vendredi 5 juin 2020

LE CIEL AU-DESSUS DE BERLIN


LE CIEL AU-DESSUS DE BERLIN



Version française – LE CIEL AU-DESSUS DE BERLIN [CHANSON DE L’ENFANCE] – Marco Valdo M.I. – 2020
Chanson allemande – Der Himmel über Berlin [Lied vom Kindsein]Peter Handke – 1987




Ciel de Wansee – Berlin
Max Liebermann


Dialogue Maïeutique

Souvent, Lucien l’âne mon ami, je me surprends à réfléchir au sens de certaines chansons en dehors du moment précis où nous ne parlons. Ce sont des nébuleuses de pensées qui traversent le ciel du jour. Une bribe par ci, une bribe par là, elles vont, elles viennent, cahin-caha, et je ne sais pourquoi plutôt elle-ci plutôt que celle-là.

Voilà qui est intéressant, dit Lucien l’âne, d’autant que ça m’arrive aussi. Mais pourquoi, dis-tu ça ?

Eh bien, Lucien l’âne mon ami, car ce mode de réflexion m’amène à envisager les choses et les chansons d’un point de vue particulier, de la considérer pour elles-mêmes comme elles sont. Autrement dit, je m’attache à voir le texte – toujours dans sa version française, celle qui me trotte en tête – tel qu’en lui-même, à le prendre en quelque sorte au sérieux, à le voir réellement comme un objet en soi, une entité extérieure et vivante.

Oui, dit Lucien l’âne, mais encore ? Pourquoi dis-tu tout ça ?

C’est assez complexe, comme un nœud difficile à démêler et je peine à me l’expliquer, répond Marco Valdo M.I., et il me semble que cela tient à la démarche poétique. Voilà, c’est ça, la pensée considérée comme poésie, mais aussi, autre conséquence pour cette chanson, la version considérée comme création poétique. Dès lors, le texte qui en résulte comme une opération poétique qui débouche – ici, en langue française – sur une œuvre autonome. Cette réflexion m’est venue quand j’ai constaté qu’il y avait déjà dans les Chansons contre la Guerre, une traduction en langue française du poème de Handke – de Claire Placial.

Oh, dit Lucien l’âne, ça n’a rien de gênant, je pense. Tout au contraire, c’est tout bénéfice pour le lecteur, de même que la présence dans les Chansons contre la Guerre de multiples traductions en de multiples langues. Maintenant, dis-moi, quand même deux mots de la chanson.

Deux mots, Lucien l’âne mon ami, c’est peu. Un premier pour dire l’importance de la rime comme instrument de navigation poétique ; c’est elle qui amène par son balancier à soutenir la marche du promeneur. Au texte brut de la traduction, elle ajoute ici, elle retranche là ; elle impose des mots inattendus. Tu devrais essayer, c’est étonnant. Mais enfin, c’est le deuxième mot, de la chanson, je dirais que c’est une remembrance d’un enfant (Rimbaud en avait notées d’autres, remembrances d’un vieillard idiot), un souvenir de l’enfance, assez commun même. Tellement qu’il peut être partagé par beaucoup d’ex-enfants sous le ciel de Berlin ou d’ailleurs, y compris dans ses regrets. Le reste est à voir dans la chanson.

Oui, dit Lucien l’âne, c’est ce qui est le mieux : s’en tenir au texte. Pour le reste, tissons le linceul de ce vieux monde égaré, ruminant, amnésique et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Quand l’enfant était enfant,
Il allait les bras ballants,
Le ruisseau était une rivière,
La rivière était un torrent,
Et cette flaque, la mer.



Quand l’enfant était enfant,
Il ne savait pas qu’il était enfant,
Tout lui était inspiration,
Et toutes les âmes étaient union.



Quand l’enfant était enfant,
Il ne comprenait pas le néant,
Il n’avait aucun talent.
Assis en tailleur, souvent,
Il se dressait brusquement.
Dans ses cheveux, il avait un mouvement ;
Et sur les photos, il souriait bizarrement.



Quand l’enfant était enfant,
Il se posait des questions tout le temps :
Pourquoi suis-je moi et pourquoi pas toi ?
Pourquoi suis-je ici et pourquoi pas là-bas ?
Quand commença le temps et où finit l’espace ?
La vie sous le soleil n’est-elle pas juste un songe ?
Ce que je vois, j’entends et je sens, n’est-ce
Pas seulement l’apparence d’un monde devant le monde ?
Y a-t-il vraiment le mal et des gens
Qui sont vraiment méchants ?
Comment se fait-il que moi, qui suis moi,
Avant de devenir moi, je n’étais pas,
Et une fois devenu moi que je suis,
Je ne suis plus qui je suis ?



Quand l’enfant était enfant,
Il vomissait les épinards, les pois, le riz au lait,
Et le chou-fleur cuit à la vapeur. Et maintenant,
Il mange de tout, et parfois même, ça lui plaît.



Quand l’enfant était enfant,
Il s’éveilla dans un lit inconnu
Et ça lui arrive toujours maintenant ;
Il trouvait toujours beaux les inconnus,
Et maintenant des fois par chance seulement.
Il s’était rêvé un paradis charmant
Et ne peut plus que l’espérer à présent.
Il ne réussissait pas à imaginer le néant,
Et il en frissonne souvent.



Quand l’enfant était enfant,
Il jouait avec enthousiasme ;
Et maintenant, comme avant il se concentre,
Mais seulement si c’est son travail, évidemment.



Quand l’enfant était enfant,
Il se contentait de pomme et de pain comme aliments,
Et c’est toujours ainsi maintenant.



Quand l’enfant était enfant,
Dans sa main, les baies tombaient précieuses
Et c’est toujours ainsi maintenant.
Les noix fraîches lui faisaient la langue rugueuse
Et c’est toujours ainsi maintenant.
Il avait à chaque montagne,
L’envie d’une plus haute montagne ,
Et à chaque ville,
La nostalgie d’une plus grande ville,
Et c’est toujours ainsi maintenant.
Il cueillait les cerises avec exaltation au sommet de l’arbre,
Comme il aimerait le faire aujourd’hui encore.
Face aux étrangers, il était farouche
Et il l’est toujours encore,
Il attendait les premières neiges,
Et ainsi toujours, il attend encore.



Quand l’enfant était enfant,
Il lança un bâton contre un arbre,
Et il vibre aujourd’hui encore.
Quand l’enfant était enfant