LES CIGOGNES
Version française – LES CIGOGNES – Marco Valdo M.I. – 2022
d’après les versions italienne – LE CICOGNE – Silvana Aversa – 1992
et anglaise – THE CRANES – www.wysotsky.com -
d’une
chanson russe – Аисты
– Vladimir
Semënovič Vysotskij / Владимир Семёнович Высоцкий
– 1967
Texte
et musique de
Vladimir Vysotsky
De temps en temps, je prends le petit livre de la vieille série “Millelire” de Stampa Alternativa avec les chansons de Vladimir Vysotsky, ou je cherche quelque chose sur le web. Car Vysotsky est un puits sans fond, ou au fond du puits se trouve l’âme et la vie de l’homme, de nous tous. Ainsi, chaque fois que je décide de rouvrir la conversation avec le vieux Vladimir, il y a toujours quelque chose de nouveau. Quelque chose qui a échappé. Quelque chose que vous n’aviez pas remarqué avant. Cela vaut pour cette chanson, datant de 1967, pour laquelle ce terme est certainement réducteur. Car c’est de la poésie pure, car le lire sans musique ne lui enlève rien. Même si la voix rauque et puissante de Vladimir est toujours dans vos oreilles. Lisez-le. Apprenez-le. Peu importe que ce soit en russe, en italien ou dans une autre langue. C’est un plaisir, toujours. Une des meilleures choses jamais présentées ici. Comme beaucoup d’autres œuvres de Vysotsky, elle a été écrite pour un film, appelé Война под крышами.
Riccardo Venturi, 7 janvier 2006.
Dialogue maïeutique
J’ai bien failli, Lucien l’âne mon ami, ne pas t’inviter à un dialogue à propos de ces cigognes. J’étais, je te l’avoue, prêt à les laisser s’envoler comme ça, sans rien en dire ; à laisser cette version courir le monde sans l’avoir commentée en ta compagnie.
Quelle idée !, s’écrie Lucien l’âne.
En effet, quelle idée !, répond Marco Valdo M.I., mais comme tu le vois, je corrige mon erreur, je comble mon omission. Ce n’est pas que notre dialogue maïeutique ait grande importance et que nos paroles, telles celles de Socrate l’Athénien, soient immortelles.
C’est quoi, alors ?, demande Lucien l’âne, rigolard.
C’est que, vois-tu Lucien l’âne mon ami, c’eût été un non-dit, il y aurait eu ici comme un oubli, une sorte de déni, un genre de blanc qu’on aurait oublié de remplir et ç’aurait été fort dommage, car elle mérite quelques mots d’introduction, comme une petite mise en scène préalable ; une mise en contexte s’impose, voilà tout.
Bien bien, Marco Valdo M.I. mon ami, qu’est-ce qui te retient de la faire cette introduction circonstanciée ?
Rien du tout, Lucien l’âne mon ami, la voici. Cette histoire de cigognes n’est pas celle que l’on croit ; elle n’a que fort peu à voir avec une savantissime chanson ornithologique. Mais partons néanmoins du comportement de ces blancs et noirs oiseaux qui font de grands nids sur le toit et les cheminées des maisons ou des bâtiments, c’est-à-dire au plus près des communautés humaines. C’est la cause de leur malheur quand les humains se battent entre eux, quand ils se font la guerre ; alors, les cigognes s’éloignent et abandonnent leurs nids.
C’est donc ça que raconte cette chanson, dit Lucien l’âne.
Oui, répond Marco Valdo M.I., c’est le schéma général, mais il y a plus, car il ne s’agit as de n’importe quelle guerre, ni de n’importe quel moment.
Pas n’importe quelle guerre, pas n’importe quel moment ?, demande Lucien l’âne.
Exactement et ça a son importance, reprend Marco Valdo M.I. ; il s’agit de la plus grande guerre que l’on ait connue jusqu’à présent et précisément, de l’invasion allemande de la Russie au milieu de l’année 1941, au moment où la guerre répand les armées nazies dans les champs de Russie et de l’exode des gens et des cigognes. C’est ce moment crucial que chante la chanson, tel qu’il est ressenti et conté par un de ces paysans.
Écoutons-le, dit Lucien l’âne, et tissons le linceul de ce vieux monde belliqueux, belliforme, bellimorphe, belligène, bellifère, bellifore et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Le ciel de ce jour
Est clair,
Et le grondement sourd
Du fer
Court sur notre terre
Et le bourdon persiste
Et les arbres couverts de suie
S’attristent.
Fumée, cendres et suies
Dressent leurs croix.
Les cigognes, sur les toits,
Ne font plus leurs nids.
Les épis sont déjà dorés ;
Sauverons-nous le grain ?
Non ! Nous avons semé
En vain.
Quel est cet or qui brille,
Qui, en tremblant,
Rampe sur le champ ?
C’est le feu qui incendie.
De tous les côtés,
Le malheur, nous a tous dispersés.
Plus de piaillements d’oiseaux,
Seuls restent les croas des corbeaux !
Et les arbres en poussière -
L’automne est arrivé.
Et ceux qui savaient chanter
Ont arrêté hier.
Il ne nous reste que la peine.
L’amour n’est plus pour nous,
Aujourd’hui où
Nous sentons la haine.
Fumée, cendres et suies
Dressent leurs croix.
Les cigognes, sur les toits,
Ne font plus leurs nids.
Les frondes, comme chaque jour,
Bruissent ;
La terre et l’eau depuis toujours
Gémissent.
Les miracles sont partis,
La forêt retentit
Des sons sévères
Des trompes de guerre.
Vers l’Est, sans vergogne,
Tous ont fui le malheur ;
Il n’y a plus de cigognes,
Ni d’oiseaux chanteurs.
L’air entend des accents
Différents,
Résonnent le roulement
Et le vrombissement ;
Et le piétinement
Des sabots se déplie.
Quelqu’un crie
Un chuchotement.
Vers l’Est, sans vergogne,
Tous ont fui le malheur :
Sur les toits, plus de cigognes,
À clapper le bonheur.