Le
Vent souffle
Lettre
de prison 2
Canzone
léviane – Le Vent souffle – Marco Valdo M.I. – 2019
Dialogue
Maïeutique
Lucien
l’âne mon ami, ces lettres du prisonnier Levi sont assez
singulières. Comme on va s’en apercevoir au fur et à mesure qu’on
les découvrira, elles se ressemblent et elles ressortissent
apparemment à la banalité la plus quotidienne.
Oh,
dit Lucien l’âne, c’est assez normal si on y réfléchit un peu
à ce qu’est le quotidien du prisonnier, qu’il soit Carlo Levi
n’y change pas grand-chose. C’est d’ailleurs une des
caractéristiques du temps de prison : il est indifférent et
banal. Il ne s’y passe rien que sa propre répétition, il n’y
passe que des heures qui se suivent à l’aveuglette. Avec le temps,
elles finissent par distiller un insondable ennui.
Sans
doute, reprend Marco Valdo M.I., mais nous n’en sommes pas encore
là. Le prisonnier Levi vient seulement d’arriver et comme on le
connaît, il va s’efforcer de comprendre sa situation et d’y
apporter certaines améliorations. Cependant, je vais rompre avec ma
propre règle et te faire une sorte d’analyse de cette chanson ;
chose que j’ai faite de temps en temps, mais à vrai dire,
rarement. Mais il me faut immédiatement ajouter qu’il ne s’agit
nullement de didactisme, il ne s’agit pas de dire comment il faut
comprendre ou penser ; à la vérité, ce sont de feintes
explications, c’est juste l’occasion de meubler notre dialogue,
de lui donner un peu de consistance. Comprends-moi, un dialogue où
on ne dit rien ne peut exister. En ce sens, il faut dire, il faut
parler et peu importe ce qui y est dit, peu importe la manière.
À
chacun la sienne, opine Lucien l’âne. Dès lors, je t’en prie,
va ton chemin comme le vent te pousse.
Ainsi
que tu pourras le constater à l’usage, Lucien l’âne, chaque
chanson de ces Chansons de Prison comporte 5 quintils, qui forment
chacun une entité autonome.
Oh,
dit Lucien l’âne, je le connais ce quintil, c’était déjà lui
qui souvent servait aux ballades anciennes, on l’appelait alors
cinquain ou chinquain.
Soit,
dit Marco Valdo M.I., c’est celui-là même. Comme dans une
conversation ordinaire qui démarre, celui du début parle du temps
et règle la question de l’intendance :
« J’ai
froid, je me réchauffe à peine ;
Il me
faudrait des chaussettes de laine »
Dans
le second, commence un double mouvement : la revendication et
l’affirmation de son statut d’artiste. On verra plus tard que ce
n’est pas un hasard ; c’est sa ligne de défense qu’il
installe. Le message est vers l’extérieur : je vais prétendre
que je suis un artiste et rien d’autre.
« J’ai
demandé de pouvoir peindre ;
Il me
faut des pinceaux, de l’huile de lin »
Le
troisième est la voix même de l’innocence empêchée de se
défendre, qui ne sait ce qu’on lui reproche et aussi, un message
aux « amis » :
« Qui
donc nous a calomniés ? »
Le
quatrième est ironique et tourne l’arme de la moquerie vers les
mesures qui le frappent. Il ridiculise les interrogatoires en
laissant entendre – comprend qui peut, comprend qui veut – qu’il
ne s’y dit rien d’intéressant.
« Les
interrogatoires font passer le temps. »
Dans
une analyse plus historique et politique, Carlo Levi fait savoir
qu’il est suspecté d’être en contact avec ses « amis » :
son oncle Claudio Treves est un des dirigeants en exil du Parti
socialiste et les amitiés familiales, les réseaux d’amis sont
pour une bonne part de ce milieu d’opposants.
« On
ne me reproche rien tant
Que
d’être parent de parents,
Et
ami d’amis,
Et
ami de parents d’amis. »
Le
cinquième, enfin, et dernier quintil répète le cinquième de la
première chanson : à destination de sa mère : « Pas
de souci » et le message à transmettre aux amis.
« Je
ne me fais pas de souci
Et
dites à tous les amis »
J’aimerais
te faire remarquer, Marco Valdo M.I. mon ami, que pour l’auditeur,
tout ceci ressemble à une lamentation et sans doute, en est-ce une
également. Reprenons à présent notre tâche et tissons le linceul
de ce vieux monde banal, quotidien, répétitif, étroit et
cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Merci
pour le linge si utile.
Ici,
le vent souffle.
J’ai
froid, je me réchauffe à peine ;
Il
me faudrait des chaussettes de laine,
Un
gros pull et des pantoufles.
Ici,
rien ne sert de geindre.
J’ai
demandé de pouvoir peindre ;
Il
me faut des pinceaux, de l’huile de lin
Des
couleurs – le rouge indien,
Des
toiles, une palette et des fusains.
Comment
imaginer une défense
Quand
on est accusé
Et
qu’on ne sait pas grand-chose
De
son propre dossier ?
Qui
donc nous a calomniés ?
On
ne me reproche rien tant
Que
d’être parent de parents,
Et
ami d’amis,
Et
ami de parents d’amis.
Les
interrogatoires font passer le temps.
Surtout,
ne vous faites pas de tracas,
Ni
de ces images monstrueuses
De
mes supposées souffrances,
La
prison n’est vraiment pas
Pour
moi, l’enfer que l’on pense.
Avec
mes bras, mes jambes et ma tête,
Je
ne me fais pas de souci
Et
dites à tous les amis
Que
je serai bientôt sorti
Et
qu’on fera la fête.