
Vous ne trouvez pas que c’est charmant
Et que ça suffit à notre bonheur
Et à tous nos emmerdements. »

Moi aussi, Y en a marre. Résumons : on vit, on meurt et entre les deux, on se démerde. Alors, tissons – Canuts et Pénélopes tranquilles, lents et obstinés, le linceul de ce vieux monde errant, barcolant, louvoyant et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane









Vous voyez d’un côté de l’écran,

De pacifiques indigènes chasser

Ils sont nus, et comme les enfants,

Ils n’ont pas honte de marcher

Car le péché, le « Vous ne pouvez pas ! »,

Ces gens-là ne le connaissent pas.

Et ainsi, on a découvert l’Amérique,

Le paradis des divertissements,

Une terre lointaine et lunatique,

Le pays des gens contents.


De l’autre côté de l’écran, vous voyez

Des navires nationaux et des bateaux corsaires,

Aux voiles par le vent gonflées,

Avec une terreur qui promet la guerre,

Signe invariable de l’extinction,

Votre vie vit en une main de terre,

Votre mort, dans le canon.

Avec cet ostracisme occidental,

L’économie du capital,

Ce vertige amoral

Entre le bien et le mal.


Et si vous ouvrez cet écran, vous voyez

Des appareils numériques japonais,

Des photos croisées dans votre esprit

Et Maïakovski, le grand poète soviétique,

Déchirer la joie des jours utopiques,

Car il avait découvert l’Amérique

De ses yeux sceptiques.


Et Essénine son ami prophétique,

Que mourir aujourd’hui n’est pas difficile,

Qu’est mille fois plus difficile

La vie, la vie, la vie chaotique,

Avec cet ostracisme occidental,

L’économie du capital,

Ce vertige amoral

Entre le bien et le mal.

Et ainsi, on a découvert l’Amérique,

Le paradis des divertissements,

Une terre lointaine et lunatique,

Le pays des gens contents.


Mais si on sait aussi traiter le ciel, on voit

Au-delà des nuages rouges de couleur

D’immenses plaines de la douleur

Qui vit sur vous, comme un toit,

Où survivant vous marchez

Au milieu d’éclairs toujours plus obscurs

Ou arrachant au terrain des baies,

On voit la joie des jours futurs.


Car c’est le fruit de l’Amérique,

Ce paradis des divertissements

Où seuls les poètes soviétiques

Meurent d’accablement.

Pour ces larmes de l’Occident

Qui se contentent de la vengeance,

Pour la joie des jours au-delà du présent,

Il n’y a pas d’urgence.


mardi 13 juillet 2021

Le Provocateur

 

Le Provocateur


Chanson française – Le Provocateur Marco Valdo M.I. – 2021


Épopée en chansons, tirée de L’Histoire du Parti pour un Progrès modéré dans les Limites de la Loi (Dějiny Strany mírného pokroku v mezích zákona) de Jaroslav Hašek – traduction française de Michel Chasteau, publiée à Paris chez Fayard en 2008, 342 p.


Épisode 1 – Le Parti ; Épisode 2 – Le Programme du Parti ; Épisode 3 – Le Fils du Pasteur et le Voïvode ; Épisode 4 – La Guerre de Klim ; Épisode 5 – La Prise de Monastir ; Épisode 6 – La Vérité sur La Prise de Monastir ; Épisode 7 – Le Parti et les Paysans ; Épisode 8 – Le Premier Chrétien


Épisode 9



L’ESPION

Marc Chagall – 1935 (?)




Dialogue maïeutique


Cette fois, dit Marco Valdo M.I., le titre de la chanson « Le Provocateur » est on ne peut plus explicite et ne laisse planer aucun doute sur la nature du personnage qu’elle présente. Il s’agit de ce Monsieur Mark à propos duquel s’interrogeait la chanson précédente :


« On vit venir alors Monsieur Mark,

Un brave homme, père de six enfants.

Qui était ce Monsieur Mark ?

On devait l’apprendre rapidement. »


En effet, répond Lucien l’âne, c’est assez clair. Cependant, si ce personnage est un provocateur, il s’agit de savoir de quel genre de provocateur il s’agit ; car, je n’apprendrai certainement rien à personne en précisant qu’un provocateur – au sens où on l’entend dans le domaine politique ou dans la Guerre de Cent Mille Ans que les riches et les puissants font aux pauvres et aux plus faibles – un provocateur, donc, peut agir ouvertement ou sournoisement, peu importe, dans l’intérêt de l’un ou l’autre camp. Du côté des révoltés (appelons-les ainsi), une provocation peut avoir pour objectif de déclencher un mouvement de grande envergure et transformer une manifestation censément calme en un tohu-bohu indescriptible qui peut rapidement tourner à l’émeute. À l’opposé, d’une autre manière, une provocation peut être utilisée pour amener des gens à dévoiler leurs intentions et leurs véritables ambitions. De toute façon, il y a encore d’autres subtilités telles que par exemple, une provocation effectuée (secrètement) par certain groupe (le parti nazi mettant le feu au Reichstag) et attribuée aux adversaires.


Je vois, dit Marco Valdo M.I., que tu connais le phénomène de la provocation et que tu en déduiras aisément que celui qui opère une manœuvre de cette sorte porte le nom de provocateur.


C’est bien comme ça que je l’entends, dit Lucien l’âne, mais ne peux-tu en dire plus ?


Certes que si, Lucien l’âne mon ami ; le provocateur dont la chanson relate la mission manquée est ce Monsieur Mark qui avait – au pied levé – remplacé Monsieur Kopek – « Le Premier Chrétien », lequel avait été le premier à tenter de s’immiscer dans le Parti. L’un comme l’autre, je le confirme, sont des espions, des agents de la Sûreté et des saboteurs. Ils cherchent à pousser le Parti ou certains de ses membres à la faute afin de pouvoir les faire arrêter. Cette opération n’est pas vraiment originale, dit Lucien l’âne, et elle est fort pratiquée dans les régimes politiques forts ou dans ceux communément appelés, régimes policiers.


Oui, dit Lucien l’âne, c’est une façon de faire répandue dans les dictatures et dans les États à Parti unique ; bref, dans les régimes totalitaires ou en passe de le devenir. Elle aussi pratiquée par certains groupes ou partis en vue d’accéder au pouvoir ou de nuire à leurs adversaires. Ça tient à la conception que l’on a du monde et de la liberté.


Avant de conclure, Lucien l’âne mon ami, je voudrais te rassurer à propos du destin de ce pauvre Monsieur Mark et t’assurer qu’il a eu beaucoup de chance de tomber dans une réunion de membres du Parti pour un Progrès modéré dans les Limites de la Loi, lesquels ne l’ont ni frappé, ni torturé, ni tué ; ils l’ont simplement remis à la police.


Ah, dit Lucien l’âne, je me réjouis de voir comment cette affaire se termine, car il doit y avoir là une surprise. Enfin, tissons le linceul de ce vieux monde secret, curieux, malicieux, sournois et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient, Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Un homme s’était assis à notre table ;

Sûr de son incognito, la mine ravie,

Il s’invitait ; il lui serait agréable

De converser en notre compagnie.

On ne le connaissait ni de Dieu, ni du Diable ;

Sauf Frank, notre secrétaire, neveu du préfet.

« C’est Mark », nous souffla Frank en catimini.

Du coup, on a tous su ce qui se passait,

D’où ce mystérieux Mark venait

Et ce que ce quidam venait quérir ici.


On nous l’apprit plus tard :

Pour cette besogne mercenaire,

Mark touchait cinq couronnes par soir –

En plus de son maigre salaire

De simple employé au commissariat.

Cinquante-deux florins par mois,

Avec une femme et six enfants à nourrir

C’était un supplément nécessaire

Et un travail facile à faire :

Juste s’asseoir, parler et laisser discourir.


Maheu dit alors : « C’est convenu. »

« Est-ce qu’ils savent déjà tout ? »

« Oui. », dit l’ingénieur Kun, « Tout ,

Et de Moravie, tout un groupe est venu. »

« Les Moraves sont de notre côté, »

Dit Mark, « et l’Empereur Ferdinand,

Est un Habsbourg et un tyran.

Ils avaient raison nos Frères tchèques révoltés

De défenestrer les hommes du roi,

De chasser les jésuites et les soldats. »


Alors, nous tous ensemble, on l’accusa

« Vous avez dit ci, vous avez dit ça. » ,

Vous blasphémez le seigneur et la religion,

Vous clamez même, « Vive la révolution ! »

Vous nous incitez à l’athéisme,

Vous nous poussez à l’anarchisme.

Frank dit : Je suis le neveu du préfet.

Monsieur l’agent, arrêtez ce trublion,

Menez-le tout droit en prison !

Et Mark disparu ainsi à jamais.