dimanche 1 juin 2014

LE MOISSONNEUR

LE MOISSONNEUR

Version française – LE MOISSONNEUR – Marco Valdo M.I. – 2014
Chanson lucanienne (Italien) – U metetore – Rocco Scotellaro - 1952
Chant de moisson d'auteur anonyme, recueilli, adapté et traduit par Rocco Scotellaro.



LA MÉRIDIENNE
Jean-François Millet - 1866




En traduisant cette chanson, il me revenait à l'esprit « Il raccoglitore di olive » d'Ugo Dessy (Le cueilleur d'olives) que j'avais évoqué ici même dans les Chansons contre la Guerre, en commentant une chanson de Fabrizio De André [[6842]]. Je croyais même en avoir fait une chanson de ce personnage de cueilleur d'olives, mais cette fois, c'est moi qui suis en retard...


Mais, Marco Valdo M.I. mon ami, ne penses-tu pas qu'il y a certaine raison à ce que tu ne fasses pas tout ce que tu imagines de faire ? Et que cette raison est tout simplement le temps lui-même. Si comme moi, tu étais quasiment éternel, ou quelque chose dans le genre, je suis persuadé que tu ferais tout ce qui te viendrait à l'idée de vouloir créer... Mais j'ai des raisons de penser que tel n'est pas le cas et que forcément, tu ne feras pas tout. Même si l'envie te taraude... Et puis, il y a aussi une autre dimension qu'il te faut prendre en compte et c'est que les jours eux-mêmes sont encombrés de mille choses auxquelles il te faut également faire face. Et donc, il faut te résoudre à rejoindre – au moins pour une part, l'U metetore, le Fannullone de De André et le raccoglitore de Dessy et aussi bien sûr, le chat Kouna [[8238]].


Il est curieusement évident que tu as raison, il me faut fainéanter... Mais rassure-toi, je le fais et plutôt plus que la moyenne. Cependant, je reste sur l'idée que je la ferais bien cette chanson du cueilleur d'olives. Mais ici, le moissonneur même s'il a pareille ambition, s'il se consacre au culte de la méridienne – autrement dit : la sieste des heures chaudes – est sollicité par le « Maître », le « patron », celui qui a besoin de main d’œuvre (alias d'esclaves) pour faire ce qu'il ne fera pas lui-même ; et justement alors qu'il fait cette sieste sacro-sainte. Et sans doute, par la faim, l'exploiteur arrivera-t-il à forcer d'autres hommes à faire à sa place.


C'est la base-même de la société ce droit d'exploiter les gens, les animaux, la nature ; c'est l'imposture fondamentale, celle qui devra bien être dissoute, éliminée, liquidée si l'on veut faire disparaître l'indignité du monde...

En fait, Lucien l'âne mon ami, ce moissonneur de Rocco Scotellaro incarne les paysans pauvres, les manœuvres agricoles, toute l'immense piétaille des latifundia. Ces paysans de Lucanie dont Carlo Levi avait fait les protagonistes du Christ s'est arrêté à Eboli, ceux qui disaient : « Noi, non siamo cristiani, siamo somari »... sentence dont nous, nous avons fait notre devise.


Et, moi, j'y tiens à cette devise, car le plus somare de nous deux, c'est quand même moi...


Certes, Lucien l'âne mon ami, je te l'accorde volontiers ; et comment faire autrement ? Cela dit, avant d'en venir à la chanson elle-même, qui dit toutes ces choses de façon plus lapidaire que nous et dès lors, moins verbeuse, je voudrais souligner cette indécence des riches qui non seulement, entendent exploiter les gens par le travail, mais en plus les traitent de façon méprisante et partant, méprisable. Et aussi, faire ressortir la condition humaine de ces paysans itinérants en te traduisant la note qu'y consacrait Rocco Scotellaro lui-même :
« Les conditions de vie des moissonneurs itinérants sont connues tout comme le fait qu'ils dorment, justement, sur les places publiques»
« le faucheur seul est le moissonneur isolé, qui n'est pas en groupe (paranza), habituellement composé de cinq moissonneurs »
« On dit aller « penna penna » de celui qui n'a pas de métiers et préoccupations, de celui qui se pavane en se promenant ».


J'en ai souvent vu lors de mes pérégrinations de ces paysans sans terre, obligés d'aller sans pouvoir s'arrêter tant que dure la saison... Après, après... ils se débrouillent encore plus mal avec leur misère... C'est une des multiples faces de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres afin d'assurer leur domination, de perpétuer leur pouvoir, d'étendre leurs privilèges et de multiplier leurs richesses... Marco Valdo M.I. mon ami, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde riche, exploiteur, méprisant, méprisable, pavaneur, paradeur, épateur et cacochyme.



Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Je voudrais devenir sauterelle
Je prendrais pour lit une brindille.
Là maintenant, je dors à la méridienne, sur la place
Soudain la main du patron me touche :
- Réveille-toi, moissonneur, moissonneur ;
Faucheur seul ? Es-tu travailleur ? –
Champ par champ, je vais fauchant,
Sur la place, les messieurs passent le temps.
Sur la place, les messieurs vont se pavanant.
La nuit aussi, ils me bousculent en se promenant.




LES PAPIERS

LES PAPIERS

Version française – LES PAPIERS – Marco Valdo M.I. – 2014
Chanson somaire, paysanne – lucanienne (Italien) – La cartullinea – Rocco Scotellaro – 1950




Ah, regarde Lucien l'âne mon ami, la belle photo qui illustre cette chanson de Rocco Scotellaro...





Composée à l'impromptu et chantée par Rocco Scotellaro avec quelques jeunes paysans - en particulier Pietro Pepe et Paolo Zasa – qui venaient d'être rappelés sous les armes.
La première partie est des deux paysans « tricaricesi » (de Tricarico, dont Rocco Scotellaro fut « sindaco », maire) , la deuxième de Scotellaro.





Ah, regarde Lucien l'âne mon ami, la belle photo qui illustre cette chanson de Rocco Scotellaro...


Je vois, je vois, dit Lucien l'âne en dodelinant. Pour un peu, ce pourrait être nous... Je veux dire Lucien l'âne et Marco Valdo M.I. et je pense que ce n'est pas vraiment un hasard. Cette même photo illustrait la première apparition de Rocco Scotellaro dans les Chansons contre la Guerre [[37824]] et si je ne me trompe pas, c'était toi qui l'avait proposée.


En effet. Je l'avais traduite sous le titre « Nous ne nous baignerons pas ». Ici, j'ai dû m'écarter résolument du titre italien, qui pour nous, ne signifie rien. J'aurais pu l'intituler la « cartoline » et expliquer de quoi il retournait. Mais j'ai préféré « Les papiers » en référence évidemment à la convocation ou du document d'appel ou de rappel sous les drapeaux, connue en zone de langue française précisément sous le nom de « papiers ». C'est ainsi qu'en chantait Boris Vian... Voir notamment : [[1301]] et [[1]].


Voilà qui est dit ; écoutons Rocco Scotellaro et reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde militaire, guerrier, belliqueux, belliciste et cacochyme.



Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Nous, à la guerre, nous n'y allons point
Car nous voulons paix et pain
Qu'on rappelle les sédentaires (1)
Pour défendre les propriétaires
De l'audace, criez
Boiteux et aveugles
Boiteux et aveugles
À qui a envoyé les papiers.
Vous avez envoyé les cartes
Comme si c'était pain et vin.
Boiteux et aveugles
Pain et vin
Boiteux et aveugles
Pain et vin !



  1. Sédentaires : en Italie, du temps de la conscription, le service sédentaire était celui qui excluait pour le militaire toute participation directe aux actions belliqueuses. Mieux connus en français sous le nom de « planqués ».