jeudi 7 février 2019

À l’Abri des Bandits



À l’Abri des Bandits


Chanson léviane – À l’Abri des Bandits – Marco Valdo M.I. – 2019

Lettre de prison 9

10 avril 1934



Dialogue Maïeutique


Déjà ce titre « À l’Abri des Bandits », sursaute Lucien l’âne, c’est du persiflage. Cependant, je dois bien reconnaître qu’il reflète une réalité, car c’était le cas du temps de Carlo Levi à la prison de Turin ; ça l’est peut-être moins aujourd’hui ; enfin, je n’en sais trop rien. Ça doit aussi dépendre des prisons. Pour certaines, la chose est certaine ; dans celles-là, on dirait plus exactement : « En prison, sous la coupe des bandits. »

Sans doute, Lucien l’âne mon ami, est-ce vrai dans certaines prisons contemporaines ; cependant, il y a prison et prison, et puis, il y a les camps, les bagnes et une infinité de choses du genre, parfois sans nom où on entasse tout un monde. S’agissant de cette chanson, il faut avoir à l’esprit ce qu’était l’Italie de l’époque et quels étaient les gens au pouvoir, les vilaines manières qu’ils avaient et les façons brutales avec lesquelles ils avaient éliminé « démocratiquement » leurs adversaires. Les fascistes au pouvoir étaient exactement ce qu’on appelle des bandits, leur parti était constitué d’un agglomérat de bandes de malfaiteurs. De plus, aux Nuove, il devait y avoir une aile réserve aux prisonniers politiques, ne fut-ce que pour des raisons de surveillance particulière et pour la facilité des convois vers les locaux d’interrogatoire. Enfin, quoi qu’il en soit, le titre de la chanson est nettement politique, et s’il est question de bandits, ce sont des fascistes qu’il s’agit.

Je suis assez d’accord avec ce titre et ce que tu en dis, Marco Valdo M.I. mon ami. Je voudrais ajouter, qu’aujourd’hui en 2019, l’Italie se retrouve à peu près dans la même situation avec un ministre de l’Intérieur poursuivi par la justice, grand distributeur de crucifix, chef de bandes et réinventeur des milices à ses heures. Pour moi, c’est assez symptomatique d’une sorte de décrépitude morale qui atteint de larges couches de la société. C’est la faiblesse des démocraties de laisser aller le pouvoir à vau l’eau et de l’abandonner à leurs ennemis et leurs dictateurs pour peu qu’ils se déguisent en élus ou qu’ils se vantent de parler au nom du peuple. Soit dit en passant, personne ne sait exactement qui est le peuple et personnellement, je ne l’ai jamais rencontré et je ne l’ai jamais entendu formuler la moindre parole. En somme, le peuple, c’est comme Dieu, ce doit être un mythe, un fantôme ou une marionnette aux mains de ventriloques. Et que raconte d’autre la chanson ?

Après toutes ces considérations quasiment philosophiques, Lucien l’âne mon ami, je m’en vas te dire deux mots de Charles d’Orléans, potentiel roi de France, qui passa une grande partie de sa vie prisonnier chez les Anglais et écrivit un des rondeaux des plus célèbres, dont s’inspire le premier quintain de la chanson.

« Le temps a laissé son manteau
De vent de froidure et de pluie,
Et s'est vêtu de broderie,
De soleil luisant clair et beau. »

Oui, dit Lucien l’âne, je l’ai encore dans mes oreilles d’âne ce refrain de prison, ce rondeau de printemps qui roule et je t’en dis la fin :

« Chacun s’habille de nouveau.
Le temps a laissé son manteau. »

Et puis, qu’y a-t-il ?

Le troisième quintain, Lucien l’âne mon ami, raconte la fin de Sénèque et clôt l’argumentaire de l’homme cultivé, injustement mis en prison. Le quatrième revient sur l’inanité de ce séjour avec une certaine ironie :

« On fermente à mariner longtemps. »

Le suivant s’en prend à l’absurdité d’en vouloir aux gens pour ce qu’ils sont :

« au motif qu’ils sont juifs ».

En effet, dit Lucien l’âne, il est véritablement absurde et totalement inique de mettre en prison et de pourchasser des gens au motif qu’ils sont étrangers, réfugiés, exilés ou d’une religion ou d’une confession quelconques ou même, évidemment, s’ils ne sont rien d’autre qu’eux-mêmes – les athées, par exemple. Mais, Marco Valdo M.I. mon ami, il reste un quintain dont je devine le secret et j’en sens l’air marin au point que je le chantonne déjà.
« Ça fera bientôt deux mois complets
Et j’ignore encore quels sont leurs projets.
Encore heureux qu’il fasse beau…
Pour les vacances, nous irons en bateau. »

Je l’avais remarqué, Lucien l’âne mon ami, et je connaissais tes oreilles si subtiles, car ce petit quintain (et non pas, le petit quinquin, célèbre berceuse du Nord) est une parodie de la Marie-Joseph, superbe chanson de Stephan Golmann, qui commence ainsi :

« Ça nous a pris trois mois complets
Pour découvrir quels étaient ses projets.
Quand le père nous l’a dit, c’était trop beau,
Pour les vacances, nous avions un bateau. »

Je m’empresse d’ajouter qu’à l’évidence, c’est un peu forcer les choses que d’attribuer à notre prisonnier un don de pareille anticipation. Le texte de la Marie-Joseph date de 1949, soit quinze ans et une guerre mondiale après la lettre de 1934. Comme quoi, toutes ces chansons sont une pure révision et une recréation, même si elles évoquent assez correctement les lettres originales. Et voilà, en voilà assez pour aujourd’hui !

Il vaut mieux mettre les points sur les « is » plutôt que les poings sur les « zis » (yeux), « mettre les poings sur les zis » est une manière de bandit. Alors, puisque tu en as fini , dit Lucien l’âne, tissons le linceul de ce vieux monde plein de bandits, de prisons, de tueurs et de cris et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Le temps a laissé son manteau
Des jours de vent et de pluie
Pour se vêtir de soleil nouveau
Et de papillons matutinaux.
L’air a repris vie.

Dans cette prison sans teint,
Tout le mal tient à ces murs peints,
Ces portes et ces barreaux déteints.
Riez, je philosophe comme un vieil ancien
Qui s’ouvrit les veines dans son bain.

Un mois de loisir forcé,
Ça me paraît assez
Pour tester ma tranquillité,
Ma patience et mon tempérament.
On fermente à mariner longtemps.

Ici, rien de neuf à l’instruction.
Me prend-on pour un suspect,
Le détenteur de je ne sais quels secrets ?
Quand même, on ne peut mettre en prison
Des gens au motif qu’ils sont juifs ou mormons.

Ça fera bientôt deux mois complets
Et j’ignore encore quels sont leurs projets.
Encore heureux qu’il fasse beau
Et que je sortirai bientôt.
Pour les vacances, nous irons en bateau.

Vous pouvez dormir tranquilles,
Ici, on est à l’abri
Des blessures, des maladies,
Des passions malsaines et des mauvaises compagnies,
Des mauvaises gens, des voleurs et des bandits.