jeudi 10 janvier 2019

Le Vent souffle


Le Vent souffle

Lettre de prison 2
Canzone léviane – Le Vent souffle – Marco Valdo M.I. – 2019




Dialogue Maïeutique

Lucien l’âne mon ami, ces lettres du prisonnier Levi sont assez singulières. Comme on va s’en apercevoir au fur et à mesure qu’on les découvrira, elles se ressemblent et elles ressortissent apparemment à la banalité la plus quotidienne.

Oh, dit Lucien l’âne, c’est assez normal si on y réfléchit un peu à ce qu’est le quotidien du prisonnier, qu’il soit Carlo Levi n’y change pas grand-chose. C’est d’ailleurs une des caractéristiques du temps de prison : il est indifférent et banal. Il ne s’y passe rien que sa propre répétition, il n’y passe que des heures qui se suivent à l’aveuglette. Avec le temps, elles finissent par distiller un insondable ennui.

Sans doute, reprend Marco Valdo M.I., mais nous n’en sommes pas encore là. Le prisonnier Levi vient seulement d’arriver et comme on le connaît, il va s’efforcer de comprendre sa situation et d’y apporter certaines améliorations. Cependant, je vais rompre avec ma propre règle et te faire une sorte d’analyse de cette chanson ; chose que j’ai faite de temps en temps, mais à vrai dire, rarement. Mais il me faut immédiatement ajouter qu’il ne s’agit nullement de didactisme, il ne s’agit pas de dire comment il faut comprendre ou penser ; à la vérité, ce sont de feintes explications, c’est juste l’occasion de meubler notre dialogue, de lui donner un peu de consistance. Comprends-moi, un dialogue où on ne dit rien ne peut exister. En ce sens, il faut dire, il faut parler et peu importe ce qui y est dit, peu importe la manière.

À chacun la sienne, opine Lucien l’âne. Dès lors, je t’en prie, va ton chemin comme le vent te pousse.

Ainsi que tu pourras le constater à l’usage, Lucien l’âne, chaque chanson de ces Chansons de Prison comporte 5 quintils, qui forment chacun une entité autonome.

Oh, dit Lucien l’âne, je le connais ce quintil, c’était déjà lui qui souvent servait aux ballades anciennes, on l’appelait alors cinquain ou chinquain.

Soit, dit Marco Valdo M.I., c’est celui-là même. Comme dans une conversation ordinaire qui démarre, celui du début parle du temps et règle la question de l’intendance :

« J’ai froid, je me réchauffe à peine ;
Il me faudrait des chaussettes de laine »

Dans le second, commence un double mouvement : la revendication et l’affirmation de son statut d’artiste. On verra plus tard que ce n’est pas un hasard ; c’est sa ligne de défense qu’il installe. Le message est vers l’extérieur : je vais prétendre que je suis un artiste et rien d’autre.

« J’ai demandé de pouvoir peindre ;
Il me faut des pinceaux, de l’huile de lin »

Le troisième est la voix même de l’innocence empêchée de se défendre, qui ne sait ce qu’on lui reproche et aussi, un message aux « amis » :

« Qui donc nous a calomniés ? »

Le quatrième est ironique et tourne l’arme de la moquerie vers les mesures qui le frappent. Il ridiculise les interrogatoires en laissant entendre – comprend qui peut, comprend qui veut – qu’il ne s’y dit rien d’intéressant.

« Les interrogatoires font passer le temps. »

Dans une analyse plus historique et politique, Carlo Levi fait savoir qu’il est suspecté d’être en contact avec ses « amis » : son oncle Claudio Treves est un des dirigeants en exil du Parti socialiste et les amitiés familiales, les réseaux d’amis sont pour une bonne part de ce milieu d’opposants.

« On ne me reproche rien tant
Que d’être parent de parents,
Et ami d’amis,
Et ami de parents d’amis. »

Le cinquième, enfin, et dernier quintil répète le cinquième de la première chanson : à destination de sa mère : « Pas de souci » et le message à transmettre aux amis.

« Je ne me fais pas de souci
Et dites à tous les amis »

J’aimerais te faire remarquer, Marco Valdo M.I. mon ami, que pour l’auditeur, tout ceci ressemble à une lamentation et sans doute, en est-ce une également. Reprenons à présent notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde banal, quotidien, répétitif, étroit et cacochyme.


Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Merci pour le linge si utile.
Ici, le vent souffle.
J’ai froid, je me réchauffe à peine ;
Il me faudrait des chaussettes de laine,
Un gros pull et des pantoufles.

Ici, rien ne sert de geindre.
J’ai demandé de pouvoir peindre ;
Il me faut des pinceaux, de l’huile de lin
Des couleurs – le rouge indien,
Des toiles, une palette et des fusains.

Comment imaginer une défense
Quand on est accusé
Et qu’on ne sait pas grand-chose
De son propre dossier ?
Qui donc nous a calomniés ?

On ne me reproche rien tant
Que d’être parent de parents,
Et ami d’amis,
Et ami de parents d’amis.
Les interrogatoires font passer le temps.

Surtout, ne vous faites pas de tracas,
Ni de ces images monstrueuses
De mes supposées souffrances,
La prison n’est vraiment pas
Pour moi, l’enfer que l’on pense.

Avec mes bras, mes jambes et ma tête,
Je ne me fais pas de souci
Et dites à tous les amis
Que je serai bientôt sorti
Et qu’on fera la fête.