samedi 23 novembre 2019

L’Ombre du Régiment


L’Ombre du Régiment


Chanson française – L’Ombre – Marco Valdo M.I. – 2019

ARLEQUIN AMOUREUX – 24

Opéra-récit historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola « Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J. Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de l’édition française de « LES JAMBES C’EST FAIT POUR CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez Flammarion à Paris en 1979.



Dialogue Maïeutique

Sais-tu, Lucien l’âne mon ami, ce qu’on nomme une pimprenelle ?

Évidemment, Marco Valdo M.I., j’en mange même souvent. C’est une herbe fort goûteuse au demeurant.

Hou la, Lucien l’âne mon ami, ce n’est pas de cette pimprenelle-là que je voulais parler ; cependant, tu as raison et comment en irait-il autrement, étant donné que la pimprenelle est une plante sauvage des prairies et de plus, assez répandue. Ce n’est pas non plus de l’herbe médicinale qu’il est question ici, mais de la pimprenelle, telle qu’elle est désignée en argot, autrement dit, une jeune fille un peu niaise, un peu réservée, un peu timide comme l’est précisément Barbora, dont notre Arlequin pense :

« Elle rêve d’un mot gentil, d’une ritournelle ;
C’est encore une enfant, c’est une pimprenelle »

Ah, je vois très bien ce qu’il doit ressentir, répond Lucien l’âne. On dirait qu’il cultive une sorte de sentiment paternel. Cela dit, qu’en est-il du reste ?

Comprends-moi, Lucien l’âne mon ami, si j’ai commencé par cette question à propos de la pimprenelle, c’était pour que tu ne t’égares pas dans les considérations complexes à ce sujet.

C’était une bonne idée, répond Lucien l’âne, et je t’en remercie. Maintenant, qu’en est-il de l’aventure, car quand même, dans le titre, il est question de l’ombre du régiment ; une ombre que je suppose inquiétante comme l’ombre d’un nuage qui se profile au-dessus de la prairie au ciel d’été, juste avant l’arrivée de l’orage.

Pour ce qui est de cette ombre, répond Marco Valdo M.I., tu ne te trompes pas ; c’est une ombre prémonitoire. Pour le reste, Matěj et Barbora ont repris leur travail dans les prés au matin et ils ont poursuivi cette fenaison toute journée. Ils viennent de terminer et se posent à même les meules. Toutefois, Barbora a l’air ailleurs, comme si quelque chose la rongeait et Matthias tente de la distraire et comme tu le sais, en la matière, c’est un expert. Elle commence par rire et soudain, elle fond en larmes, hoquetante et prise de sanglots irrépressibles. Matthias ne sait trop que faire de cette enfant qui lui tombe quasiment dessus, qui se met sous sa houlette ; à lui, le déserteur condamné à l’errance. L’ombre du régiment ne lui laisse pas trop la possibilité d’être un parent de remplacement. C’est sur ce dilemme que s’arrête la chanson.

Oh, dit Lucien l’âne, deux réflexions. La première, c’est que cette fin qui débouche sur un précipice est une manière de faire que l’on trouve dans ce qui fut pendant longtemps, le plus grand succès de la presse : le feuilleton et ce même procédé qui est actuellement usé par les « séries ». En somme, c'est suite au prochain numéro. La seconde est plutôt une question : Matthias ne devine-t-il pas quel sombre nuage a frappé la jeunesse de Barbora ?

Eh non, Lucien l’âne mon ami, et pour cause. D’ailleurs, tu demandes ça, car toi, tu sais déjà la chose : ce pieu qui a rendu le coq aveugle et fait saigner Barbora ; mais, rappelle-toi, Matthias, lui, à ce moment, il n’était pas là ; il dormait dans une meule à l’écart de la ferme, rapport au monde qui était venu pour la noce de Lukas et de Rosalie. Ah, s’il avait été là, les choses auraient pu être différentes.

Oui, dit Lucien l’âne, on ne sait pas. À présent, tissons le linceul de ce vieux monde doux amer, mi-figue – mi-raisin, mi-folie – mi-raison, joyeux et triste et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



La journée des foins touche à sa fin.
Travail fait, il est temps d’une pause.
Et Barbora sur la meulette se pose ;
Recrue, elle sourit aux horizons lointains.

Pour distraire l’enfant, Matthias sort son mouchoir
D’Arlequin, et met au jour, venue de nulle part
Une fée guillerette, une menue marionnette ;
Fringante, elle fait la révérence et secoue la tête.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

Et la poupée babille, chute et cabriole.
Barbora rit, rit et rit encore
Et soudain, elle se convulse sur le sol.
Raidie, elle pleure, pleure et sanglote encore.

Toute recroquevillée, noyée dans ses pleurs,
Sur sa bouche, les poings serrés
Endiguent les hoquets de sa secrète douleur.
Matthias perdu tente de la consoler.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

Et Arlequin songe : « S’occuper d’elle ?
Elle rêve d’un mot gentil, d’une ritournelle ;
C’est encore une enfant, c’est une pimprenelle
Et je n’ai pas la fibre maternelle. »

Matěj, poussin éclos d’un œuf noir,
Il faut partir et c’est urgent.
Il n’est plus temps d’un espoir,
Matthias, il faut fuir l’ombre du régiment.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.