jeudi 3 novembre 2016

LE ZOOLOGUE DE BERLIN



LE ZOOLOGUE DE BERLIN

Version française – LE ZOOLOGUE DE BERLIN – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson allemandeDer Zoologe von BerlinFrank Wedekind – 1899 – Ernst Busch – 1964

Paroles de Frank Wedekind (1864-1918), écrivain, dramaturge et chansonnier, un des principaux précurseurs du Kabarett allemand. Du recueil intitulé « Die vier Jahreszeiten », publié à Munich en 1905.
Interprétée par Ernst Busch, dans « Spottlieder », disque entièrement dédié aux chansons de Wedekind, publié en Allemagne Démocratique en 1964.



 
ZOO DE BERLIN 1900


La ballade Im Heiligen Land que Wedekind publia en 1898 dans la revue satirique Simplicissimus lui valut la condamnation pour lèse-majesté, et la majesté n’était rien moins que le Kaiser Guillaume II. Si bien que Wedekind, en même temps que son ami Heine, illustrateur de la revue, firent sept mois de prison. « Le zoologue de Berlin » est une réflexion sur cette mesure de censure et d'intimidation à laquelle, évidemment, Wedekind ne se plia pas…


Dialogue maïeutique

Cette fois-ci, Lucien l’âne mon ami, il s’agit d’une chanson où il est question des animaux et de l’Empereur. Plus exactement, des rapports entre la Majesté impériale et les animaux. Tout ça passe par l’arrestation et le procès fait à un zoologue de Berlin, auquel un juge aussi stupide que zélé ou l’inverse infligera – à tout hasard ? – un an de prison pour atteinte à la Majesté impériale au scientifique ébahi. Et ce malgré les explications et justifications présentées par ce dernier, qui va jusqu’à affirmer son attachement au Kaiser et à tenir des propos contre les anarchistes et tous ceux qui se moqueraient de l’Empereur. Rien n’y fit. Hop ! Au trou ! C’est proprement ubuesque ! Et bien évidemment, Lucien l’âne mon ami, c’est l’effet recherché par Wedekind. Au fond des choses, il n’y a sans doute pas eu de zoologue emprisonné, mais des auteurs d’articles qui – comme pourrait le faire un zoologue à propos des animaux – décriraient la société sur laquelle règne le-dit Empereur. Et comme tu le sais, une description précise, même relativement précise, de l’ordre public, de l’ordre social est très dangereuse pour un pouvoir, d’autant plus qu’il est autoritaire et soucieux de conformité.

Moi, dit Lucien l’âne, pour ce que j’en comprends, ce zoologue me paraît bien être l’ancêtre de Chveik . Souviens-toi, Marco Valdo M.I. mon ami, qu’un policier avait arrêté Chveik, car il conversait avec le patron de la taverne à propos du portrait de l’Empereur et que l’aubergiste faisait remarquer qu’il avait dû retirer le portrait de son établissement, car il avait découvert des chiures de mouche sur le portrait de l’Empereur. Là également, le policier arrête tout ce monde et les conduit devant le tribunal sous l’accusation tout à la fois de crime de lèse-majesté et d’atteinte au moral de la nation.

Je pense, Lucien l’âne mon ami, que tu dois avoir raison et que Hasek devait connaître Wedekind. De toute façon, même s’il n’y a pas de filiation directe, il y a comme un air de famille. Mais l’un et l’autre devaient puiser leurs histoires dans un fonds populaire bien plus ancien. Car, et c’est un effet, de la Guerre de Cent Mille Ans, les gens du peuple ont toujours aimé brocarder les riches et les puissants. Ulenspiegel le faisait déjà des centaines d’années avant. Quant au zoologue, il sert précisément à faire ce qui lui est reproché en développant sa défense et en multipliant ses dénégations. C’est une manière de faire assez classique. Quelque chose comme : « Mais enfin, Monsieur le Juge, vous n’allez quand même pas croire que je pourrais comparer l’Empereur à une vache, un chien (le carlin est un chien), un cochon… Ce serait très humiliant pour l’Empereur… » On retiendra le conseil final : évitez la zoologie. Cette histoire a d’ailleurs continué son parcours et on la retrouve notamment dans un film belge où à Bruxelles durant la dernière guerre se déroule sur la grand place durant le marché aux oiseaux, une petite scène cocasse. Un vendeur d’oiseaux, qui a en plus un petit singe, voit venir un officier allemand très rigolard qui lui demande le nom du singe. Le vendeur ne répond pas, alors l’officier lui propose d’appeler le singe Churchill. « Oh, dit le vendeur, ce n’est pas gentil pour Churchill. Ah, ah !, dit l’officier. Vous voudriez peut-être l’appeler Adolf ? Certainement pas, ce ne serait pas gentil pour mon singe. »

On pourrait encore en dire mille choses, mais il nous faut conclure et reprendre notre tâche qui est de tisser le linceul de ce vieux monde chaotique, conformiste, répressif et cacochyme.

Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Écoutez les enfants, comment récemment
On arrêta à Berlin un zoologue !
Un policier sans ménagement
L’a conduit devant le juge.
Ce dernier très sévère
Prit de très haut sa protestation
Et lui recommanda d’avouer sans discussion,
Qu’il avait offensé Sa Majesté Impériale.

Le zoologue déclara : « Monsieur le juge,
C’est une erreur énorme ;
Car qu’une vache soit un ruminant,
N’a encore nulle part provoqué de scandale.
Et même la science l’a depuis longtemps
Exposé dans les livres pour enfants.
Mais si vous la comparez à Sa Majesté,
Alors, vous humiliez Sa Majesté !

Je peux le jurer, j’ai pour Sa Majesté Impériale,
Toujours eu le respect le plus impérieux.
Et il me plaît souvent même d’apprendre,
Qu’on a débusqué les irrévérencieux.
Sa Majesté veillera alors également,
À se comporter majestueusement.
Car un carlin est et reste incontestablement
Un mammifère naturellement.

De même devant les autorités,
Je me suis toujours réglementairement incliné,
J’ai souvent tenu ma langue sur commande
Et craché
sur les anarchistes.
Dans les associations où des informateurs écoutent,
Comme un enfant, j’ai toujours parlé de façon innocente.
Mais
malgré tout, je ne peux quand même pas dire
À propos des cochons que ce sont des hommes.

J’ai beaucoup de respect pour vous, ô juge,
Un respect humain sans limites !
Mais vous laissez quand même les pires crétins
Vivre sereins à Berlin.
Et quand bien même je me répandrais à grands cris
De la Forêt Noire jusqu’à
Tsingtao,
La hyène ne resterait-elle pas rayée de gris ?
Et le paon un bel oiseau ?

Ainsi parla le zoologue.
Le Procureur général parla ensuite
Et après
avoir considéré le tout,
L’homme fut condamné à un an de trou.
Dès lors avant d’entreprendre des études de zoologue,
Jeunes gens, réfléchissez,
Car, dans la plupart des animaux sommeille
Une
offense à Sa Majesté.